
Oui, l’Europe influence encore le monde
Noé Michalon, 27 ans, est chef de la délégation Y7 et délégué chargé du numérique est chargé de mission à l’Ambassade de France au Kenya, diplômé de Sciences Po en journalisme et ancien élève d’Oxford en études africaines.
L’Union européenne est divisée, plus divisée par nature qu’un État. Ses deux concurrents font aussi face à leurs démons : les États-Unis post-Trump sont plus clivés que jamais. La Chine, qui enregistre une baisse de sa population, a besoin de débouchés.
La puissance de celle-ci – dont l’économie s’est vite rétablie– et des États-Unis – où Joe Biden vient d’annoncer un plan de relance deux fois plus élevé que celui de l’Union européenne – peuvent donner l’impression d’une Europe dépassée.
Pourtant, l’UE pèse autant que la Chine et les États-Unis en matière de Standards de pouvoir d’achat (SPA – 16 % du PIB mondial) et dispose d’un levier crucial : son marché intérieur.
Avant la pandémie, l’UE représentait la principale destination d’Investissements directs à l’étranger (IDE) dans le monde (6 400 milliards d’euros fin 2017), dont 35 % étaient détenus par des investisseurs américains. En réglementant son marché, l’UE définit des tendances à l’échelle mondiale et reste le territoire de grandes premières.
La taxation et la régulation des géants du numérique, mise sur la table par la Commission européenne et certains États membres, a poussé Joe Biden à accélérer sur cette question et à proposer un taux mondial plancher de taxation des multinationales.
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Le règlement général de protection des données (RGPD), si imparfait soit-il, a inspiré à l’État de Californie une mesure similaire et la Chine a dévoilé l’an dernier une loi sur la protection des données. La régulation de l’Intelligence artificielle proposée par l’Union européenne en avril dernier pourrait aussi faire date.
Chacun des trois blocs connaît les risques que le déclin de l’un des autres ferait peser sur son économie. L’UE doit en être consciente ; pour rivaliser avec ses deux concurrents, elle doit s’estimer leur égale et se doter de moyens proportionnés. Il n’est pas trop tard. Plus l’Europe est menacée, plus elle comprend l’importance de s’unir.
Bien sûr, la pandémie a démontré des rivalités et divergences entre ses membres. Mais bon gré, mal gré, les crises récentes, le Brexit comme la présidence Trump, l’ont poussée à rester soudée.
C’est en tant que continent le plus durement frappé par le Covid qu’elle a approuvé l’été dernier un plan de relance historique de 750 milliards d’euros composé pour moitié de subventions. Un fait inédit. Les prochaines crises montreront à l’Europe sa voie. À ses membres de la suivre. Ou pas.
Non, l’Europe a du mal à dégager une stratégie crédible
Gabrielle Rousseau, 23 ans, est déléguée au Y7 chargée de l’économie internationale, est étudiante à HEC et à la Fletcher School of Law and Diplomacy de la Tufts University (Boston).
Alors que l’on commence tout juste, en Europe, à entrevoir la fin de la pandémie, l’UE est en retard sur les deux géants que sont la Chine – seule grande économie en croissance en 2020 –, et les États-Unis – dont la reprise, grâce à la vaccination de masse, est déjà largement enclenchée.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’arrivée au pouvoir de Joe Biden n’est pas nécessairement de bon augure pour l’Europe.
La tension d’un côté avec l’Amérique de Trump, de l’autre avec la Chine de Xi Jinping, était un catalyseur formidable pour une Europe indépendante et unie : d’un point de vue économique, en particulier, elle devait réaffirmer son modèle de commerce libre et normatif, ses préoccupations grandissantes autour des problématiques de croissance durable et son système de coopération.
C’était dans ce cadre qu’Emmanuel Macron formulait l’idée d’une Europe puissante sur tous les volets, y compris militaire. Le réchauffement des relations transatlantiques soulève donc de nouvelles questions sur la place de l’Europe entre États-Unis et Chine.
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En témoignent les pressions soudaines exercées par Pékin pour conclure, avant l’investiture de Biden, l’accord sino-européen sur les investissements (AGI). Alors que la Chine y voyait une parade au danger d’un rapprochement transatlantique, les Européens, eux, l’ont perçu comme une opportunité d’entériner des principes d’ouverture, d’équité, de concurrence loyale et de respect de l’environnement.
Si cet accord est conforme aux principes européens, il montre surtout que l’Europe est en quête de victoires rapides pour être reconnue comme puissance au moins normative et pour affirmer son autonomie.
Plutôt que de se lancer dans une logique de blocs, de zones d’influence ou de mise en concurrence mesquine des intérêts américains et chinois, l’Europe doit s’entendre sur une réelle stratégie pour rester un partenaire incontournable dans toutes les négociations économiques mondiales.
Cela doit passer par une réflexion sur la manière de financer et de réformer nos systèmes d’enseignement et de recherche, qui sont les clés de la compétitivité économique.