Science Politique
L’extrême droite au pouvoir dans le monde, quelles conséquences économiques ?
Difficile de définir clairement les politiques économiques des partis d’extrême droite tant elles diffèrent d’un pays à l’autre. Ce que ces partis ont toujours en commun, en revanche, c’est un discours anti-élite et anti-immigration, ainsi qu’une remise en question des infrastructures institutionnelles. Ce qui n’est pas sans conséquence économique.
Audrey Fisné-Koch
© Marton Monus/ZUMA Press/ZUMA/REA
Après Mario Draghi, ce pourrait bien être elle la prochaine présidente du Conseil italien : Giorgia Meloni, cheffe de file de Fratelli d'Italia. Ce parti d'extrême droite « post-fasciste » arrive en tête des sondages pour les législatives qui se tiennent ce dimanche 25 septembre.
L'Italie n'est pas le seul pays à virer à « droite toute » ces dernières années : Sverigedemokraterna (Les Démocrates) en Suède, l'AfD en Allemagne, FPÖ en Autriche, PiS en Pologne ou encore Fidesz en Hongrie… « L’essor et la multiplication des acteurs de la droite radicale n’ont pas cessé depuis le milieu des années 1980 », constate le chargé de recherche CNRS au CEVIPOF, Gilles Ivaldi.
Les partis de la droite radicale, qui ont en commun un ultranationalisme, « sont désormais installés dans la quasi-totalité des États membres de l’Union européenne ». La France ne fait pas exception : en témoigne la présence du Rassemblement national (RN), au second tour de la présidentielle.
Mais tous ces partis d’extrême droite ont-ils des programmes économiques en commun ? La réponse n’est pas évidente : « C’est difficile de définir les politiques économiques de l’extrême droite car il n’existe pas de programme tout fait. Leur discours nationaliste ou anti-élites va servir à légitimer des politiques qui peuvent prendre des formes radicalement différentes », nous répond Pierre-Guillaume Méon, professeur de science économique à l’Université libre de Bruxelles. « Parmi les politiques d’extrême droite, on trouve tout et son contraire : des dirigeants qui vont être objectivement plus libéraux comme Trump ou Bolsonaro. D’autres qui parlent de redistribution. »
Même au sein d’un parti, des orientations contradictoires cohabitent parfois : « Il suffit de regarder le Rassemblement national (ex FN) : le programme économique de Jean-Marie Le Pen était presque Thatchérien, alors que Marine Le Pen met en avant une fibre sociale, en apparence en tout cas », ajoute l’économiste.
C’est difficile de définir les politiques économiques de l’extrême droite car il n’existe pas de programme tout fait. Leur discours nationaliste ou anti-élites va servir à légitimer des politiques qui peuvent prendre des formes radicalement différentes.Pierre-Guillaume Méon,
Professeur de science économique à l’Université libre de Bruxelles.
Lors du débat de l’entre-deux tours, la candidate qui se présente comme défenseuse du pouvoir d’achat, a répété vouloir baisser la TVA sur les prix de l’énergie, baisser la fiscalité et augmenter les salaires. Tout ça, sans pour autant qu’il y ait de cohérences, commente Patrick Artus sur France Culture : « Ce sont des mesures qu’une grande majorité d’économistes considèrent comme indéfendables. Par exemple l’exonération d’impôt sur les revenus pour les moins de 30 ans n’a aucune chance de passer devant un Conseil Constitutionnel. » C’est le principe d’égalité devant l’impôt.
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Pas de programme économique clair
À l’échelle mondiale, « la droite nationaliste comprend donc un large éventail de forces, qui peuvent aller du libéral-conservatisme au fascisme », résument les économistes Joachim Becker et Rudy Weissenbacher de l’université de Vienne.
En observant les politiques menées par l’extrême droite, ces experts observent des éléments tantôt néolibéraux comme par exemple la baisse de l’imposition sur les sociétés en Hongrie, tantôt national-conservateurs, comme par exemple la « préférence nationale » dans les politiques sociales et les politiques du marché du travail en Autriche.
