Dans la foule, des larmes de joie et quelques étreintes d’autocongratulation. Il est tard ce 26 septembre quand Giorgia Meloni entre sur la scène pour annoncer les résultats. Tout sourire, elle est accueillie par de longs applaudissements. « Les Italiens ont envoyé un message clair en faveur d’un gouvernement de droite dirigé par Fratelli d’Italia », proclame-t-elle à son pupitre. En toile de fond, l’emblème de son parti est fièrement représenté. « Un emblème toujours frappé de la flamme, celle-là même qui brûle sur la tombe de Benito Mussolini », rappelle le journal italien La Repubblica.
Dans un pays où la gauche ne parvient plus à convaincre et qui subit de plein fouet la crise économique, ce n’est pas vraiment une surprise. Cela fait des semaines que ces résultats sont attendus : le parti d’extrême droite Fratelli d’Italia (Frères d’Italie) a remporté les législatives, avec une large majorité (26 % des suffrages). Sa dirigeante, Giorgia Meloni, selon la tradition italienne, endosse depuis le 23 octobre le rôle de présidente du Conseil.
Des contraintes européennes
Alors derrière cette flamme tricolore, à quoi doit-on s’attendre d’un point de vue économique ? « Remettre des droits de douane ? S’affranchir du marché unique ? Sortir de l’Union européenne ? Je n’y crois pas cinq minutes, répond franchement Frédéric Farah, économiste spécialiste de l’Italie. On devrait assister à une politique économique qui ne sera en rien révolutionnaire. »
C’est que l’Italie est soumise à plusieurs contraintes. La plus grande ? L’Union européenne. Dans le Plan national de relance et de résilience (PNRR) de l’Italie qui représente 222 milliards d’euros, 191 milliards d’euros sont financés par Bruxelles. Pour les toucher, Rome doit respecter toute une série d’objectifs.
Et puis, il y a l’évolution des spreads (l’écart des taux d’intérêt entre la dette italienne et le point de référence, qui est le taux d’intérêt allemand), qui représente une autre contrainte pour le futur gouvernement. L’Italie est en effet le deuxième pays le plus endetté de la zone euro (plus de 150 % de son PIB) et est donc très vulnérable face à une hausse des taux.
Lire aussi > Que risque l’Italie avec la remontée des taux directeurs de la BCE ?
Fiscalité, pouvoir d’achat, retraites
Si l’Italie n’a plus de levier sur son budget puisque son financement dépend des marchés financiers, ni sur sa monnaie puisque l’UE décide, qu’est-ce qu’il lui reste ? « La fiscalité, poursuit Frédéric Farah. C’est le levier principal. »
L’une des mesures phares du programme de Giorgia Meloni est ainsi l’instauration d’une flat tax, qu’elle envisage d’abord pour les entreprises, puis généralisée à tous. « Une logique typique européenne pour tenter de rendre les entreprises plus compétitives et redonner du pouvoir d’achat aux Italiens. » C’est ce qu’a voulu faire Emmanuel Macron avec le prélèvement forfaitaire unique (PFU) lancé en 2018 et dont les effets sont encore difficiles à mesurer.
Lire aussi > La politique de l’offre a-t-elle fonctionné ?
Mais cette mesure pourrait coûter très cher : selon les estimations, entre 30 et 60 milliards d’euros par an. « Giorgia Meloni a bien compris que pour son électorat, la pression fiscale était vraiment ‘le fonds de commerce’ », rappelle l’économiste.
Flat tax/Taxe forfaitaire/impôt à taux unique
C’est l’application d’un taux unique pour l’imposition des revenus du capital (revenus des capitaux mobiliers -intérêts et dividendes-, les plus-values mobilières, assurance-vie, actions…). En France, le Prélèvement forfaitaire unique (PFU) au taux unique de 30 % est entré vigueur depuis 2018. Il remplace l’imposition progressive existante qui pouvait aller jusqu’à 60,5 % pour les contribuables les plus aisés. L’objectif politique est d’orienter l’épargne vers « l’économie productive » et de limiter l’exil fiscal.
Il faut dire que cet électorat subit les conséquences d’une inflation qui flirtait autour des 8,4 % en août. Un record depuis 1985 ! Pas question donc pour la dirigeante de Fratelli d’Italia de revenir sur les « boucliers » mis en place par Mario Draghi sur les prix du gaz ou de l’électricité.
En revanche, là où Giorgia Meloni affiche un désaccord avec l’actuel président du Conseil, c’est sur la question des retraites. À l’heure où l’Italie connaît une hémorragie démographique (400 000 naissances, pour 746 000 décès en 2021), le sujet fait l’objet d’oppositions depuis 15 ans : « La loi Fornero, en 2011-2013, obligeait les Italiens à travailler jusqu’à 67 ans. En 2018, [le parti populiste d'extrême droite] La Ligue et [la formation antisystème] Cinq étoiles avaient assoupli le dispositif pour permettre aux gens de partir plus tôt en retraite. Mais Draghi l’a remodifié ensuite », détaille Frédéric Farah.
Fratelli d’Italia pourrait donc à nouveau alléger les modalités, au risque de créer des tensions avec l’Union européenne, puisque les recommandations de Bruxelles encouragent davantage à réduire le poids des retraites sur les finances publiques.
Lire aussi > Mario Draghi : un bon économiste fait-il un bon chef de gouvernement ?
Libérale et conservatrice
Parmi les autres points du programme économique de Meloni, se trouvent une possible fin du revenu de citoyenneté (sorte de RSA), des allocations pour encourager à la natalité et des relocalisations d’entreprise sur le territoire italien. Mais ces mesures et les moyens de les mettre en œuvre restent encore très flous.
Ce qui est sûr, en revanche, « c’est qu’il n’y a rien d’effrayant d’un point de vue économique dans ce programme. C’est une politique classique de droite ou d’extrême droite, commente Frédéric Farah. Giorgia Meloni est une femme d’inspiration libérale, conservatrice, une sorte de ‘Berlusconi en plus extrême et d’aujourd’hui'. Il n’est pas question de nationaliser ou de multiplier les participations dans les entreprises par exemple ». Celle qui vient du nord de l’Italie, région riche et industrielle, ne veut surtout pas se mettre les entreprises à dos.
Un souverainisme identitaire
Est-ce à dire qu’économiquement, Meloni a la bonne recette ? Hélas, « jouer sur la fiscalité, faire des incitations ici et là risquent de ne pas être suffisant, répond le spécialiste. Elle ne va pas s’attaquer au cœur des problèmes : la productivité, la crise démographique, le marché du travail, l’intégration des jeunes sur le marché du travail… »
Finalement, Fratelli d’Italia masque un programme économique « assez banal et sans doute inefficace » derrière ce qui fait la source de la peur des Européens : des propositions sociétales dangereuses. Giorgia Meloni tient en effet des discours anti-LGBT, anti-avortement et anti-immigration. Un peu comme si « le flambeau du souverainisme n’était plus politique et économique, mais qu’il avait pris une forme purement ethnique et identitaire ».
* traduit par Courrier international.
Dans les chapitres du programme de SES :
Terminale : « Quelles politiques économiques dans le cadre européen ? »
Première : « Voter : une affaire individuelle ou collective ? »
Seconde : « Comment s’organise la vie politique ? »