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Le dollar, un privilège toujours aussi exorbitant
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Le dollar, un privilège toujours aussi exorbitant
Sélection abonnésL’irruption des cryptomonnaies et l’essor de l’euro comme du yuan, la monnaie chinoise, n’y ont (presque) rien changé : la domination du dollar sur le système monétaire international demeure écrasante. Et les États-Unis en tirent de nombreux avantages.
Erwan Pastol
© Rainer UNKEL/REA
C’est le signe d’une santé éclatante. Depuis le 13 juillet dernier, le dollar américain évolue régulièrement au-dessus de l’euro, une première depuis 2002. Et l’appréciation du billet vert n’est pas circonscrite à son taux de change avec la devise européenne.
La progression de la valeur de la monnaie américaine depuis le début de l’année est d’environ 10% face au renminbi (le nom officiel du yuan, la monnaie chinoise), 20% face à la livre sterling et près de 30% face au yen. Cette vigueur conforte ce que Valéry Giscard d’Estaing, alors jeune ministre des Finances et des Affaires économiques de Charles de Gaulle, qualifiait en 1964 de « privilège exorbitant ».
À lire aussi > Pourquoi l’euro est passé sous le dollar ?
Car l’hégémonie du dollar octroie aux États-Unis de très nombreux avantages économiques. Pour L’Éco les passe en revue et vous donne quelques clés pour analyser l’équilibre des forces actuel au sein du système monétaire international.
C’est le signe d’une santé éclatante. Depuis le 13 juillet dernier, le dollar américain évolue régulièrement au-dessus de l’euro, une première depuis 2002. Et l’appréciation du billet vert n’est pas circonscrite à son taux de change avec la devise européenne.
La progression de la valeur de la monnaie américaine depuis le début de l’année est d’environ 10% face au renminbi (le nom officiel du yuan, la monnaie chinoise), 20% face à la livre sterling et près de 30% face au yen. Cette vigueur conforte ce que Valéry Giscard d’Estaing, alors jeune ministre des Finances et des Affaires économiques de Charles de Gaulle, qualifiait en 1964 de « privilège exorbitant ».
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Comment se manifeste aujourd’hui l’hégémonie du dollar ?
Dans un rapport remis au Conseil d’analyse économique en 2011, Agnès Bénassy-Quéré et Jean Pisani-Ferry pronostiquaient que « le dollar risqu[ait] bien, à l’horizon d’une ou deux décennies, de ne plus être la seule monnaie-clé du système ». Onze ans plus tard, force est de constater que la suprématie du dollar n’est pas du tout remise en cause.
Sous l’effet de l’introduction de l’euro, la part des actifs en dollars dans les réserves des banques centrales a certes diminué de 12 points de pourcentage, passant de 71% en 1999 à environ 59% aujourd’hui. Mais la devise américaine reste dominante dans tous les compartiments de l’économie mondiale. Selon le Fonds monétaire international, près des deux tiers du stock des dettes internationales étaient par exemple libellés en billets verts fin 2021.
Dans son dernier rapport sur la question, la Banque des règlements internationaux établit, elle, que 88,3% des opérations réalisées sur le marché des changes en 2019 portaient sur le dollar américain contre 32,3% sur l’euro et seulement 4,3% sur le renminbi (chaque opération portant sur deux monnaies, le total se monte à 200%).
Enfin, du pétrole au blé en passant par les métaux, l’immense majorité des matières premières s’achètent encore en dollars. Le FMI estime ainsi que 40% du volume des paiements internationaux se réalisent actuellement dans la devise américaine. Et l’émergence des crypto-actifs n’est pas de nature à bouleverser ce paysage monétaire ultra-dollarisé à moyen terme.
Objets d’une spéculation intense, ils demeurent un intermédiaire fragile et finalement peu utilisé des échanges, en tant que tel. Dans une récente note de la Direction générale du Trésor, Grégoire de Warren estime que « les entreprises restent confrontées à la forte volatilité des cours et au manque de liquidité [des crypto-actifs], si bien que les cas d'utilisation significatifs restent marginaux en comparaison des flux de paiement dans le monde ».
Éco-mots
Fonctions de la monnaie
Une monnaie sert à la fois d’intermédiaire des échanges (elle permet les transactions), d’unité de compte (elle donne une valeur comparable à deux biens ou services) et de réserve de valeur (elle permet de conserver la valeur dans le temps et de différer la perception de revenus de la consommation par le biais de l’épargne). Les crypto-actifs ne remplissent que partiellement certaines de ces fonctions et ne sont donc pas assimilables à de la monnaie.
En quoi consiste le « privilège exorbitant » dont jouissent les États-Unis grâce au dollar ?
Dans un livre ayant fait date, l’économiste Barry Eichengreen (2011) reprenait à son compte l’expression de Giscard d’Estaing et dressait la longue liste des avantages que les Américains tirent de l’hégémonie du dollar.
Le premier d’entre eux est la neutralisation du risque de change. Comme les transactions sur les marchés internationaux se réalisent majoritairement en dollars, les acteurs non-américains s’exposent au risque d’une variation des cours des devises auxquels les entreprises et particuliers implantés outre-Atlantique échappent.
Concrètement, si un importateur français signe un contrat pour l’achat d’un volume de pétrole, il prend le risque que l’euro se déprécie face au dollar et qu’il doive donc débourser davantage en euros pour acquérir un actif dont le prix en dollars reste inchangé.
Dans les faits, les acteurs économiques se prémunissent contre ce risque en souscrivant des assurances ou en rédigeant des clauses ad hoc dans leurs contrats. Mais l’existence de ce risque de change a pour conséquence de renchérir les coûts de transaction sur les marchés internationaux pour les acteurs non-américains.