Le constat est le même en France. Dans une note récente, les économistes atterrés épluchent les propositions jugées « néolibérales-nationalistes » de la candidate du RN. En dépit du discours de Marine Le Pen, qui s’autoproclame candidate du peuple, les mesures qu’elle souhaite prendre (suppression de l’impôt sur les fortunes immobilières -IFI-, des impôts sur l’héritage, soutien aux propriétaires fonciers) « servent les intérêts des ménages aisés et des entreprises tout en se réclamant d’un 'patriotisme' économique tourné contre les étrangers », écrivent-ils. Et d’ajouter : « Il s’agit d’aider les entreprises pour les inciter à rester en France, en mobilisant des aides qui ont déjà montré leur inefficacité, et sans proposer de véritable stratégie industrielle. »
Il est donc plus facile de mettre une étiquette unique sur les politiques économiques des populistes de gauche que sur l’extrême droite, résume Pierre Guillaume Méon. « Dans les années 1970-1980, les populismes de gauche en Amérique latine avaient des programmes clairs avec davantage d’intervention, de redistribution et éventuellement des politiques de substitution aux importations. Pour les partis étiquetés populistes de droite, leur seul point commun n’est pas économique : c’est de tenir un discours anti-élite et xénophobe. »
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Sur le Vieux continent, les partis de la droite nationaliste s’appuient régulièrement sur des arguments anti-Europe et anti-immigration : « L’extrême droite stigmatise la composante internationale de la finance et refuse d’admettre l’interdépendance des économies », écrit Catherine Lubochinsky dans l’ouvrage Les économistes répondent aux populistes (Odile Jacob, avril 2022).
Clairement « un protectionnisme sévère à l’échelle mondiale […] serait fortement dommageable. L’inflation deviendrait massive, les salaires peineraient à suivre, les secteurs productifs orientés vers l’exportation s’effondreraient tandis que l’offre serait incapable de rebondir dans les secteurs de substitution aux importations ; faillites, chômage, chute du pouvoir d’achat pourraient déboucher sur une spirale dépressionniste », s’inquiète l’historien de l’économie Pierre Dockès.
L’extrême droite stigmatise la composante internationale de la finance et refuse d’admettre l’interdépendance des économies.Catherine Lubochinsky
Économiste, dans l’ouvrage Les économistes répondent aux populistes (Odile Jacob, avril 2022).
L’importance de la démocratie
À cela s’ajoutent d’autres conséquences économiques, documentées par les économistes : l’augmentation des inégalités d’une part, puisque « les politiques sociales des partis de la droite nationaliste ont un net caractère excluant », plaçant au cœur de leur programme « des groupes spécifiques de la petite bourgeoisie, et plus généralement des classes moyennes », indiquent Joachim Becker et Rudy Weissenbacher.
Un risque d’endettement d’autre part. Comme le montrent les économistes allemands Manuel Funke, Moritz Schularick et Christoph Trebesch, les ratios d’endettement sont nettement plus élevés chez les dirigeants populistes de droite. En témoignent les mandats de Fernando Collor au Brésil, Recep Tayyip Erdogan en Turquie, Junichiro Koizumi au Japon ou, plus récemment, le gouvernement PiS en Pologne.
Enfin, les experts mettent en exergue des craintes d’ordre démocratique : « Les partis d’extrême droite vont systématiquement remettre en cause l’infrastructure institutionnelle des pays », souligne Pierre-Guillaume Méon.
La Pologne a par exemple remis en cause l’indépendance des tribunaux et a supprimé un certain nombre de contre-pouvoirs. « En Hongrie, où Viktor Orban vient d’être réélu haut la main, ou au Brésil, c’est pareil. La corruption augmente. L’opposition s’efface. On s’éloigne de la démocratie. Indépendamment des conséquences démocratiques, cela a aussi un impact économique, conclut le chercheur. Les études le montrent depuis plusieurs années, notamment les travaux du Nobel Douglass North : ce sont les démocraties qui amènent le plus de croissance. »
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Le coût du populisme
« Populisme de droite, ou extrême droite ? On considère que c’est synonyme », nous indique Pierre-Guillaume Méon, professeur de science économique. La littérature sur les conséquences économiques du populisme est dense. En 2020, les économistes Sergei Guriev et Elias Papaioannou montrent, en s’appuyant sur de nombreux régimes populistes (de gauche et de droite), que leur mandat se termine par des crises.
Dans l’ouvrage Des économistes répondent aux populistes (Odile Jacob, avril 2022), d’autres spécialistes arrivent à la même conclusion : « Si plusieurs types de populismes ont été mis en œuvre, l’expérience au pouvoir, dans la plupart des cas, est un échec économique, parfois retentissant. » Ils estiment que « les conséquences les plus graves se situent du côté de ceux qui devaient le plus en tirer les bénéfices, les salariés à faibles revenus ou les retraités, le chômage ayant fortement augmenté, à cause de l’inflation, et les revenus réels étant bien plus bas qu’ils ne l’étaient au départ. » Quand revient une majorité politique « classique », c’est le « retour douloureux à l’orthodoxie macroéconomique et, bien souvent, au recours au FMI… »
En 2021, une large étude menée par des universitaires allemands confirme encore : après 15 ans, en moyenne, un pays dirigé par un populiste (de gauche ou de droite) affiche une perte de 15 points de PIB par rapport à un État jumeau (qui ne serait pas dirigé par un populiste).
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