Science Politique
La grisaille démocratique, gangrène de l’économie
Depuis une dizaine d’années, la démocratie est en recul avec l’arrivée au pouvoir dans plusieurs pays d’autocrates ou de figures populistes. Un danger pour la vie politique mais aussi pour l’économie.
Vincent Giraud, professeur à Harvard et prix du meilleur jeune économiste 2023
© Attila Volgyi/XINHUA-REA
Le nombre de démocraties dans le monde n’a jamais été aussi élevé. Suite à deux premières vagues de démocratisation, au XIXe siècle puis après la seconde guerre mondiale, une troisième vague a gagné l’Espagne, le Portugal, et les anciens pays du bloc de l’Est à partir du milieu des années 1970. Mais, depuis une dizaine d’années, la démocratie est en reflux. De l’Inde à la Hongrie, les droits de l’opposition sont bafoués et les institutions démocratiques affaiblies.
Lors de la dernière élection présidentielle en Turquie, Recep Tayyip Erdogan a eu 60 fois plus de temps d’antenne que son rival. Même en France et aux États-Unis, deux des démocraties les plus anciennes, les failles se multiplient : montée de l’abstention et du populisme, polarisation entre différents bords politiques, défiance croissante envers les élus et multiplication des mouvements de protestation. Ces tendances sont d’autant plus préoccupantes que leurs effets ne sont pas circonscrits à la sphère politique. Pour comprendre leur impact sur les politiques publiques et l’activité économique, on peut s’appuyer sur quelques exemples français et étrangers.
Lire aussi > Ce que coûte le populisme à l'économie
Désintérêt, défiance et polarisation
La France est l’un des pays où la défiance envers les élus est la plus profonde. Dans les années 1970, 40 % des Français interrogés par les instituts de sondage estimaient que les politiciens ne s’intéressaient pas à ce que pensaient les gens comme eux. Aujourd’hui, ce ratio a plus que doublé. Ajoutons à cela la baisse de la participation électorale, et l’on comprend que la légitimité et la capacité des élus à mettre en œuvre des réformes soient fortement entamées. Les crises qui ont rythmé les premier et second mandats d’Emmanuel Macron, des gilets jaunes à la réforme des retraites, en sont une parfaite illustration.
« La France est un des pays où la défiance envers les élus est la plus profonde. Dans les années 1970, 40 % des Français estimaient que les politiciens ne s’intéressaient pas à ce que pensaient les gens comme eux. Ce ratio a plus que doublé. »Vincent Giraud
La polarisation entre électeurs et élites de différents partis peut être tout aussi dommageable. Elle atteint des sommets aux États-Unis, où Républicains et Démocrates sont en désaccord sur tous les sujets ou presque. Cette polarisation rend le débat sur les politiques publiques compliqué et les virages à 180 degrés fréquents. Donald Trump a ainsi retiré les États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat dès sa prise de fonction en 2017, et Joe Biden s’est empressé d’y revenir une fois élu. Le grand programme de soutien aux énergies renouvelables qu’il a lancé il y a un an serait par ailleurs menacé si les Républicains reprenaient le pouvoir exécutif en 2024.
Le risque populiste
Enfin, le risque politique suprême reste la victoire d’un candidat populiste. Comme les populistes opposent le « peuple vertueux » aux « élites corrompues », ils sont souvent tentés par des politiques économiques décriées par l’élite. En Argentine comme au Brésil, les gouvernements populistes ont eu tendance à augmenter les dépenses publiques alors que l’économie était déjà en forte croissance, provoquant une surchauffe, une inflation élevée et une crise de la dette.
Le risque populiste existe aussi en France : le Rassemblement National (RN) est le seul parti à avoir profité des dernières crises. Remédier au mal démocratique qui nous ronge devrait dès lors être la priorité absolue : il en va de la stabilité politique – comme économique – de notre pays.
- Accueil
- Monde
- International
La grisaille démocratique, gangrène de l’économie