Géopolitique
Immobilier, consommation, inégalités... Le modèle chinois rattrapé par ses problèmes structurels
Sélection abonnésÀ Pékin, la croissance à deux chiffres, c’est du passé. La République populaire doit composer avec une dette énorme, une consommation atone, un vieillissement rapide, le chômage des jeunes et l’absence d’une vraie Sécurité sociale. La deuxième économie mondiale conserve d’énormes atouts, mais sa transformation en économie de consommateurs patine.
Audrey Fisné-Koch
© Getty Images
18 octobre 2017. Au Grand Palais du peuple, place Tian’anmen, à Pékin, le numéro un chinois fait salle comble. Quelque 2 300 hommes et femmes, en costume-cravate pour la plupart, d’uniformes militaires ou de tenues traditionnelles pour certains, ont les yeux rivés sur l’immense scène de l’amphithéâtre.
Il est neuf heures précises quand Xi Jinping fait son entrée sous les applaudissements des délégués venus de toute la Chine. Le secrétaire général préside le 19e congrès du Parti communiste chinois. « Camarades, le socialisme à la chinoise est entré dans une nouvelle ère », répète Xi Jinping. Dans un discours-fleuve de plus de trois heures, le dirigeant détaille son plan pour « hisser la Chine au premier rang du monde ». Un « rêve chinois » qui doit se réaliser d’ici 2049, date du centenaire de la République populaire.
Cinq années se sont écoulées depuis cette promesse de prospérité et force est de remarquer les ombres au tableau. Les indicateurs du pays dessinent un vrai ralentissement.
18 octobre 2017. Au Grand Palais du peuple, place Tian’anmen, à Pékin, le numéro un chinois fait salle comble. Quelque 2 300 hommes et femmes, en costume-cravate pour la plupart, d’uniformes militaires ou de tenues traditionnelles pour certains, ont les yeux rivés sur l’immense scène de l’amphithéâtre.
Il est neuf heures précises quand Xi Jinping fait son entrée sous les applaudissements des délégués venus de toute la Chine. Le secrétaire général préside le 19e congrès du Parti communiste chinois. « Camarades, le socialisme à la chinoise est entré dans une nouvelle ère », répète Xi Jinping. Dans un discours-fleuve de plus de trois heures, le dirigeant détaille son plan pour « hisser la Chine au premier rang du monde ». Un « rêve chinois » qui doit se réaliser d’ici 2049, date du centenaire de la République populaire.
Cinq années se sont écoulées depuis cette promesse de prospérité et force est de remarquer les ombres au tableau. Les indicateurs du pays dessinent un vrai ralentissement.
En juillet, les ventes de détail, qui traduisent les dépenses des ménages, n’ont augmenté que de 2,7 % par rapport à l’année précédente. Le taux de chômage des 19-24 ans flirte avec les 20 %. L’objectif d’une croissance de 5,5 % pour 2022 est mis en doute, y compris par la Banque mondiale et par le Fonds monétaire international, ce dernier prévoyant plutôt une croissance de 3,3 % pour 2022.
Lire aussi > En Chine, la croissance s’essouffle, ce qui pourrait avoir des conséquences mondiales
Éco-mots
Accroissement sur une longue période des quantités de biens et de services produits dans un pays. Sur le court terme, on parle plutôt d’expansion. On retient le Produit intérieur brut (PIB) comme indicateur de croissance.
Graphique : La dette extérieure a progressé de 14 % en 2021. La Chine est le plus gros emprunteur du monde. Les neuf autres pays les plus emprunteurs ont vu leur dette progresser, sur la même période, de 1,9 % en moyenne seulement (World Bank Debt Report 2022). Source : Bank of international settlements.
Une mauvaise allocation du capital
Est-ce la fin du miracle économique chinois ? Les observateurs restent prudents. « Une part du ralentissement de l’économie chinoise est conjoncturelle », souligne Mary-Françoise Renard, économiste, professeure à l’université Clermont Auvergne et responsable de l’Institut de recherche sur l’économie de la Chine (Idrec). « La politique “zéro Covid”, avec des confinements qui se poursuivent, coûte cher à l’économie chinoise. » Mais la pandémie n’explique pas tout…
Après 40 ans d’un incroyable rattrapage économique, c’est au tour de l’Empire du milieu d’être rattrapé par ses problèmes structurels. « La Chine croule sous le poids mort d’une dette excessive [un ratio de dette sur PIB proche des 300 % en 2021, NDLR], causée par une mauvaise allocation du capital sur une échelle massive et une obsession pour les infrastructures coûteuses et pas toujours nécessaires », résume, dans The Diplomat, Plamen Tonchev, chef de l’unité Asie à l’Institute of International Economic Relations (IIER) d’Athènes.
