L’essentiel
- Les principales industries allemandes - l’automobile et la chimie - multiplient les investissements en Chine, premier partenaire commercial de Berlin
- Subissant sa dépendance à l’énergie russe, le gouvernement allemand veut réduire son exposition à la Chine
- Berlin planche donc sur une nouvelle stratégie pour début 2023 et pourrait réduire les garanties financières aux entreprises pour les inciter à diversifier leurs marchés.
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L’Allemagne doit « tirer les leçons de sa dépendance totale à l’égard de la Russie dans le domaine de l’énergie », a expliqué la ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock début décembre. Pour mettre en application ce constat, le gouvernement prépare une nouvelle stratégie pour redéfinir l’avenir de ses échanges avec la Chine. « Il ne s’agit pas de séparer complètement nos économies : c’est impossible dans le monde interdépendant actuel », a précisé la ministre, mais « de diversifier nos échanges ». Avec une crainte explicite : celle « d’être vulnérable à un éventuel chantage » dans le cas où la communauté internationale sanctionnerait une annexion de Taïwan par Pékin.
Depuis six ans, la Chine est le premier partenaire commercial de l’Allemagne, assurant 10 % de son commerce extérieur. Au port d’Hambourg, autoproclamé « porte de l’Europe vers la Chine », trois conteneurs sur dix embarquent, ou surtout, débarquent de Shanghai et des autres ports chinois. La tendance s’est accentuée après les pauses liées à la politique de zéro Covid mise en place par le gouvernement chinois. Au premier semestre 2022, le déficit de la balance commerciale de l’Allemagne avec la Chine s’est encore creusé pour atteindre environ 40 milliards d’euros.
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Signe du poids de ces échanges, le chancelier Olaf Scholz n’est pas arrivé seul à Pékin début novembre pour sa première visite en Chine. Volkswagen, BASF, Siemens, Deutsche Bank…. Ies patrons des plus grandes entreprises allemandes étaient une douzaine à accompagner le chancelier, malgré les difficultés d’un voyage sous haute surveillance sanitaire.
L’indispensable marché chinois
L’importance de cette délégation montre le chemin qu’il reste encore à parcourir. Des pans entiers de l’économie allemande dépendent en effet des échanges avec la Chine. À commencer par le secteur automobile, dans un pays où « Das Auto » emploie près de 800 000 personnes.
Le géant mondial Volkswagen réalise désormais près de 40 % de son chiffre d’affaires en Chine et ses concurrents Daimler-Mercedes et BMW plus de 30 %. « La Chine nous est indispensable comme marché de croissance et moteur d’innovation, a fait valoir l’ancien patron de VW, Herbert Diess en juin dernier. En Allemagne, on sous-estime à quel point notre prospérité est en partie financée par la Chine », ajoutait-il.
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Le premier groupe chimique mondial BASF n’a pas non plus l’intention de freiner son élan sur un marché qui assure 15 % de son chiffre d’affaires. Et pour cause, « la Chine représentera 50 % du marché mondial de la chimie en 2030. Si vous voulez être un géant mondial de la chimie, vous ne pouvez pas dire que la moitié du marché ne vous intéresse pas », explique son patron, Martin Brudermüller.
Le groupe chimique a annoncé un programme d’épargne de 500 millions en Europe pour faire face à la hausse des prix du gaz, dont il est le premier grand consommateur en Allemagne et en même temps, la construction d’une nouvelle usine à 10 milliards d’euros au sud de la Chine, dont les capacités sont destinées « principalement au marché chinois », indique Martin Brudermüller.
Des investissements qui ne cessent de progresser
En d’autres termes, loin de ralentir face aux risques géostratégiques, les entreprises allemandes « foncent droit dans le mur », prévient Jürgen Matthes, économiste à l’Institut économique allemand (IW) basé à Cologne. Les investissements des constructeurs automobiles allemands en Chine avaient déjà progressé de 65 % entre 2015 et 2020, pour atteindre 33,6 milliards d’euros. Ils ont franchi un nouveau record de 10 milliards d’euros au premier semestre 2022.
L’usine BASF n’est pas la seule à faire gonfler les chiffres : BMW vient d’ouvrir une troisième usine au printemps en Chine et Audi en a inauguré un nouveau site avec son partenaire chinois. Dans la grande distribution, le champion allemand du « discount » Aldi a élargi sa présence dans un pays au 1,4 milliard de consommateurs potentiels.
Dépendance aux terres rares
Et ce n’est pas uniquement ce modèle commercial tourné vers la Chine qui inquiète le gouvernement. La vulnérabilité de la production sur le territoire allemand alerte aussi Annalena Baerbock. Le manque de semi-conducteurs « et de produit médicaux pendant le Covid a montré à quel point la dépendance à l’égard d’un seul fournisseur est dangereuse pour notre économie », a rappelé la ministre. « Or l’industrie allemande dépend aussi des terres rares » importées de Chine, comme le cobalt, le silicium ou le lithium nécessaire pour les batteries de voitures électriques ou le développement des énergies renouvelables.
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Une fragilité que reconnaissent aussi les entreprises allemandes. Pour le président de Deutsche Bank, Christian Sewing, « si nos clients sont dépendants, nous le sommes aussi indirectement ». Outre les risques géopolitiques, « les perspectives économiques de la Chine sont également assombries par les turbulences du marché immobilier, la détérioration du marché du travail et l’endettement élevé des entreprises », note la seconde banque allemande, Commerzbank dans son rapport annuel.
Moins d’aides financières pour les entreprises ?
Bref, a résumé la ministre allemande Annalena Baerbock, « nous pouvons nous demander si l’intérêt de la République fédérale d’Allemagne coïncide à 100 % avec l’intérêt lucratif à court terme d’une entreprise ». La stratégie en cours de négociation entre les membres du gouvernement devrait notamment mettre un frein aux garanties financières accordées par l’État pour couvrir les risques politiques encourus par les entreprises allemandes à l’étranger. Sur les 29,1 milliards de garantie financés actuellement par les contribuables allemands, 11,3 milliards concernent la Chine.
L’État a déjà réduit la voilure en ne renouvelant pas les garanties accordées à Volkswagen ou BASF, après la publication d’un rapport de l’ONU sur la situation des minorités ouïgoures dans la région du Xinjiang. À l’avenir, ces garanties devraient être limitées pour les pays où les entreprises sont déjà très représentées et plus importantes dans des pays comme l’Inde ou l’Indonésie par exemple. Le but recherché ? Inciter les entreprises à se diversifier. Et le chancelier Olaf Scholz, de réitérer : « L’Allemagne doit désormais éviter de mettre tous ses œufs dans le même panier. »
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