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Le plan infrastructures de Biden pour combler l'incroyable retard américain

Pour augmenter la compétitivité du pays, le président américain a signé un plan d’investissement à 1 200 milliards de dollars. Les infrastructures en ont besoin, notamment dans les secteurs clés comme l'Internet haut débit ou le transport ferroviaire. 

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© Pierre de Sable, FlickrPierre de Sable, Flickr

« Voilà mon message aux Américains : l’Amérique va de nouveau aller de l’avant et votre vie va changer pour le meilleur. » C'est ainsi que s'est exprimé Joe Biden, le 15 novembre en promulguant son gigantesque plan d’investissement. Quelque 1 200 milliards de dollars (soit 1 048 milliards d’euros) sont destinés à l’amélioration des infrastructures américaines, avec pour objectif d’augmenter la compétitivité et la croissance potentielle du pays.

« Seuls 550 milliards de dollars sur les 1 200 sont des fonds nouveaux, qui seront utilisés sur dix ans », rappelle Anne Deysine, professeure à l’université Paris-Nanterre et autrice du livre Les États-Unis et la démocratie (L’Harmattan, 2019). Les autres sommes « étaient déjà dans les tuyaux » et avaient été versées dans le cadre d’autres programmes, comme le plan de relance de 2021, en réaction aux conséquences économiques de la pandémie de Covid-19.

Éco-mots

Croissance potentielle

Capacité à long terme de l’économie de croître. Des infrastructures de bonne qualité et des équipements adaptés comme des bornes de chargement de véhicules électriques, augmentent la productivité du transport de marchandise et, à long terme, de la croissance.

Des mises à jour nécessaires pour rattraper le retard

Pour améliorer la compétitivité du pays sur le long terme et encourager le verdissement de la société, investir dans les infrastructures ferroviaires à grande vitesse est un choix qu'Obama et Biden, alors vice-président, avaient fait dès 2008.

« L’administration jugeait que le pays était en retard dans ce domaine », se souvient Charlotte Ruggeri, géographe et spécialiste du rail américain. La Chine inaugurait alors ses premières lignes à grande vitesse. « Il y a eu, aux États-Unis, un désinvestissement massif des compagnies ferroviaires dans le transport de voyageurs pour se concentrer sur le fretPour encourager la population à prendre le train, il faut améliorer ces infrastructures. »

La loi consacre au ferroviaire 66 milliards de dollars. Alors que le TGV français atteint une vitesse maximale de 575 km/h et une vitesse moyenne de 320 km/h, le train le plus rapide des États-Unis, Amtrak Acela Express, roule au maximum à 266 km/h et à 241k m/h en service régulier. Mais le rail américain s’est équipé des nouveaux trains Avelia Liberty – roulant à 300 km/h, ils devraient être mis en service en 2022. 

Est-ce suffisant ? « Il faudrait 50 milliards de dollars uniquement pour améliorer la ligne reliant New York, Boston et Washington », note la géographe. Mais  « Amtrak court malgré tout derrière l’argent ». Le budget de la compagnie ferroviaire publique est voté régulièrement par le Congrès et reste assez faible, contrairement à celui des autoroutes, plus fixe car financé par des taxes sur l’essence.

Autre secteur en retard : l'Internet à haut débit, dont le développement sera accompagné à hauteur de 65 milliards de dollars. « En Europe, l’accès à Internet est de bonne qualité. Mais aux États-Unis, il est limité, même dans les grandes villes », constate Jérôme Héricourt, professeur d’économie internationale et conseiller scientifique au Cepii.

Quelque 65 autres milliards permettront de rénover le réseau électrique et 110 milliards de dollars sont consacrés aux routes et aux ponts. Car parmi les 614 387 ponts américains, 40 % ont cinquante ans ou plus et 9,1 % d’entre eux avaient une structure déficiente en 2016, selon le rapport sur les infrastructures américaines publié en 2017.

L’atout du plan, selon la géographe, c’est l’investissement engagé dans la rénovation et l’amélioration des infrastructures existantes. « Depuis les années 1960, les États et le gouvernement fédéral ont du mal à choisir entre investir dans de nouvelles infrastructures et améliorer les anciennes. »

Financer les infrastructures par la dette publique

Le plan d’investissement va se financer à la mode du « quoi qu’il en coûte » : avec de l’endettement public, selon Jérôme Héricourt. À l’origine, Joe Biden souhaitait financer les investissements en augmentant de 15 % l’impôt des plus riches ménages et l’impôt sur les sociétés. « Ce projet est tombé dans les limbes : il s’est perdu dans le processus de négociation avec le Congrès, » analyse le chercheur.

