Les 28 et 29 avril 1996, Martin Bryant, 28 ans, commet la plus grande tuerie de masse de l’histoire de l’Australie. Dans la station balnéaire de Port Arthur (Tasmanie), il tue 35 personnes.
Moins de deux semaines plus tard, le Premier ministre australien John Howard déclare : « Nous ne voulons pas importer cette maladie américaine en Australie ». À cette époque, les armes à feu ne sont que très peu réglementées par le gouvernement australien.
John Howard promeut alors une réforme, le NFA (National Firearms Agreement) pour contrôler les armes, en incorporant une méthode innovante : le rachat obligatoire, en incluant des sanctions sévères pour ceux qui ne les rendraient pas.
Un rachat obligatoire
En deux ans, l’Etat australien, pour diminuer le nombre d'armes à feu en circulation, rachète à leurs propriétaires près de 650 000 fusils automatiques et semi-automatiques et armes de poings, jugés illégaux, soit près de 20% des armes présentes sur le territoire. Une mesure estimée à 270 millions de dollars à l’époque et financée par des hausses d’impôts.
Cette réforme interdit en parallèle la vente de fusils automatiques et semi-automatiques, oblige l’enregistrement des armes au nom de leur propriétaire, le passé judiciaire de ce dernier étant scuté lors de l’achat. Il faut également justifier d’une raison valable pour acheter une arme, l'auto-défense n’étant plus considérée comme un motif recevable.
Quelques années plus tard, le bilan est positif. Le taux d’homicide a baissé de 59% entre 1995 et 2006, selon une étude de deux chercheurs australiens, Andrew Leigh, de l’Australian National University et Christine Neill, de la Wilfrid Laurier University, et « le rachat a presque réduit de moitié la part des ménages australiens possédant une ou plusieurs armes à feu », expliquent les deux chercheurs.
Depuis 1996, aucune tuerie de masse n’a eu lieu. En 2016, en réaction à une attaque à Sydney en 2014 qui a fait trois morts, le gouvernement récupère 26 000 nouvelles armes à feu. En parallèle, il décrète une amnistie nationale pour les détenteurs illégaux d’armes. En vigueur sur un temps réduit (quelques mois), cette amnistie permet aux détenteurs illégaux de ne pas être condamnés.
Pour le gouvernement australien, l’enjeu est de contrôler ces armes illégales, pour « limiter les fusillades et le terrorisme ». Les autorités ont annoncé avoir récupéré près de 50 000 armes à cette occasion.
Aujourd’hui, posséder illégalement une arme en Australie est passible de 14 ans de prison et 190 000 euros d’amende. Selon les autorités, il y aurait 3,7 millions d’armes légales et 260 000 illégales en circulation, pour environ 25 millions d’habitants.
Une solution pour les Etats-Unis ?
En Australie, le NFA avait aussi bénéficié d’un large consensus politique, permettant au premier ministre conservateur d'aller au bout de sa réforme. Aux États-Unis, un tel consensus n'existe pas : si l'opinion publique en faveur d'une réglementation plus stricte progresse, une confiscation ou une interdiction reste rejetée par la majorité de la population. Environ 30% des Américains détiennent une arme à feu.
Les chiffres sont sans commune mesure entre les deux pays. Sur l’année 2020, 11,3 millions d’armes à feu ont été produites sur le territoire américain, selon le dernier rapport du ministère de la Justice. Dans un pays aux 370 millions d’habitants, près de 400 millions d’armes seraient en circulation en 2020 (108 armes pour 100 habitants, contre 16 pour 100 en Australie).
Mettre en place aux États-Unis, la réglementation asutralienne de 1996 impliquerait le rachat de près de 80 millions d’armes. En reprenant les chiffres australiens de l’époque, le coût pour le gouvernement américain serait proche de 36 milliards de dollars, soit autant que le budget annuel du ministère de la Justice.
Le fédéralisme américain serait aussi un frein à une telle réforme. Chaque État a ses propres lois sur le port d’armes, et décide s’il est nécessaire d’avoir un permis pour en porter et en utiliser une. Et les réglementations sont également bloquées au niveau fédéral, avec comme acteur principal la NRA (National Rifle Association), puissant lobby des armes et ardent défenseur du deuxième amendement. La NRA finance allègrement les campagnes et le parti républicain, comme en témoigne son “don” pour la campagne de Donald Trump en 2017 (près de 30 millions de dollars).