L’Essentiel
- Le 1er janvier 2023, l’Inflation Reduction Act favorisera les produits fabriqués aux États-Unis par rapport aux produits importés, notamment d’Europe.
- L’UE considère ce texte comme une distorsion des règles de la concurrence, pourtant reconnues par les États au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
- Les Européens demandent des dérogations au risque de ne plus pouvoir exporter aux États-Unis et de voir les investissements sur leur sol se réduire.
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Une réunion qui tombe à point nommé. Lundi 5 décembre les représentants de l’Union européenne et des États-Unis se sont retrouvés pour la troisième réunion du Conseil du commerce et des technologies (un forum de coordination entre les deux entités lancé le 15 juin 2021).
Cette fois, le sujet des discussions était tout trouvé. Il l’était même depuis des des mois et il porte un nom : Inflation Reduction Act (IRA). Cette loi a été votée par le Congrès américain le 16 août 2022 et doit entrer en application le 1er janvier 2023.
Subventions « super agressives »
« C’est est une loi assez dense qui, comme son nom ne l’indique pas, est plus tournée vers le climat que l’inflation. C’est un gros paquet de 400 milliards de dollars sur 10 ans. Elle offre des moyens aux services fiscaux, des subventions aux industries liées à la transition écologique, y compris des subventions à la production et à la consommation sous des formes variées », analyse Sébastien Jean, professeur d’économie au Conservatoire National des Arts et Métiers (Cnam).
Ce méga plan d’investissement prend notamment la forme de crédits d’impôts, jusqu’à 7 500 dollars (7 143 euros), pour les Américains souhaitant acquérir une voiture électrique neuve… mais seulement si elle est produite aux États-Unis, au détriment des marques européennes.
Ce n’est pas vraiment du goût des Européens. Les ministres européens du Commerce, réunis en Conseil le 25 novembre dernier, ne cachaient pas leur inquiétude face à la décision américaine. Le président français, Emmanuel Macron ne s’est pas privé de qualifier ses subventions de « super agressives » lors de sa visite officielle du 30 novembre au 2 décembre. Et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen a, elle, promis le 4 décembre « une adaptation et une simplification des règles d’investissement » dans l’Union pour répondre au choix de Washington.
Distorsion de concurrence
Mais pourquoi les Vingt-Sept réagissent-ils ainsi ? « Même s’il s’agit du premier effort significatif des États-Unis en faveur de la transition écologique - une bonne nouvelle en soi pour les Européens - la question se pose effectivement du non-respect par les USA de ses engagements auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en matière de commerce international », détaille Sébastien Jean.
Pour Bruxelles, les subventions importantes promises par l’IRA provoquent une distorsion de concurrence. « Les accords de l’OMC sur les subventions et mesures compensatoires interdisent l’intégration d’exigences de « contenu local » [imposer aux entreprises d’utiliser des produits ou des services locaux pour pouvoir exercer leur activité]. Ces subventions à la production sont ainsi opposables par les Européens auprès de l’OMC, en cas de préjudice avéré », poursuit l’universitaire.
Distorsion de concurrence
En économie, la concurrence fait référence à la compétition qui existe entre les entreprises pour vendre des biens et des services aux consommateurs. Cette compétition doit respecter certaines règles pour qu’elle ne soit pas faussée. Si ces conditions préalables sont modifiées par un soutien financier ou réglementaire d’un État à des entreprises, on parle alors d’une distorsion de concurrence ou de marché.
En effet, l’OMC demande que « les produits importés et les produits de fabrication locale soient traités de manière égale, du moins une fois que le produit importé a été admis sur le marché. Il doit en aller de même pour les services, les marques de commerce, les droits d’auteur et les brevets étrangers et nationaux. » Et les États-Unis se sont engagés, au même titre que leurs partenaires commerciaux à respecter ces règles.
Incapacité d’exporter et détournement des investissements
Ainsi, les Vingt-Sept redoutent de voir des entreprises européennes ou américaines quitter l'Europe pour mettre les voiles vers le pays de l’Oncle Sam. « Même si les conséquences de cette distorsion sont encore difficiles à quantifier, les Européens ont raison de protester, ajoute Sébastien Jean. Les producteurs américains sont avantagés par rapport aux Européens qui se retrouveront dans l’incapacité d’exporter vers les USA ou qui verront des investissements prévus sur leur sol être détournés de l’autre côté de l’atlantique. »
L’incertitude demeure par exemple autour du projet de « Mega factory » Tesla en Allemagne à cause du vote de l’IRA à Washington. Sachant d’ailleurs que la situation est déjà tendue en Europe. La hausse des coûts de l’énergie réduit déjà l’activité industrielle sur le Vieux continent et amplifie encore le chant des sirènes américaines.
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Un risque de guerre commerciale ?
C’est pour cela que le 5 décembre, la délégation européenne, notamment représentée par les commissaires européens au Commerce Valdis Dombrovskis et du Numérique et de la Concurrence Margrethe Vestager, a demandé que les voitures électriques européennes soient éligibles au crédit d’impôt de 7 500 dollars.
Et ils n’ont pas vraiment d’autre choix, signale Sébastien Jean : « Ils peuvent protester devant l’OMC mais c’est un choix clivant car nous parlons d’alliés qui ont besoin de rester unis surtout en ce moment avec la guerre en Ukraine. De plus, l’OMC est plutôt paralysée quand il s’agit de régler des différends. Il y a donc un risque de guerre commerciale. Sinon, les Européens peuvent s’adapter et répondre par des subventions plus importantes dans les secteurs concernés. Mais c’est un choix improbable vu les difficultés de coordinations entre les États membres et la faible marge de manœuvre budgétaire. »
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