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La France doit-elle rompre avec la mondialisation ? Jacques Sapir et Philippe Chalmin

Système économique déstabilisant ou vecteur vital de croissance : la mondialisation fait débat. Pour l'économiste Jacques Sapir, la France doit retrouver sa souveraineté. Elle doit donc rompre avec « cette logique de flux et ce mode de gouvernance où l'économie et les entreprises semblent l'emporter sur la politique et l'Etat », estime le  directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. Pour Philippe Chalmin, sans mondialisation, « la France serait un pays certes avec un grand passé, mais sans avenir.» Condamnant tout retour au protectionnisme et fustigeant l'hyper-bureaucratisation française, l'économiste et historien suggère une modification du tissu économique tricolore pour entrer pleinement dans le libre-échange.

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© Pixabay

La France doit-elle rompre avec la mondialisation ?

OUI

Jacques Sapir

Directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales. Auteur de "La Démondialisation" (Seuil, 2011)

NON

Philippe Chalmin

Economiste, enseignant à Paris-Dauphine, président de CyclOpe, institut de recherche européen sur les marchés de matières premières

L'avis de Jacques Sapir : OUI

« OUI ! Pour retrouver sa souveraineté »

La mondialisation, c’est à la fois une logique de flux (capitaux, biens, humains) et un mode de gouvernance l’économie et les multinationales semblent l’emporter sur le politique et l’État. Rompre avec la mondialisation, c’est possible et cela permettrait à la France de récupérer sa souveraineté économique. Évacuons donc tout de suite un élément d’incompréhension: la démondialisation, ce n’est pas la fin des échanges internationaux, ce n’est pas non plus une France en autarcie. Notre économie peut ouvrir des écluses, limiter certains flux, en augmenter d’autres. En somme, il s’agit de redéfinir un mode d’intégration à l’économie mondiale. Le tempo est idéal: nous constatons, depuis 2013, une baisse des échanges commerciaux internationaux rapportés au PIB mondial.

La France devrait établir un programme d’action stratégique, un «plan»: d’une part, valoriser ses points forts à partir de ses avantages comparatifs et d’autre part, diminuer ses dépendances stratégiques dont certaines ont été mises en lumière par la crise du Covid-19. Cette organisation ne peut se faire sans un protectionnisme progressif. Le luxe, l’aéronautique, les biotechnologies sont autant de secteurs industriels dans lesquels la France est compétitive. Il faudra toutefois les protéger et assurer à l’échelle globale les conditions d’une concurrence saine et non faussée qui, aujourd’hui, n’existe pas. Certains concurrents pratiquent un dumping social et écologique qu’il faut supprimer par des droits de douane. La concurrence ne doit pas se jouer sur les salaires, mais sur la qualité des produits.

L’autre volet, ce sont les industries qui relèvent de notre souverainetécomme les industries de défense et la pharmacie. En plus des mesures de protection tarifaire, il faut donner à nos entreprises françaises un droit de préemption sur les marchés nationaux. L’État, le cas échéant, les aidera via des canismes d’investissement. En contrepartie, la puissance publique doit être consultée sur leur vision stratégique, notamment en termes d’emploi. La coopération entre le privé et le public est à réinventer.

Aujourd’hui, ni les règles européennes ni celles du commerce international ne permettent de mettre en œuvre ce programme. La France devra donc demander à être exemptée des traités de libre-échange ou en sortir. Il faudra ensuite imaginer de nouveaux modes de coopération fondés sur des convergences d’intérêts avec d’autres pays. Cette nouvelle donne pourrait aussi être un moment de refondation démocratique.

L'avis de Philippe Chalmin : NON

« NON ! La France n'aurait plus d'avenir »

La France commerce à l’international depuis des siècles. Les deux premières phases de mondialisation (1860-1900; 1980 à aujourd’hui) ont profondément profité à notre économie. Grâce à l’ouverture des marchés et au libre-échange, la France a atteint un niveau de bonheur économique qu’elle n’aurait jamais connu sans eux.

Nous avons aujourd’hui des entreprises internationales pleinement intégrées qui contribuent à faire rayonner notre pays et à créer des emplois. La mondialisation, c’est aussi un temps permanent de révolution industrielle (nano, bio, cognitive, numérique) dans laquelle, globalement, la France a pu tirer son épingle du jeu.

Le mal français, ce n’est pas celui de la mondialisation, c’est celui de notre adaptation à cette mondialisation. Ce sont nos faiblesses structurelles. Notre économie est entrée dans cette dernière mondialisation moins bien préparée que ses concurrentes. Notre tissu entrepreneurial, largement rité du colbertisme des années 1970, de la France de Pompidou, est constitué par de grandes entreprises, souvent issues du secteur public et qui ont su parfaitement se mondialiser. Mais dans la compétition mondiale, notre économie manque d’Entreprises de taille intermédiaire (ETI, au moins 250 salariés), souvent familiales, capables de conquérir des marchés internationaux et de préserver l’emploi industriel local. Faute de ces champions nationaux, des pans industriels entiers ont été déman-

telés: en France, l’industrie ne pèse plus que 10% du PIB. Cet échec tranche avec la réussite allemande qui a su conserver une part de 20%. Forts du Mittelstand –ce large tissu entrepreneurial composé d’entreprises familiales, indépendantes, attachées à leur territoire et soutenues par des banques régionales–, les Allemands ont su préserver leurs usines et leurs emplois industriels. L’exemple italien est également instructifavec les célèbres districts qui dominent, à l’exportation, dans des secteurs comme le textile, le carrelage ou les chaussures. L’hyper-bureaucratisation française est un second point faible.

Les nombreuses réglementations décidées par l’État brident la capacité entrepreneuriale tricolore. La puissance publique devrait se contenter de réguler, mais en France, elle ne peut s’empêcher d’intervenir. Notre pays doit être capable de s’adapter et le protectionnisme n’y changerait rien. En rompant avec la mondialisation, nous deviendrions un pays, certes avec un grand passé, mais sans avenir.

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