La pensée de Xi Jinping sur « le socialisme à la chinoise de la nouvelle ère », inscrite dans la charte du Parti communiste chinois (PCC), s’inspire toujours du marxisme-léninisme adapté aux conditions sociales, politiques et économiques chinoises. Conformément au marxisme, les étapes successives du développement socio-économique doivent mener au communisme, une société sans classes, sans État, sans travail contraint et où régnera l’abondance selon la formule « de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ».
Au stade primaire du socialisme, le collectivisme autocentré maoïste s’appuya davantage sur la paysannerie alors que Marx et Lénine considéraient la classe ouvrière comme seule véritable classe révolutionnaire, et sur le PCC, « parti unique suprême », pour assurer la gouvernance de la production socialisée et planifiée.
Économie de marché ou socialisme, la Chine refuse de choisir
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Puis à partir des années 1980, au nom de l’efficacité économique afin de moderniser ses forces productives et vaincre la pauvreté, la Chine s’ouvre au monde avec le pragmatique Deng Xiaoping et passe à l’économie de marché en tant qu’« instrument efficace d’impulsion interne ». L’économie, mixte, reste sous le contrôle de l’État-Parti pour l’insérer dans la mondialisation.
En 2021, Xi Jinping déclarait : « Seul le socialisme aux caractéristiques chinoises a pu développer la Chine », sous l’autorité du PCC, et l’engager vers l’hégémonie. Son rêve chinois est de restaurer sa grandeur, de représenter un rival systémique au capitalisme occidental, légitimant un interventionnisme réglementaire renforcé et un autoritarisme politique, socio-économique et numérique beaucoup plus assuré. Et atteindre ainsi son « moment machiavélien » 1, quand « mieux vaut être craint qu’aimé ».
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1. Même statut jusqu’en 2026
La Chine, bien que deuxième puissance économique mondiale, figure toujours dans la liste des pays bénéficiaires de l’aide publique au développement, établie par le Comité d’aide de l’OCDE, en raison de son statut de « pays en développement ». Celui-ci est lié à son Revenu national brut par habitant (RNB/hab), seule condition qui prévaut d’après la Banque mondiale.
Ainsi grâce à sa nombreuse population et un RNB/hab établi par la Banque mondiale à 11 890 dollars en 2021, elle peut figurer dans la catégorie des « pays et territoires à revenu intermédiaire-tranche supérieure (entre 3 956 et 12 695 dollars/hab) 2 ». Ce statut permet aux bénéficiaires de recevoir des aides économiques sous forme d’accès privilégiés aux marchés des pays développés, des aides techniques grâce à des transferts de connaissance et de technologies généralement protégées par des brevets, des prêts avec conditions favorables et des subventions.
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L’objectif est de « promouvoir le développement économique et d’améliorer les conditions de vie dans les pays en développement », notamment en matière de santé, d’éducation, d’égalité femmes-hommes, de climat et d’environnement.
En Chiffres
140 millions d’euros
La somme de l'aide versée par la France à la Chine en 2020.
Source : Projet de loi de finances, 2022
On peut s’étonner qu’une telle puissance techno-économique et surtout créancière de si nombreux pays, dont les États-Unis, soit encore considérée comme un pays en développement et continue de percevoir de l’aide : la France lui a versé 140 millions d’euros3 en 2020, davantage qu’à certains pays africains.
La liste du Comité est révisée tous les trois ans, la prochaine actualisation aura lieu en 2023. Pour en être exclu, un pays doit dépasser le seuil pendant au moins trois ans, une modification éventuelle de son statut ne pourrait avoir lieu avant 2026.
2. Triangle d’incompatibilité
Dans les années 1960, Robert Mundell, économiste canadien, explique qu’un pays ne peut pas, simultanément, « avoir une politique monétaire indépendante, un régime de changes fixes et une intégration financière totale » . Ce sont les « sommets » du triangle. L’intérêt d’une politique souveraine est de pouvoir fixer ses taux d’intérêt selon sa situation interne (chômage ou inflation).
Des changes fixes assurent la stabilité monétaire pour le commerce extérieur et favorisent les exportations en maintenant la monnaie relativement faible. Enfin la libre circulation des capitaux facilite l’intégration financière mondiale. Pour Mundell, seuls deux objectifs peuvent être atteints en même temps et le troisième doit être sacrifié.
Choisir une politique monétaire indépendante et des capitaux parfaitement mobiles nécessite la flexibilité des changes en raison des déplacements de capitaux liés aux écarts de taux d’intérêt nationaux et internationaux. Choisir des taux de changes fixes et des capitaux mobiles implique de renoncer aux objectifs nationaux de la politique monétaire pour garantir les taux de change.
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Politique monétaire
Partie de la politique économique consistant à agir sur la masse monétaire notamment par les taux d'intérêt, pour influencer le niveau de l'activité économique, l'emploi et l'inflation.
Opter pour des changes fixes et une politique autonome suppose de contrôler les mouvements de capitaux pour éviter les fuites de capitaux. Pourtant, la Chine tente de concilier ces objectifs par des contrôles renforcés pour éviter une forte appréciation de sa monnaie (son excédent commercial en 20214 était le plus élevé jamais observé), et maîtriser sa politique monétaire intérieure.
Au printemps le FMI avertissait la Chine : « Si un pays aspire à devenir une monnaie mondiale, [..] alors vous devriez avoir des capitaux librement mobiles [..] et une convertibilité totale du taux de change, ce qui n’est pas le cas actuellement. »
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3. Tournant de Lewis
Après avoir longtemps bénéficié d’une offre quasi illimitée de travail grâce à son importante population, la Chine, encore marquée par un fort dualisme économique, a-t-elle atteint son tournant de Lewis ?
William Arthur Lewis est l’économiste britannique qui, décrivant les étapes du développement économique, explique qu’à partir du moment où les secteurs modernes, urbains et capitalistes d’un pays ne disposent plus de main-d’œuvre abondante et très bon marché grâce à l’exode rural du secteur traditionnel (agriculture, activités informelles), à l’accroissement naturel, à l’immigration ou à l’arrivée des femmes sur les marchés du travail, le travail se revalorise en raison de sa rareté, le surplus de main-d’œuvre disponible étant épuisé.
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Les salaires se mettent alors à augmenter rapidement – c’est un indicateur clé du tournant de Lewis –, la compétitivité-prix se détériore, la rentabilité industrielle se dégrade et les investissements et la croissance ralentissent. La Chine est puissante mais pas encore riche – son PIB par habitant est loin de celui des économies développées – et elle montre des signes d’essoufflement5 : vieillissement démographique rapide avec réduction de sa population en âge de travailler, déséquilibre des sexes avec faible proportion de femmes (lié à l’ancienne politique de l’enfant unique), ce qui ne peut qu’accentuer son vieillissement, ralentissement économique et de la rentabilité avec élévation des salaires et, depuis plusieurs années, sa croissance connaît une baisse tendancielle, signal capital de la fin de ses « 35 Glorieuses ». Malgré les critiques de ce modèle, le débat existe toujours pour déterminer si la Chine a atteint ou non son tournant de Lewis.
1. « Les opérations d’influence chinoises », rapport Irsem, 2021.
2. CAD-OCDE, liste APD, 2020.
3. Projet de loi de finances, 2022
4. Bulletin d’analyse économique Chine, direction générale du Trésor, avril 2022.
5. « Chine : vieille avant d’être riche », Isabelle Attané, IFRI 2022.