Géopolitique
IRA. Protectionnisme aux États-Unis, l’Europe doit-elle riposter ?
Derrière l’Inflation Reduction Act (IRA) américain se cachent des investissements massifs pour la transition énergétique, accompagnés de généreuses subventions pour les véhicules électriques, batteries et énergies renouvelables produits localement. Les industriels européens sont inquiets et demandent un « Buy European Act » en réponse.
Pages animées par David Colle, président de WeiD Prépa, professeur d’économie
© KENNY HOLSTON/NYT-REDUX-REA
Non, cela pourrait nuire à l’Union européenne
En évoquant un BEA (Buy European Act) en réponse à l’IRA (Inflation Reduction Act) américain, l’Europe, la France en particulier, ne se montre pas dupe du plan américain : l’enjeu n’est pas de réduire l’inflation, essentiellement conjoncturelle, mais de renforcer le protectionnisme à la fois par des subventions à des industries d’avenir et par des incitations à la consommation de produits fabriqués sur le territoire américain. C’est en fait à un Buy American Act déguisé qu’un BEA européen répondrait.
S’il s’agit bien d’un plan avant tout protectionniste de la part des États-Unis, un IRA européen serait donc une politique de représailles, contraire aux principes de libre-échange, donc potentiellement synonyme de guerre commerciale. Comme la Nouvelle théorie du commerce international (NTCI) (Paul Krugman) l’a montré, son issue serait très incertaine : la riposte européenne pourrait nuire à l’UE elle-même si l’IRA américain s’avérait plus efficace.
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Éco-mots
NTCI (Nouvelle théorie du commerce international)
Utilise la différenciation des produits, les structures de marché oligopolistiques et la théorie des jeux pour mieux expliquer la réalité du commerce international et montrer que pour un pays, l’efficacité des politiques commerciales et industrielles dépend des réactions qu’elles suscitent chez les autres.
Or, ce plan d’investissement américain de 370 milliards de dollars a pour objectif de réduire, sur 10 ans, le déficit budgétaire grâce à des réformes du système fiscal du système de santé essentiellement. Il faut donc bien distinguer deux questions : faut-il un IRA européen ? L’Europe peut assumer un IRA ? À la première question, la réponse peut être négative : si l’objectif est bien de lutter contre l’inflation, une riposte européenne serait, comme toute politique protectionniste, potentiellement inflationniste. À
la seconde question, la réponse peut aussi être négative, car l’Europe, déjà engagée dans un plan NextGenEU d’investissement dans les technologies vertes, n’a pas les moyens dont disposent les États-Unis pour harmoniser la fiscalité et les systèmes de santé des différents États européens. Et sans harmonisation fiscale, un IRA européen décidé dans l’urgence pourrait s’avérer inefficace en tant que riposte, faire perdre du crédit à l’euro, donc, à nouveau, nuire à la stabilité des prix.
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Enfin, la politique européenne repose sur l’idée, héritée de l’économie sociale de marché, que la concurrence interne est porteuse d’innovations, comme l’illustrent les tissus industriels allemands et japonais. C’est par une « atmosphère industrielle propice » (Alfred Marshall) et des incitations n’impliquant pas nécessairement, comme aux États-Unis, une administration (déjà lourdement endettée) dans un « complexe militaro-industriel » que des secteurs stratégiques tels la santé et les industries vertes seront, demain, plus compétitifs.
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De gauche à droite Fouad Nadra Yazji, Céline Chen, Yohann-Kim Louzier, Eva Bensaid et Danyal Mofid, étudiants du cours d’ESH de WeiD Prépa
Oui, sinon, l’Europe sera définitivement dépassée
L’IRA cache un grand projet de subventions dans des secteurs d’avenir. Laisser sans réponse cette nouvelle politique industrielle américaine déguisée en plan anti-inflationniste reviendrait à offrir aux entreprises américaines des effets d’expérience, des économies d’échelle et la capacité de déterminer la frontière technologique dans les énergies vertes, comme ce fut le cas pour les GAFAM dans les technologies de l’information.
En profitant d’un First Mover Advantage (l'avantage au premieur qui bouge) dans des industries émergentes (Friedrich List), leurs champions nationaux seraient ensuite, en termes de parts de marché mondiales, difficilement détrônables par des entreprises européennes qui auraient renoncé à pratiquer un « protectionnisme éducateur ».
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Éco-mots
First-Mover Advantage
Notion héritée des enseignements successifs de F. List (1841), A. Marshall (1890), P. Krugman (années 1990). Une entreprise (et la nation qui l’abrite) peut, malgré un coût moyen de production plus élevé, être protégée de la concurrence en ayant profité en premier des économies d’échelle.
Un plan européen serait l’occasion de renforcer la coopération européenne sur les volets budgétaire et fiscal, qui manque justement pour faire de la zone euro une zone véritablement optimale (Robert Mundell).
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L’IRA américain constitue une parfaite justification pour un Buy European Act, qui n’aurait rien d’illégitime au regard des politiques protectionnistes et anticoncurrentielles des États-Unis comme de la Chine, pour élever le budget européen, instaurer des eurobonds qu’appellent de leurs vœux des économistes (Michel Aglietta) et renforcer le plan NextGenEU.
Enfin, si l’IRA américain devait effectivement réduire l’inflation, ce serait non pas contre l’inflation de court terme, mais contre une inflation structurelle de long terme, cett dernière s’expliquant par trois facteurs : l’augmentation de la demande d’énergie renouvelables et d’électricité (dont la consommation a été multipliée par cinq dans le monde en une quarantaine d’année et par trois en France et qui augmente également par habitant), la raréfaction des ressources traditionnelles et une transition énergétique, nécessairement graduelle. L’Europe comme les États-Unis sont évidemment exposés à ce risque.
Tandis que le plan américain est susceptible de rendre les États-Unis plus attractifs pour les capitaux internationaux et pourrait faire pression à la hausse sur le dollar relativement à l’euro, l’absence de réaction européenne pourrait aggraver le risque inflationniste de long terme en Europe s’il fallait, demain, s’approvisionner en matières premières traditionnelles et dépendre d’entreprises, de nouvelles technologies et d’énergies renouvelables américaines, plus généralement étrangères, dans un dollar qui serait toujours la monnaie de règlement international et se serait apprécié sur le marché des changes.
De g. à dr.: Alexandre Camps, Marie-Alice Gautier, Salma Lasri, Héloïse Baron et Hadrien Stener, étudiants du cours d’ESH de WeiD Prépa
Les exposés de ces pages s’inscrivent dans le cadre d’un cours de rhétorique et ne reflètent pas les opinions des intervenants.
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