Géopolitique
En 25 ans, comment la BCE a peu à peu gagné son indépendance
Jeune banque centrale, elle a dû batailler dans ses premières années contre les pressions politiques de Berlin et Paris.
Clément Rouget
© Midjourney
Happy birthday : la Banque centrale européenne (BCE) va fêter ses 25 ans ! Créée le 1er juin 1998, quelques mois avant l’introduction de la monnaie unique, l’institution est chargée de définir et de mettre en œuvre la politique monétaire des 20 pays de la zone euro.
Mais le fait qu’elle souffle un jour ses 25 bougies était loin d’être une évidence. Au regard des 110 ans d’existence de la Réserve fédérale américaine (Fed) et des 329 (!) bougies de la Banque d’Angleterre (BoE), la BCE est une jeune banque centrale. Ce qui explique qu’elle a dû batailler pour préserver son indépendance et asseoir sa crédibilité vis-à-vis des responsables politiques et des marchés financiers.
Des objectifs différents selon les banques centrales
Une banque centrale est une institution qui gère l’émission et les usages de la monnaie qui a cours légal dans un pays (comme la BoE avec la livre sterling) ou dans une zone monétaire (comme la BCE avec l’euro). Elle a le monopole de la création monétaire et elle fixe les taux d’intérêt auxquels elle prête aux banques commerciales (comme la Société générale, le Crédit Agricole, etc.).
Ces taux influencent le coût du crédit pour les entreprises et les ménages, ainsi que le niveau des dépôts et de l’épargne. La banque centrale a aussi pour mission de veiller à la stabilité du système financier et peut intervenir en cas de crise pour soutenir les banques en difficulté. Mais toutes les banques centrales n’ont pas les mêmes objectifs.
Le mandat de la Fed lui impose de poursuivre à la fois l’objectif de stabilité des prix et celui de soutien à la croissance économique alors que la BCE dispose d’un mandat unique de lutte contre l’inflation. Et toutes les banques centrales n’ont pas non plus le même niveau d’indépendance vis-à-vis du pouvoir politique.
Résister aux responsables politiques
L’indépendance d’une banque centrale signifie qu’elle n’est soumise à aucune instruction ni influence politique dans l’exercice de ses missions. La BCE, par exemple, ne reçoit pas d’ordres directs du Conseil européen, de la Commission européenne ou des gouvernements nationaux et cela est garanti par les traités européens. Le choix d’une banque centrale indépendante repose sur l’idée qu’une politique monétaire efficace doit être conduite par des experts qui ont une vision à long terme et qui ne sont pas soumis aux pressions électorales que connaissent les responsables politiques.
Cela lui permet aussi de disposer d’une crédibilité renforcée auprès des marchés financiers, qui ont confiance en sa capacité à juguler l’inflation et à préserver ainsi la valeur de la monnaie. La crédibilité d’une banque centrale peut vite s’étioler si un dirigeant politique lui impose ses désidératas.
Par exemple, la valeur de la livre turque s’est effondrée et l’inflation s’est envolée en Turquie après que le président Erdoğan a licencié plusieurs dirigeants de la banque centrale du pays.
La BCE elle-même a dû batailler pour obtenir puis préserver son indépendance. À sa naissance, la lutte politique entre Français et Allemands sur l’orientation de l’institution est âpre. Jacques Chirac souhaite par exemple que le premier dirigeant de la BCE soit un Français, craignant l’idée d’un acteur central trop acquis à la conviction allemande selon laquelle il faut lutter contre l’inflation quel qu’en soit le coût macroéconomique.
Dans cette perspective, de nombreux économistes et responsables publics ont accusé l’institution de Francfort d’être trop soumise aux intérêts allemands, en particulier au moment de la crise grecque (2008-2011). À partir de 2011, ce sont les Allemands eux-mêmes qui ont protesté contre le virage vers les politiques monétaires non conventionnelles amorcées par le président de la BCE de l’époque, Mario Draghi (voir plus bas).
Enfin, l’indépendance d’une banque centrale, aussi importante soit-elle, n’est jamais gravée dans le marbre. En attestent les pressions répétées qu’a reçu Jerome Powell tout au long du mandat de Donald Trump. Ce dernier a critiqué publiquement et à plusieurs reprises les décisions du patron de la Fed. Il l’a accusé d’être « fou », « hors de contrôle », ou encore « un golfeur qui ne sait pas putter ». Il a également exercé des pressions directes sur Jerome Powell, en le convoquant à plusieurs reprises à la Maison Blanche pour tenter d’infléchir la politique monétaire.
Christine Lagarde souffle les bougies
Christine Lagarde, sur Twitter, le 25 mai.
La présidente de la BCE a de l’humour ! Son tweet fait référence au désormais fameux “whatever it takes” prononcée par Mario Draghi, son prédécesseur, le 26 juillet 2012, pour signifier que la BCE ferait tout ce qui est nécessaire pour préserver la survie de l’euro, alors en pleine crise des dettes souveraines.
Ce qu’il a fait, mettant en œuvre des politiques monétaires dites non conventionnelles : baisse des taux d’intérêt directeurs à des niveaux historiquement bas, voire négatifs ; rachat massif d’actifs financiers (obligations souveraines, titres privés, etc.) sur les marchés secondaires…
Que la BCE survive n’était pas une évidence
« La BCE est devenue une évidence et c’est sans doute le signe le plus éclatant de son succès. Il faut se souvenir que dans les années 1990, elle était attaquée de toutes parts. Les partis eurosceptiques ainsi que beaucoup d’économistes, notamment aux Etats-Unis, critiquaient l’idée même d’une politique monétaire commune, impossible selon eux avec des économies aussi hétérogènes. Aujourd’hui, presque plus personne ne remet en question son existence. »
Éric Monnet, directeur d’études à l’EHESS et professeur à la Paris School of Economics, dans une interview aux Echos, le 23 mai 2023.
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