Éco-mots
Coûts de transaction
Désignent l’ensemble des coûts supportés par les parties prenantes d’un échange économique. Ils recouvrent notamment les coûts d’information (par exemple, le coût d’une recherche pour connaître la qualité d’un produit), les coûts de négociation, de conversion (d’une devise à une autre) ou encore de contractualisation (le coût de rédaction d’un contrat de vente). Le modèle théorique de concurrence pure et parfaite suppose que ces coûts sont nuls. Or ils existent sur les marchés concrets. Selon l’approche néo-institutionnaliste, c’est ce qui explique que le marché est parfois supplanté par d’autres modalités de coordination entre acteurs économiques.
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Le gain de seigneuriage est un autre avantage économique que les États-Unis tirent de la dollarisation de l’économie mondiale. Ce gain échoit à tout émetteur de monnaie mais il est particulièrement élevé pour le pays dont la devise s’impose comme la principale monnaie internationale.
B. Eichengreen l’explique simplement : « Fabriquer un billet de 100 dollars ne coûte que quelques cents à l’imprimerie nationale des États-Unis mais, pour l’obtenir, les autres pays doivent débourser 100 dollars de biens et services réels. »
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Les travaux de Pierre-Olivier Gourinchas et Hélène Rey (2007) permettent de saisir une autre facette du « privilège exorbitant ». Les économistes français observent que, profitant du statut de valeur refuge de leur monnaie, les États-Unis trouvent très facilement preneurs pour leurs titres de dette privée comme publique. Ils montrent ensuite que les intérêts versés par les Américains au reste du monde sont moins élevés que les rendements de leurs propres placements à l’étranger. Cela permet au pays de l’Oncle Sam de financer un train de vie largement au-dessus de ses moyens théoriques, ce qui se matérialise par un déficit commercial structurel et un endettement galopant.
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La quatrième et dernière dimension majeure du « privilège exorbitant » est peut-être la plus contestée actuellement. Combiné à l’extraterritorialité du droit américain, l’usage généralisé du dollar permet aux États-Unis de sanctionner n’importe quel acteur économique faisant usage de leur monnaie en enfreignant une de leurs lois, y compris hors du territoire américain.
C’est ainsi qu’en 2014 la banque française BNP-Paribas a été contrainte d’acquitter une amende de 9 milliards de dollars pour avoir contourné le blocus américain au Soudan, de Cuba et en Iran en y réalisant des opérations libellées dans la monnaie américaine.
À moyen terme, la domination du dollar peut-elle être remise en cause ?
Cela semble très peu probable pour au moins deux raisons. D’abord parce que la suprématie du dollar tient à l’absence d’alternative crédible. Or les dirigeants européens ne semblent plus poursuivre le projet de bâtir une nouvelle monnaie hégémonique.
Seule la Chine semble encore engagée sur ce chemin. Elle cherche à imposer l’usage de sa monnaie sur les marchés internationaux car elle sait que la force d’une devise tient à un effet de réseau, une monnaie devenant de plus en plus utile, voire indispensable à mesure que son nombre d’utilisateurs augmente.
C’est pour cette raison que la Chine achète du gaz russe en yuans et qu’elle souhaite conclure un accord du même type pour le pétrole saoudien. Mais ces initiatives demeurent marginales et le renminbi reste une monnaie de paiement mineure par rapport au dollar.
Par ailleurs, tant que la Banque Populaire de Chine (la banque centrale du pays) ne sera pas indépendante et que la State Administration of Foreign Exchange (l’institution qui, entre autres, gère les réserves de change de l’empire du Milieu) ne relâchera pas son contrôle sur les mouvements de capitaux, il semble que la monnaie chinoise ne pourra pas jouir de la grande confiance que les acteurs financiers accordent encore aujourd’hui au dollar.
Enfin, la suprématie monétaire américaine semble partie pour durer tant que le « piège du dollar » restera tendu. Dans un livre éponyme, Eswar Prasad (2014) rappelle que le reste du monde détient environ 53 000 milliards de dollars de créances sur les États-Unis, exclusivement libellées en billets verts, tandis que les investisseurs américains possèdent l’équivalent de 35 000 milliards de dollars d’actifs étrangers, essentiellement libellés en devises.
« Bien que les États-Unis soient débiteurs nets envers le reste du monde, une dépréciation de leur monnaie se traduirait par un gain exceptionnel pour eux-mêmes et par une lourde perte pour le reste du monde », explique cet expert des questions monétaires. Cela signifie que même les plus farouches adversaires du dollar n’ont pas intérêt à ce qu’il s’effondre. C’est notamment le cas de la Chine, dont les coffres renferment pas moins de 970 milliards de dollars rien qu’en bons du Trésor américain.
Travaux académiques ou assimilés mobilisés dans cet article :
Agnès Bénassy-Quéré, Jean Pisani-Ferry, « Réformer le système monétaire international », rapport du Conseil d’analyse économique (2011)
Barry Eichengreen, Exorbitant Privilege: The Rise and Fall of the Dollar and the Future of International Monetary System (2011)
Hélène Rey, Pierre-Olivier Gourinchas, « From world banker to world venture capitalist: Us external adjustment and the exorbitant privilege », in G-7 Current Account Imbalances: Sustainability and Adjustment (2007)
Eswar Prasad, The Dollar Trap: How the U.S. Dollar Tightened Its Grip on Global Finance (2014)
Les questions au programme de SES au lycée dont des notions ou des mécanismes sont abordés dans cet article :
Première : « Qu’est-ce que la monnaie et comment est-elle créée ? »
Terminale : « Quels sont les fondements du commerce international et de l’internationalisation de la production ? » et « Comment expliquer les crises financières et réguler le système financier ? »