Joe Biden espère aussi, avec ces investissements publics, générer de l’emploi dans les secteurs concernés, comme les télécoms et le bâtiment, dans une logique keynésienne, de relance de l’activité économique par la demande publique.

Éco-mots

Multiplicateur keynésien

Pour Keynes, l’investissement entraîne une augmentation du revenu distribué de niveau égal. Le niveau de la consommation augmente ce qui accroît les débouchés pour les producteurs de biens de consommation. Ils vont alors augmenter leur production et distribuer autant de revenus, et ainsi de suite.

Un cercle vertueux dont doute Jérôme Héricourt, compte tenu de l’état actuel de l’économie américaine : « Les effets ne sont pas suffisants pour compenser la hausse des dépenses antérieures et les déficits publics. »

À lire Tout comprendre aux plans de relance Biden en cinq questions

Alors pour financer le plan, il y aura un « trou budgétaire » dans le bilan de l’administration Biden. Les républicains craignent l’augmentation de la dette publique, mais l’économiste estime que cette peur est avant tout un argument politique destiné à réduire la taille des plans d’investissement.

Selon le chercheur « le remboursement économique est une question secondaire, étant donné les conditions auxquelles les États se financent de façon générale en ce moment. Le financement du plan est le dernier des soucis de l’administration Biden. »

Une inflation record menace

Ce qui cause des cauchemars aux démocrates américains, c’est le retour au premier plan de l’inflation. Elle atteint son plus haut taux depuis 1990. Sur douze mois et jusqu’à octobre, les prix à la consommation ont augmenté de 6,2 %.

Evolution inflation Etats-Unis 2021

Face à ces résultats, le ton de la Maison Blanche a changé. Dans un communiqué Joe Biden a reconnu que l’inflation « faisait mal au portefeuille des Américains », et qu’inverser la tendance était « une priorité absolue ». De quoi probablement signer la fin de l’ère des mégas plans de relance Biden. Les dollars ne pleuvront plus par milliards.

Discordes entre démocrates

Si ce vaste plan d’investissements à hauteur de 1 200 milliards de dollars a été approuvé par le Sénat en août, les modérés Joe Manchin et Kyrsten Sinema dénoncent un plan trop coûteux et s’inquiètent d’effets inflationnistes, les plus radicaux dénoncent un texte vidé de ses avancées sociales et écologiques. À l’origine, selon la proposition de mars, le plan devait engager 2600 milliards de dollars dans six secteurs. Il en engage désormais 500 milliards, dans trois secteurs.

« Ce n’est pas un renoncement total », temporise Charlotte Ruggeri, car « si l'on regarde les fonds, l’administration Biden a délaissé dans ce plan les aspects qui y figuraient à l'origine sur le climat. Mais investir dans des infrastructures ferroviaires, urbaines, de canalisation, c’est anticiper sur le dérèglement climatique et sur l’adaptation d’une infrastructure à faire face à des catastrophes naturelles ».

Treize députés républicains ont certes voté pour le plan car leurs électeurs réclament des infrastructures modernes (d'où l'appelation de plan « bipartisan »), mais il est aussi qualifié de « destructeur et de communiste par les médias de droite », analyse Anne Deysine. Jarome Bell, candidat au Congrès pour le Parti républicain, qualifiait le plan de « liste de Noël Communiste » (Communist Christmas list) et de « plan communiste pour détruire l’Amérique » lors de l’émission de radio Breitbart News Saturday.

« Une partie des électeurs américains pro-Trump sont convaincus que cette loi est catastrophique alors qu’elle est absolument nécessaire. Les ponts s’effondrent, les trains entre New York et Washington roulent moins vite que les TGV, il y a des trous dans les routes… Réparer les États-Unis en permettant à l’État d’envoyer l’argent où les électeurs en ont besoin et montrer que la démocratie fonctionne », voilà les objectifs du gigantesque plan, conclut la spécialiste.