Lire aussi > L'incroyable rattrapage économique chinois de 1990 à aujourd'hui
Marché intérieur à la peine
« Pendant longtemps, pour atteindre ses objectifs de croissance, Pékin a fait de gros investissements dans des secteurs censés générer de la croissance », complète Mary-Françoise Renard. Typiquement ? L’immobilier. Il représente 30 % du PIB chinois et symbolise les dérives de cette politique. Les constructions se sont multipliées, les spéculations et l’endettement aussi. Au point que le promoteur géant Evergrande affiche une dette de 300 milliards de dollars.
Le cercle vicieux de la méfiance s’est installé : les propriétaires refusent de plus en plus souvent de payer les promoteurs à l’avance. Ces derniers manquent de liquidités et n’arrivent plus à vendre ou à finir la construction des logements. Des barres d’immeubles entières, inachevées ou inoccupés, sont détruites.
Lire aussi > Chine : tout comprendre en 8 questions à la crise du géant immobilier Evergrande
Face à l’urgence de la situation, le gouvernement chinois a instauré une politique dite des « trois lignes rouges », c’est-à-dire des conditions imposées aux promoteurs qui veulent s’endetter. Mais les Chinois seront difficiles à convaincre d’investir à nouveau dans ce secteur, jadis attrayant. D’après la société de recherche économique Capital Economics, plus de 30 millions de logements n’ont pas trouvé d’acheteurs en 2021.
Une économie basée sur les exportations
Globalement inquiets pour l’avenir, les Chinois préfèrent épargner plutôt que consommer. C’est le cas pour 58,3 % d’entre eux au second trimestre 2022, d’après un sondage de la Banque centrale chinoise. Cette préférence pour l’épargne est une cause profonde du ralentissement : le « pays atelier » n’a pas réussi à développer son marché intérieur, c’est-à-dire à se transformer en une économie basée sur la consommation. L’essentiel de l’économie chinoise repose encore sur les exportations (elles représentent 18,5 % du PIB en 2020, contre 10,2 % pour les États-Unis).
Cet échec de la transition, Mary-Françoise Renard l’explique notamment par l’absence d’ambition sociale : « Les politiques de redistribution ou sociales n’existent pas en Chine. Les inégalités y sont très fortes, d’autant qu’il n’existe pas de soutien pour le financement de l’éducation ou de la santé, deux services très coûteux pour les ménages chinois. Les pensions sont faibles, au point qu’il est courant de continuer à travailler après sa retraite. »
Graphique : Inquiets pour l’avenir et toujours soumis à des confinements, les Chinois préfèrent épargner plutôt que de consommer ou d’investir dans l’immobilier. (Source : “China’s Economy is Beset by Problems”, The Economist.)
L’innovation freinée par le Parti
« Elle façonnera la trajectoire économique de la Chine. Mais comme toujours, le besoin de contrôle du parti communiste chinois limitera le rythme de l’innovation », projettent dans Foreign Affairs les chercheurs Oriana Skylar Mastro et Derek Scissors. Depuis son arrivée au pouvoir, « Xi Jinping a attaqué les entreprises technologiques privées et a souvent découragé la concurrence ». Les moyens utilisés ? Amendes, obligation pour les géants de la tech de scinder leurs applications ou de dévoiler la recette de leurs algorithmes, récupération des données privées, omniprésence du Parti dans les firmes…
Officiellement, la politique menée a pour but d’atténuer les déséquilibres (inégalités, fraude, corruption). Elle est surtout le moyen de garder les entreprises dans la ligne du parti communiste, empêchant au passage qu’elles ne deviennent trop puissantes et ne concurrencent l’État central.
Lire aussi > En Chine, entreprendre c’est aussi risquer sa vie
Exemple emblématique : en 2020, Jack Ma, le patron d’Alibaba, avait dû renoncer à la mise en Bourse de sa FinTech Ant Group, puis avait écopé d’une amende colossale (18,2 milliards de yuans, soit 2,34 milliards d’euros) pour abus de position dominante. Une façon de frapper un grand coup pour effrayer et mettre au pas les tycoons chinois.
Les politiques de redistribution ou sociales n’existent pas en Chine. Les inégalités y sont très fortes, d’autant qu’il n’existe pas de soutien pour le financement de l’éducation ou de la santé, deux services très coûteux pour les ménages chinois.Mary-Françoise Renard
Économiste, professeure à l’université Clermont Auvergne et responsable de l’Institut de recherche sur l’économie de la Chine (Idrec).
Un système de protection sociale trop faible
De quoi décourager la population d’avoir des enfants ? Peut-être. La Chine affronte un gros problème démographique. En 2021, son taux de natalité a connu un record à la baisse (7,52 naissances pour 1 000 habitants, contre 13,36 en 2001), tandis que la population vieillit de plus en plus vite (plus d’un Chinois sur trois aura plus de 60 ans d’ici 2050) et que la population d’âge actif baisse. Quelques mesures ont bien été prises pour relancer la natalité (allongement du congé maternité dans certaines provinces, allocations), mais elles ne s’attaquent pas aux problèmes structurels.
