Economie

Japon : tout comprendre aux « Abenomics », la politique économique menée par l’ancien Premier ministre Shinzo Abe

Assassiné en juillet, l’ancien chef du gouvernement japonais est à l’origine des « Abenomics ». Pour l’Éco revient sur ses réformes économiques qui étaient censées mettre fin à des décennies de déflation.

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© Du Xiaoyi/XINHUA-REA

Le 8 juillet, alors qu’il prononçait un discours de campagne à Nara, dans l’ouest du Japon, Shinzo Abe a été assassiné. Ce 27 septembre, des obsèques nationales (et contestées en raison de leurs coûts exorbitants - près de 12,2 millions d'euros) se déroulent à Tokyo.

L’ex-chef du gouvernement, au pouvoir de fin 2006 à fin 2007, puis de 2012 à 2020, était connu pour la politique économique qu’il a menée, surnommée « Abenomics ».

Un contexte déflationniste

Pour comprendre les « Abenomics », un petit retour en arrière s’impose. Entre 1990 et 2010, le Japon subit une série de chocs économiques : éclatement de bulles spéculatives boursières et immobilières, attentats du 11 septembre 2001, effondrement de Lehman Brothers en 2008 ou encore, accident nucléaire de Fukushima en 2011.

Cette succession d'événements plonge le pays dans une longue période de croissance faible et de déflation monétaire. « Après les années 1980 où l’on parlait de ‘miracle japonais’, viennent les ‘décennies perdues’», relate Thomas Grjebine, économiste au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII). C’est pourquoi, lorsqu’il arrive au pouvoir en 2012, Shinzo Abe veut relancer durablement la croissance, à 2 % contre 0,8 % en moyenne sur 2002-2012 et 0,1 % sur 1992-2012.

Éco-mots

Déflation

Baisse générale et durable des prix, a contrario de l’inflation. Le risque est de voir apparaître une spirale déflationniste, c’est-à-dire un cercle vicieux qui maintient l’économie dans une période de déflation. La baisse des prix engendre alors une réduction des marges des entreprises ; qui baissent les salaires. Le pouvoir d’achat des ménages diminue et la consommation recul. Face à ce choc de demande négatif, les prix continuent de diminuer.

La stratégie des trois « flèches »

Pour enrayer la déflation, le chef du gouvernement ouvre les vannes avec un programme s’appuyant sur trois « flèches » : budgétaire, monétaire et réformatrice, que l’on appelle les « Abenomics ».

Sur le volet budgétaire, Shinzo Abe mise sur une relance massive en encourageant l’activité via d’importants plans de soutien à l’économie (une centaine de milliards d’euros). À l’époque, la stratégie s’inscrit à contre-courant du reste du monde, qui après la crise économique et financière de 2008-2009, est davantage tourné vers l’austérité (hausse des taux directeurs par la Banque centrale européenne en 2011, hausse d’impôts en France….)

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En parallèle, un assouplissement monétaire radical est décidé au Japon (via une technique d’assouplissement qualitatif et quantitatif). Le gouvernement cible une inflation de 2 % à moyen terme, en s’accordant avec la Banque centrale japonaise (BoJ) en 2013. En injectant ces liquidités, l’objectif est ainsi de fluidifier les crédits en diminuant leurs coûts et d’encourager, in fine, entreprises et ménages à investir et à consommer.

Éco-mots

Assouplissement monétaire ou QE (Quantitative Easing)

Mesure de politique monétaire non conventionnelle. La Banque centrale achète massivement des créances détenues par les banques commerciales. Celles-ci, libérées de tout souci de liquidités, peuvent prêter à des taux d’intérêt faibles.

La troisième « flèche » consiste à entreprendre des réformes structurelles pour lutter contre le déclin de la population active. En incluant davantage les femmes sur le marché du travail, en instaurant une politique nataliste, en modernisant certains secteurs (agricole notamment), en baissant l’impôt sur les sociétés ou encore en enclenchant la transformation numérique.

Des résultats décevants

Le pari de Shinzo Abe a-t-il été gagné ? Si l’on compare la situation japonaise au reste du monde, le bilan des « Abenomics » a des côtés enviables. Le PIB en parité de pouvoir d’achat a augmenté de 1,2 % en moyenne par habitant entre 2013 et 2019, soit plus rapidement qu’en France (+1 %) et qu’en Allemagne (+1,1 %). Le taux de chômage japonais, quant à lui, est resté l’un des plus faibles des pays de l’OCDE.

Néanmoins à l’échelle nationale, les  « Abenomics » ont déçu. Pour 2013-2019, la croissance et l’inflation se sont établies, en moyenne, à 1 % et 0,8 % respectivement. « Bien en deçà de l’objectif des 2 % », déplore la Direction générale du Trésor. Certains secteurs clés, comme l’agro-alimentaire ou le numérique, n’ont pas progressé autant que prévu (dépendance aux énergies fossiles qui persiste, retard pour la transformation numérique, etc.)

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Frileuses, les entreprises n’ont pas investi suffisamment et la consommation n’est pas repartie. Face à la crainte de l’augmentation des prix, aux frais de santé élevés et aux faibles pensions de retraite, les Japonais ont préféré épargner. Marqués par le passé, « certains se sont brûlé les ailes avec les bulles immobilières et financières dans les années 1990 », précise Brieuc Monfort, maître de conférences à l’Université Sophia à Tokyo et chercheur associé à la Fondation France Japon de l’EHESS.

Qui plus est, les hausses sporadiques de la TVA sur trente ans n’ont pas encouragé la consommation. « Quand vous annoncez un plan de relance massif, puis que vous augmentez la TVA quelques mois plus tard, vous cassez l’élan. Ça tue la croissance », analyse encore Thomas Grjebine.

Une dette record

Autre déception, la politique budgétaire a été contrainte par un niveau de dette record. Même si, cela n’inquiète pas les Japonais, puisque ce sont  des investisseurs locaux qui possèdent 90 % de la dette qui dépassait le million de milliards de yens en mai 2022, soit 7 300 milliards d’euros.

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Enfin, du côté des réformes structurelles, le bilan du choc d’offre est mitigé, selon la Direction du Trésor : taux de natalité en berne, retard des réformes du marché du travail, etc. Peut-être que les « Abenomics » ont été trop ambitieuses.

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