L’essentiel
- À l’image du Qatar, de nombreux pays autoritaires et riches en hydrocarbures ont fait le choix d’investir dans le sport
- Cet investissement peut être une bonne stratégie en raison des externalités positives du sport sur l’économie
- Mais cette politique publique est aussi coûteuse et surtout à double tranchant : elle peut se retourner contre les autorités
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S’il ne faut pas « politiser le sport » selon une déclaration récente d’Emmanuel Macron, la diplomatie sportive, comme outil de rayonnement à l’échelle internationale, est pourtant un enjeu de premier plan pour les États, qui s’arrachent les grandes compétitions.
Pour organiser la Coupe du monde de football, apogée de sa stratégie engagée il y a plus de 20 ans, le Qatar aurait déboursé 220 milliards de dollars, d’après une étude menée par Front Office Sports. Un record pour la compétition, une somme quinze fois supérieure à celle du Brésil en 2014, deuxième plus chère de l’histoire. Mais pour quel retour sur investissement ?
Un acteur international devenu incontournable
Organisation de Championnats du monde (handball en 2015, cyclisme en 2016, athlétisme en 2019, natation en 2024), sponsoring d’événements à l’étranger (Prix de l’Arc de Triomphe), lancement de chaînes de télévision (beIN Sports), création de l’académie « Aspire » censée former les futurs champions et rachat du PSG en 2011…
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Le Qatar est devenu, en une vingtaine d’années, « grâce à une stratégie vraiment ambitieuse, progressivement planifiée et structurée », comme le rappelle Jean-Baptiste Guégan, spécialiste en géopolitique du sport, un acteur majeur du monde sportif. « C’est une stratégie à 360 degrés. L’objectif, c’est d’être partout à la fois. D’organiser, d’exister, de financer, d’entrer dans les instances », reprend celui qui voit dans les monarchies du Golfe, à l’image aussi des Émirats arabes unis, de l’Arabie saoudite depuis peu ou du Bahreïn dans une moindre mesure, les pays actuellement les plus investis dans la diplomatie sportive.
« Pour le Qatar, le point d’orgue est atteint dès 2010 avec l’obtention de la Coupe du monde de football », rappelle Carole Gomez, directrice de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et assistante diplômée en sociologie du sport à l’Université de Lausanne. « L’un de ses objectifs était de se faire connaître sur la scène internationale, d’arriver à devenir un État crédible d’un point de vue politique, économique et diplomatique. Tout le monde connaît son importance aujourd’hui, on peut donc dire que c’est réussi », poursuit-elle, citant notamment l’exemple des pourparlers sur la question afghane, organisés à Doha.
« Forcément, c’est très cher payé. Mais leur retour sur investissement est à la hauteur des attentes. Cette stratégie d’influence leur a permis de garder leur souveraineté, leur indépendance et de continuer à préparer l’avenir. Et aussi de rendre plus sportive la jeunesse qatarienne pour faire face aux maladies endémiques des pays du Golfe (maladies du sang, problèmes d’obésité, de diabète) », détaille Jean-Baptiste Guégan, auteur du livre Géopolitique du sport, une autre explication du monde.
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Une économie à diversifier pour un territoire plus attractif
Fustigé de toutes parts pour ses atteintes aux droits humains, à l’environnement et des soupçons de corruption, le Qatar espérait aussi se donner « une image sympathique et positive » avec l’organisation du Mondial, comme le rappelle Carole Gomez. « Sur ce point, le bilan semble pour le moins mitigé même s’il est important, à mon sens, d’avoir en tête le prisme très occidental que l’on peut avoir sur un certain nombre de critiques ». L’indignation très présente en Europe a en effet beaucoup moins de relais hors du continent.
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Concernant la diversification économique enfin, l’un de ses autres objectifs prioritaires, en tant que petit émirat aux ressources naturelles (pétrole, gaz) pas illimitées, le résultat de l’investissement public est cette fois plus difficile à analyser. « On n’a pas encore la réponse. Il faudra mener une étude sur le long terme », ajoute la chercheuse.
Une certitude pour Jean-Baptiste Guégan : le Qatar s’inscrit bien dans « une économie du divertissement », qui passe par le sport, pour diversifier ses revenus. « L’idée est de faire du pays une destination attractive. Il espère six millions de touristes annuels d’ici 2030 », explique-t-il. Soit trois fois plus qu’en 2019, l’année avant la pandémie de Covid-19.
La Russie plombée par le dopage et la guerre
Si la diplomatie sportive s’est révélée être un investissement porteur au Qatar, elle n’a pas toujours été une réussite dans l’histoire de ceux qui l’ont utilisée. Pour Carole Gomez, deux exemples sont significatifs : l’Azerbaïdjan, déjà, « qui a beaucoup investi dans le sport au début des années 2010 sans néanmoins bénéficier d’une aura plus positive aujourd’hui » ; la Russie, ensuite, « qui avait fait de cette diplomatie un vrai axe stratégique de sa politique extérieure et intérieure » depuis l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, en 2000, mais qui a été plombée par « les affaires de dopage » et « l’invasion de l’Ukraine », la mettant sur la touche du sport international.
« En fait, tout ce qui concerne le soft power se retrouve très rapidement confronté à l’exposition que ça génère. Se montrer, c’est donc aussi parfois montrer le pire, dopage, corruption… Tout ça affecte une diplomatie », éclaire Jean-Baptiste Guégan, qui cite lui parmi les mauvais élèves le Brésil qui, malgré la Coupe du monde de football (2014) et les Jeux olympiques d’été, deux ans plus tard, n’a pas réussi à « ancrer la démocratie » et à tirer les bénéfices de son investissement. « Il y a aussi l’Afrique du Sud. Depuis le Mondial 2010, c’est le néant », rajoute le chercheur.
En Arabie saoudite, le risque d’un investissement trop rapide
Pendant ce temps, de plus en plus de regards sont braqués sur l’un des voisins du Qatar, l’Arabie saoudite, qui s’est massivement emparé de la diplomatie sportive.
« Le pays a fait une entrée tonitruante sur ce sujet en investissant à coups de milliards sur l’accueil de grands événements internationaux, alors qu’il ne s’intéressait avant pas beaucoup au sport comme un outil de rayonnement », expose Carole Gomez.
Avec la Coupe du monde 2030 et les JO 2036 dans le viseur, il a déjà obtenu l’organisation des Jeux asiatiques d’hiver 2029 et d’été 2034, puis racheté le club de Newcastle en Premier League. « Et il va continuer d’investir. Mais c’est un peu trop », prévient Jean-Baptiste Guégan. « Ils vont deux fois plus vite que le Qatar. Ça risque de brusquer l’écosystème ».
Pour quel retour sur investissement ? Trop tôt pour le savoir mais « la logique est à la fois démographique et politique. Il y a une volonté d’assurer la transition quand Mohammed ben Salmane arrivera au pouvoir. Et donner du sport à sa jeunesse, c’est aussi un moyen de la tenir et de lui offrir la modernité qu’elle souhaite », conclut l’expert. Comme une nouvelle démonstration des liens entre le sport et la politique.