L’argument du développement économique
Pour le gouvernement indien, il est inconcevable de se passer des carburants polluants. Il faut dire que 70 % de son électricité provient du charbon. Au cours des dix dernières années, la consommation du deuxième pays le plus peuplé au monde a quasiment doublé. « L’Inde paie aujourd’hui le prix de sa dépendance. Elle produit du charbon, mais de très mauvaise qualité, et donc doit importer massivement. Ce n’est pas bon au niveau économique », constate Sandrine Mathy, économiste de l’environnement et de l’énergie au CNRS.
New Delhi assure avoir besoin d’énergie bon marché pour développer son économie et sortir de la pauvreté des millions d’Indiens. Dans ce contexte, « les pays en développement ont droit à une utilisation responsable des énergies fossiles », a justifié Bhupender Yadav, ministre de l’Environnement indien, lors de la COP.
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Un argument qui n’a rien d’étonnant pour Sandrine Mathy : « Au cours des 27 années de négociations climatiques internationales, l’Inde a toujours été sur le devant de la scène pour défendre le droit au développement. Pour eux, les politiques climatiques ne doivent pas impacter et ralentir le processus de développement économique et humain. Il y a une opposition entre ces deux points : ils craignent que les politiques climatiques ne ralentissent la croissance. »
Le tout, dans un contexte de tensions puisque New Delhi accuse les pays industrialisés de ne pas avoir tenu leur promesse : ils s’étaient engagés à investir 100 milliards de dollars par an à partir de 2020. Pour les pays en développement comme l’Inde, il revient aux pollueurs historiques – les pays riches – de fournir expertise technique et financement dans le cadre de la lutte pour l’environnement.
Un manque d’ambition climatique
L’État indien a tout de même annoncé des engagements, fixant pour la première fois une réduction de ses émissions de gaz à effet de serre. « Une surprise » pour Sandrine Mathy, qui évoque les objectifs à long terme de New Delhi : atteindre la neutralité carbone (zéro émission nette) en 2070 (soit dix ans après la Chine) ; réduire de 45 % l’intensité carbone du PIB par rapport à 2005 ou encore, réduire de 1 milliard de tonnes le total des émissions de carbone d’ici à 2030.
Si « c’est déjà beaucoup plus que ce à quoi nous attendions », reconnaît Ulka Kelkar, économiste au Think tank World Resources Institute, dans les colonnes de la revue britannique Nature, cela n’est pas suffisant pour beaucoup d’experts.
« L’Inde est extrêmement vulnérable aux impacts du changement climatique, avec des vagues de chaleur extrêmes, des moussons, l’érosion des sols, etc. », prévient Sandrine Mathy. Le pays subit régulièrement des pics de pollution : le 15 novembre, la municipalité de New Delhi est allée jusqu’à confiner la capitale de 20 millions d’habitants. Une grande première puisque les niveaux des particules battent des records. Ce qui prouve bien, pour l’économiste du CNRS, que « l’Inde doit s’engager sur des trajectoires plus ambitieuses ».
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Des objectifs très insuffisants
Régulièrement, les politiques prises par le gouvernement sont critiquées : dans un récent rapport, le think tank Climate Action Tracker jugeait les objectifs climatiques de l’Inde « très insuffisants ». Leurs résultats montraient que maintenir les politiques actuelles de l’Inde aurait pour conséquence une augmentation des températures de 4 °C, soit plus que la limite de 1,5 °C fixée par l’accord de Paris.
Les recherches menées par l’Institut international du développement durable (IISD) illustrent, quant à elles, le surinvestissement du gouvernement indien dans les énergies fossiles par rapport aux énergies propres (7,3 fois plus en 2020). New Delhi a aussi annoncé d’importants projets d’infrastructures et une mise aux enchères de dizaines de nouvelles mines de charbon récemment.
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« C'est un manque de volontarisme à court terme, avec des contributions nationales qui ne vont pas dans le bon sens », déplore Sandrine Mathy. Pour ce qui est du charbon par exemple, « les scientifiques du programme des Nations unies pour l’environnement (Unep) ou de l’Agence internationale pour l’Énergie (AIE) affirment qu’il faut agir dès à présent et arrêter de construire des centrales si on veut limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C. »
Les bienfaits économiques des politiques climatiques
L’argument selon lequel les pays riches devraient faire tous les efforts pour développer les technologies et politiques nécessaires pour réduire les émissions carbone ne tient donc pas, assure Julie Rozenberg, économiste à la Banque mondiale.
Selon elle, politiques climatiques et objectifs de développement ne sont pas contradictoires, bien au contraire : « Il y a beaucoup de bénéfices à tirer du développement de technologies plus sobres en carbone. Si les pays comme l’Inde ne les adoptent pas maintenant, ils vont perdre en compétitivité à long terme et en bien-être. »
Une course à l’innovation nécessaire, renchérit Sandrine Mathy. « Les premiers qui développeront ces technologies auront des avantages économiques. Mais, si l’Inde n’est pas le dernier pays à développer les énergies renouvelables, il est vrai qu’il y a une forte défiance vis-à-vis du secteur privé. La rentabilité des investissements n’est pas assurée », détaille l’experte.
Optimiste, elle rappelle tout de même que plusieurs pays se sont engagés, lors de la COP26, à ne plus financer les énergies fossiles à l’étranger. « Espérons donc qu’en Inde et ailleurs, cela constitue un appel pour investir davantage dans les énergies renouvelables. »