Science Politique
La Chine dans le piège du revenu intermédiaire ?
Chronique. L’augmentation de la richesse de la population chinoise est vécue comme un risque pour le pouvoir autoritaire de Pékin. La Chine tente donc de contrecarrer ce développement, avec des risques importants d’échecs économiques à venir.
David Baverez est investisseur, installé à Hong Kong depuis 2011. Il est l’auteur de Chine-Europe : le grand tournant (Le Passeur Éditeur, 2021).
© Huang Wei/XINHUA-REA/XINHUA-REA
Avec un PNB par tête de près de 12 000 dollars, la Chine est aujourd’hui confrontée à un classique de l’économie, le piège du revenu intermédiaire. Traditionnellement, le développement d’un pays passe par une transition de l’industrie manufacturière vers celle des services telle que la Corée du Sud ou Taïwan l’ont connue dans la décennie 1990. Avec, à la clé, une hausse marquée de la richesse par tête. Le risque, du point de vue de Pékin, est de voir se développer chez les consommateurs un libre arbitre, menant, dans la sphère politique, à la démocratie. Voilà pourquoi le gouvernement chinois a décidé, durant l’été 2021, de mettre un coup d’arrêt à l’essor fulgurant des nouveaux entrants de l’internet B2C dans la finance, la santé ou l’éducation.
C’est plutôt du modèle allemand de la seconde moitié du XXe siècle que la Chine semble vouloir s’inspirer, en donnant la priorité à de grands groupes industriels exportateurs dans les industries d’avenir à forte valeur ajoutée : énergies renouvelables, batteries et voitures électriques, ou encore stockage d’énergie. De quoi s’assurer un soft power au niveau planétaire, renforcé par une balance commerciale très largement excédentaire, de l’ordre de 900 milliards de dollars pour la Chine en 2022. Mais il existe une grosse différence : alors que l’Allemagne avait fait le pari de la « démocratie sociale », lors du 20e Congrès du parti, en octobre 2022, Xi Jinping a formulé un tout autre choix : un nouveau « lénino-marxisme », présenté officiellement comme une troisième voie à mi-chemin entre le capitalisme ultralibéral américain et la planification 100 % étatique.
Echecs à venir dans les secteurs à forte intensité technologique
Seul l’avenir permettra de qualifier de succès ou d’échec ce nouveau modèle. Mais aux yeux des Occidentaux, le contrôle étatique grandissant exercé sur la redistribution des profits du secteur privé n’est pas de bon augure pour l’innovation. La volonté d’une politique industrielle centralisée en matière de développement technologique rappelle dangereusement la propagande infructueuse de la RDA – l’Allemagne de l’Est – avant la chute du Mur de Berlin, en 1989 ; quant à l’« autosuffisance » du pays, érigée par Pékin comme objectif suprême, elle nie les fondements des plus grands succès mondiaux des trois dernières décennies, qui ont toujours été le fruit de melting-pots, de mélanges culturels, comme dans le domaine des hautes technologies en Californie.
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Il y a donc fort à parier que le nouveau modèle chinois débouchera sur des surprises accompagnées de conséquences extrêmes. Il aboutira d’une part à de grandes réussites dans des secteurs à la technicité relativement simple, comme les renouvelables et la voiture électrique : les économies d’échelle et la taille du marché domestique chinois permettront l’émergence de champions nationaux à ambition mondiale. À l’inverse, on assistera à de retentissants échecs dans des secteurs à très forte intensité technologique, comme l’intelligence artificielle, où la complexité de la chaîne de valeur impose des écosystèmes éclatés, répartis entre de nombreux acteurs planétaires coopérant entre eux aux quatre coins du globe. Des secteurs qui sont toujours sous leadership occidental.
« C’est plutôt du modèle allemand de la seconde moitié du XXe siècle que la Chine s’inspire, en donnant la priorité à de grands groupes industriels exportateurs dans les industries d’avenir à forte valeur ajoutée. »David Baverez
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