« La fête est finie : l’Italie, comme le font les autres, va défendre ses intérêts nationaux face à Bruxelles, en cherchant seulement ensuite des compromis » C’est ce qu’avait promis Giorgia Meloni lors d’un meeting, avant que son parti ne récolte 26 % des voix aux législatives le 25 septembre et qu'elle ne devienne présidente du Conseil le 23 octobre.
Ce discours a des airs de déjà-vu : en 2014, quand Matteo Renzi (parti démocrate) avait assuré, en tant que Premier ministre italien, la présidence du Conseil de l’Union européenne, lui-même s’était engagé à défendre les intérêts de Rome face à Bruxelles. « Une posture du genre ‘Vous allez voir ce que vous allez voir’… Et finalement, personne n’a jamais rien vu », se souvient l’économiste Frédéric Farah.
N’en déplaise à Giorgia Meloni, les marges de manœuvre de l’Italie vis-à-vis de l’Union européenne sont faibles pour au moins trois raisons.
1. Une relance pilotée par Bruxelles
Dans un contexte de crise économique, l’Italie bénéficie, depuis 2021 et jusqu’en 2027, des subventions et prêts de l’Union européenne : Bruxelles finance 191 milliards d’euros (sur les 222 milliards) du Plan national de relance et de résilience (PNRR) italien, soit 86 % ! Un dispositif qui repose sur le principe de conditionnalité : pour continuer à bénéficier des fonds, l’Italie doit atteindre des objectifs (102 au total, 55 pour le second semestre 2022).
Giorgia Meloni a d’ores et déjà annoncé vouloir renégocier le PNRR avec Bruxelles, même si les risques sont importants : de nombreux projets italiens dépendent de ce robinet européen, particulièrement dans plusieurs domaines : innovation, numérisation, transition écologique et inclusion sociale.
La dirigeante italienne a malgré tout quelques griefs justifiés : même si de nombreux observateurs répètent que l’Italie est le principal bénéficiaire du PNRR, « il y a un vice de forme, souligne Frédéric Farah, lorsque vous regardez ce que l’Italie verse à l’UE - le pays fait partie des contributeurs nets au fonds européen pour le budget et le fonctionnement des institutions - et que vous retranchez ces sommes à ce qu’elle perçoit sous forme de prêts, l’Italie est loin d’être le principal bénéficiaire ».
Conditionnalité des fonds européens
Les aides de l’Union européenne via le PNRR, un volet du plus large plan de relance européen NextGenerationEU, sont versées à condition de remplir des objectifs fixés par Bruxelles. La procédure a lieu chaque année et prend 6 mois : la Commission européenne transmet un ensemble de recommandations et les États membres doivent présenter un programme de stabilité et d’évolution de leurs dépenses publiques.
2. Sous la surveillance des marchés
Face au discours souverainiste de Fratelli d’Italia, les marchés sont vigilants. Avec une dette atteignant 150 % du PIB, l’Italie est vulnérable : si les taux d’intérêt s’envolent, la situation ne sera plus soutenable. « Dans l’hypothèse où Giorgia Meloni négocie trop durement le PNRR ou qu’elle agite des menaces par rapport au cadre européen, les marchés financiers, sur lesquels repose notre système, pourraient ‘faire turbuler’la dette italienne, poursuit Frédéric Farah. Et faire payer des intérêts de dingue, c’est très efficace. Plus que n’importe quel pacte de stabilité ou n'importe quelle règle budgétaire. En fait, les marchés sont les juges de paix de la politique économique européenne. »
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Cela explique pourquoi les marchés ne se sont pas affolés depuis que Meloni a été élue : conscients de leur pouvoir, ils n’ont pas grand-chose à craindre du parti d’extrême droite.
3. Le président, garant devant l’UE
Bruxelles peut aussi compter sur le président de la République italienne (aujourd’hui Sergio Mattarella). Depuis 2018, il détient en plus de son rôle de gardien moral de la Constitution, celui de « garant des engagements européens ».
Ainsi, lorsqu’en 2018, la coalition entre le parti d’extrême droite la Ligue et la formation antisystème du Mouvement Cinq étoiles a voulu nommer au ministère de l’Économie un homme qui s’opposait à l’euro et à la monnaie unique, Sergio Mattarella a empêché cette désignation. Il jugeait que cela envoyait un mauvais message aux autorités bruxelloises et aux marchés financiers.
Si le président constate des tensions à cause de Fratelli d’Italia, il pourra à nouveau utiliser son pouvoir constitutionnel pour qu’une nouvelle majorité soit formée et qu’un « gouvernement technique » plus favorable à l’UE, soit nommé.
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Gouvernement technique
Gouvernement, de techniciens, qui s'appuie sur un consensus provisoire qui vient du Parlement. La chambre appuie ce gouvernement transpartisan. En 2011, Silvio Berlusconi est forcé de démissionner après avoir refusé d’enclencher des réformes demandées par l’Union européenne. S’en est suivie une crise de la dette publique italienne. Un gouvernement technique a été formé avec à sa tête Mario Monti.
Dans le programme de SES
Terminale « Quelles politiques économiques dans le cadre européen ? »