Glaçante, l’expression « Airpocalypse » est née dans les journaux chinois au tournant des années 2010 pour désigner les épais brouillards de pollution dont la plupart des villes s’étaient fait une spécialité. Mais en janvier 2013, c’est un pic plus dramatique que les autres qui va sortir le premier pollueur de la planète de son déni. À Pékin, la concentration de particules fines dans l’air frôle les 1 000 microgrammes par mètre cube (en France, le seuil d’alerte est à 80).
Économie à l’arrêt, hôpitaux surchargés : « C’était un électrochoc, aussi bien pour la population que pour les dirigeants qui ne pouvaient plus nier les risques pour la santé », se souvient l’entrepreneure Nathalie Bastianelli, ex-résidente à Pékin et autrice de Quand la Chine s’éveille verte… (éd. de l’Aube, 2021).
Des objectifs trop ambitieux
Au pied du mur, le président Xi Jinping déclare alors ouverte la « guerre contre la pollution ». Outre des mesures radicales d’urgence telles que la fermeture ou la délocalisation d’industries polluantes (4 000 usines fermées à Pékin en cinq ans), le pouvoir central engage un Green Building Action Plan et hisse l’urbanisme durable au rang des priorités de son treizième plan quinquennal (2016-2020).
Les objectifs sont trop ambitieux pour être tenables, mais ils montrent la voie, par exemple celle qui consiste à atteindre 50 % des nouvelles constructions certifiées durables en 2020 ou la réhabilitation de 400 millions de mètres carrés de logements urbains existants (quatre fois la superficie de Paris).
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Laboratoire du monde ?
En 2018, le concept de « civilisation écologique » est inscrit dans la constitution, visant « l’harmonie entre les humains et la nature ». Dans le même temps, « la Chine décide qu’elle ne veut plus être l’usine du monde, mais son laboratoire », explique Nathalie Bastianelli, qui s’attarde dans son livre sur des exemples emblématiques comme la ville portuaire de Shenzhen, cœur industriel du pays rebaptisée la Silicon Valley verte.
Cette métropole de 13 millions d’habitants, qui accueille des multinationales comme Huawei, Microsoft, Apple ou Airbus, est aussi une ville pionnière pour le développement durable. Ses 942 parcs et son taux de couverture végétale des zones bâties dépassant les 45 % lui ont valu d’être classée première ville-jardin de Chine par l’ONU Environnement.
En 2018, la métropole a également été la première au monde à convertir ses taxis et ses bus à l’électrique (malgré un mix électrique majoritairement charbonné). L’achat de véhicules électriques y est fortement subventionné tandis que les modèles thermiques subissent des restrictions routières.
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La ville modèle de Xiong’an
Résultat, Shenzhen est aujourd’hui l’une des villes de Chine où l’on respire le mieux, elle compte aussi la population la plus jeune du pays. Avec 14 autres villes pionnières, dont Pékin, Shenzhen s’est fixée en 2015 des frontières destinées à limiter l’étalement urbain. Il faut dire que la surface urbanisée a crû de manière fulgurante, de 19 km2 en 1979 à plus de 2 000 km2 aujourd’hui.
À côté des mégalopoles historiques, plusieurs centaines de villes nouvelles, sorties de terre ou en voie de le faire, font aussi office de laboratoires écologiques. À 100 kilomètres de Pékin, la ville modèle de Xiong’an doit permettre à la fois de désengorger la capitale et servir de vitrine à l’international.
À terme, l’administration centrale devrait migrer dans un de ses quartiers high-tech et autosuffisants. À Liuzhou, dans le sud du pays, une ville-forêt autosuffisante en énergies renouvelables (solaire et géothermie), devrait accueillir 30 000 chanceux.
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Risque de villes fantômes
Plusieurs projets font l’objet de partenariats avec l’étranger comme l’éco-cité de Tianjin (avec Singapour) ou l’éco-ville de Wuhan (avec la France). « Il y a une diplomatie des villes écologiques. Cela permet aux Chinois de se positionner comme un pays moderne, mais aussi d’attirer des capitaux et des savoir-faire. C’est une forme de transfert de connaissances », analyse Guillaume Giroir, géographe spécialiste de la Chine et enseignant-chercheur à l’Université d’Orléans. « Gare aux trompe-l’œil », met-il toutefois en garde.
« Il y a un marketing territorial important, mais l’écart entre l’affichage et la réalité est perceptible », confirme Rémi Curien, auteur d’une thèse sur « la fabrique urbaine en Chine ». À Tianjin, par exemple, les équipements énergétiques et de retraitement des eaux restent inutilisés et la ville est très en retard sur ses objectifs d’habitants.
À Chengdu, dans le Sichuan, les 826 appartements de la cité forestière de Qiyi ont été désertés en raison de la prolifération de moustiques. « Le risque de villes fantômes et de sous-occupation des logements est important », estime Rémi Curien. Surtout, ces chantiers, concentrés sur des programmes neufs, représentent une minuscule fraction du bâti chinois. « Dans son immense majorité, l’urbanisme “ordinaire” n’est pas écologique, prévient Guillaum Giroir, et la surconstruction liée à la bulle immobilière est aussi une gabegie écologique ».
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Accro au charbon
La croissance économique continue de tenir la transition énergétique en échec. La Chine consent depuis plusieurs années à des investissements colossaux (100 milliards de dollars par an) pour faire progresser la part des énergies décarbonées (renouvelables et nucléaire) dans son mix énergétique, de 15,5 % en 2019 à 20 % d’ici 2025. Elle est déjà – et de loin – le plus gros producteur mondial d’énergies renouvelables : 32 % du parc photovoltaïque mondial, 28,7 % de la production éolienne et 30 % de la production hydraulique planétaire.

Source : IEA
Elle a également placé le nucléaire au cœur de son programme de transition, avec pour objectif de doubler sa part dans la production d’énergie, actuellement à 3,3 %. Mais malgré ces efforts, le renouvelable représente moins de 5 % du mix énergétique de la Chine, qui reste surtout la championne hors catégorie du charbon. Elle réalise plus de 90 % des mises en service de centrales à charbon dans le monde et en importe massivement.
Résultat, la part du charbon dans l’approvisionnement énergétique du pays stagne depuis plus de 30 ans, autour de 60 %. En cause, l’hypercroissance de l’économie qui génère une hausse spectaculaire de la consommation d’énergie (multipliée par trois en 20 ans). Le ralentissement annoncé de la croissance permettra peut-être de voir enfin une substitution des énergies fossiles par les énergies décarbonées.
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