Si Pékin veut des résultats, « il va falloir améliorer le système de protection sociale afin d’offrir des conditions de vie décentes à une population âgée en croissance rapide ; et adapter son économie à une main-d’œuvre disponible moins nombreuse, avec les hausse de salaires correspondantes », résume Isabelle Attané, démographe et sinologue. « Le risque, c’est que la Chine soit vieille avant d’être riche », poursuit-elle.
Source : Chine, Bureau of statistics.
Despotisme « éclairé »
Pour autant, la deuxième économie du monde garde de solides atouts. « Les autorités chinoises disposent de leviers politiques pour répartir les pertes et amortir les chocs », explique Christophe Destais, économiste et directeur adjoint du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII). En réponse aux maux conjoncturels, la Banque centrale chinoise (BPC) a annoncé en août une baisse de deux taux directeurs de référence, atteignant un plus bas historique.
Ce n’est pas le seul instrument entre les mains Pékin : « La Chine peut avoir recours à des mécanismes interdits aux démocraties. Elle pratique une sorte de despotisme éclairé sur le plan économique. » Au tournant des années 2000, se souvient l’expert, Pékin avait su gérer la crise grâce à un système de défaisance (transferts des créances bancaires). De manière générale, les autorités savent profiter des situations complexes, quitte à spéculer : « En 2022, sur le marché des matières premières, la Chine achète à bon prix ce que la Russie, en guerre, n’arrive pas à vendre aux autres pays. »
Lire aussi > Chine, le pouvoir de l'État n'est pas si absolu
Et puis, à l’échelle du monde, la Chine reste un exportateur majeur. « Bien sûr, il n’y a pas assez de demande intérieure, mais du point de vue macroéconomique, les produits chinois se vendent toujours à l’étranger », confirme Mary-Françoise Renard. En 2021, l’excédent commercial chinois affichait un niveau record de 676,4 milliards de dollars (contre 154,9 milliards en 2011)… Quadruplé en 10 ans !
676,4
En milliards de dollars, ce que représentait l'excédent commercial chinois en 2021, contre 154,9 milliards en 2011.
Source : Statista
Leader en 5G et stockage de l’énergie
Pékin a encore de belles cartes à jouer pour étendre son rayonnement, à commencer par les nouvelles technologies : FinTech, GreenTech, intelligence artificielle… En 2019, la Chine avait consacré 515 milliards de dollars à la Recherche et au Développement (R & D), contre 612 milliards de dollars pour les États-Unis. Des dépenses seront amenées à augmenter dans la décennie à venir.
Et même si la Chine n’a pas atteint son objectif d’autonomie technologique vis-à-vis de l’étranger (elle reste dépendante d’autres pays pour des équipements de pointe), même si elle se positionne davantage sur la recherche appliquée que sur la recherche fondamentale (l’imitation plutôt que l’innovation), « elle a déjà rattrapé le reste du monde dans des domaines clés comme la 5G ou le stockage de l’énergie », rappellent dans Foreign Affairs les chercheurs Oriana Skylar Mastro et Derek Scissors.
Le pays s’illustre comme producteur numéro un de panneaux solaires ou de batteries pour les véhicules électriques. « Les importants gisements de terres rares ou l’accès à des ressources naturelles confèrent également à la Chine un avantage comparatif sur ses concurrents », précise Plamen Tonchev. Cela ne fait donc aucun doute : Xi Jinping devra peut-être revoir ses ambitions à la baisse, l’Empire du milieu restera un géant économique.
Lire aussi > Daron Acemoğlu : « La démocratie reste la meilleure alliée de la croissance »
Quand le Japon pleurait sa « décennie perdue »
L’un des risques du ralentissement chinois, c’est le « syndrome japonais », alerte Christophe Destais, du CEPII. « C’est-à-dire ne pas en faire assez pour assainir l’économie, accumuler des investissements qui n’ont pas de rentabilité (ni sociale, ni économique, ni financière) et se retrouver dans une situation où l’ensemble des agents économiques ne sont plus en mesure de financer une croissance acceptable de l’économie. »
C’est ce qu’il s’est passé à la fin des années 1980 au Japon. Les autorités nipponnes n’ont pas agi assez fort et assez tôt pour éviter l’éclatement d’une bulle immobilière. S’ensuivra une longue période de déflation monétaire et de croissance faible, la « décennie perdue ».
Lire aussi > Au Japon, cette dette énorme qui n’inquiète pas les marchés ni les citoyens
La Chine croule sous le poids mort d’une dette excessive, causée par une mauvaise allocation du capital sur une échelle massive et une obsession pour les infrastructures coûteuses et pas toujours nécessairesPlamen Tonchev,
Chef de l’unité Asie à l’Institute of International Economic Relations (IIER) d’Athènes.
Cet article est issu de notre numéro consacré à l'économie chinoise, disponible sur notre boutique en ligne.
Dans le programme de terminale SES :
« Quels sont les sources et les défis de la croissance économique »
« Quels sont les fondements du commerce international et de l’internationalisation de la production ? »
- Accueil
- Monde
- International
Immobilier, consommation, inégalités... Le modèle chinois rattrapé par ses problèmes structurels