Le 25 août dernier s’est achevée une consultation publique menée par le ministère de la Transition écologique. Celui-ci a laissé à l’appréciation de chacun un mois durant ses projets de décret et d’arrêté concernant la nouvelle formule du bonus à l’achat des véhicules neufs, qui entrera en application en 2024.
Tandis que jusqu’à ce jour, une voiture est considérée comme « écologique » si elle ne rejette pas de CO2 à l’échappement, ce ne sera plus le cas demain. Pour être qualifiées de « propres » et donner droit à une gratification, les voitures électriques seront évaluées selon la quantité de carbone qui a été émise lors de leur phase de fabrication.
Le ministère de la Transition écologique espère ainsi donner un coup de pouce aux produits fabriqués en Europe, puisque le référentiel mis au point attribue une note à chacun des pays de provenance des matériaux utilisés. Ainsi, parmi les contrées qui usent de mix énergétiques très carbonés, on trouve la Chine… mais aussi le Maroc, où Renault et Stellantis comptent chaque jour un peu plus sur leurs usines !
Outre cette démarche purement française, le Conseil de l’Union européenne a annoncé le 10 juillet dernier qu’il avait validé un nouveau règlement concernant les batteries électriques. Cet acte législatif vaut pour tous les types de batteries, il n’est pas propre au secteur de l’automobile.
L’objet de ce règlement est surtout de s’assurer que le recyclage aura une large part dans la confection des batteries neuves, bien qu’une « information obligatoire sur l’empreinte carbone des batteries » devrait devenir obligatoire dans l’automobile dès 2025.
Lire aussi > L'Europe doit-elle être verte pour être protectionniste ?
Situation de « quasi-monopole » pour la Chine
Ces deux actes législatifs, surtout le bonus français, étaient réclamés de longue date par certains industriels. Ils semblent néanmoins ne pas suffire. La directrice générale de l’ACEA, l’association qui regroupe les constructeurs automobiles européens, fait remarquer que « la Chine compte aujourd’hui pour 75% de la production de batteries et a un quasi-monopole sur les matériaux critiques », ce qui rendrait tout effort pour entraver leur diffusion assez contre-productif : « L’Union européenne a besoin d’une stratégie industrielle solide, une stratégie qui évite le protectionnisme et la naïveté » annonce encore Sigrid de Vies, de l’ACEA.
Le ministre français de l’Economie Bruno Le Maire a pour sa part confié à l’AFP toute l’admiration qu’il avait pour les politiques industrielles actuellement menées de part et d’autre du globe : « J’aurais préféré que l’on puisse dire que le bonus européen est réservé à des produits industriels à contenu européen. C’est ce que fait la Chine, c’est ce que font les Etats-Unis, c’est ce que je ne peux toujours pas faire en Europe à cause des normes européennes » a-t-il annoncé, avant de se faire presque inquiétant : « On a intérêt à se dépêcher de changer nos normes, de les simplifier et de valoriser le contenu européen si l’on veut faire pièce à la montée en gamme des Chinois ».
Des constructeurs chinois qui venus en masse au salon de l’automobile de Munich de septembre 2023 : selon l’AFP, 41% des exposants ont leur siège social en Chine !
Il faut dire que l’empire du milieu, dont le marché automobile atteint une certaine maturité, voit en l’Europe son prochain relais de croissance. Pour la première fois de l’histoire de l’automobile, les constructeurs chinois ont plus exporté que les japonais au premier semestre 2023 : 2,14 millions de voitures distribuées dans le monde, dont 534 000 engins électrifiés.
La Belgique s’est révélée la troisième nation la plus importatrice de véhicules chinois, loin devant le Royaume-Uni (6e) ou l’Espagne (10e). Et il ne s’agit que d’une mise en jambes : le 29 août passé, le constructeur d’Etat SAIC, propriétaire notamment de la marque MG, a présenté à la presse son « premier porte-autos océanique sur mesure ».
Doté de 7600 places de parking à bord, ce monstre des mers « devrait être résidant sur les routes européennes australiennes et néozélandaises qui seront bientôt ouvertes » affirme le constructeur chinois. Ce bateau roulier n’est que le premier exemplaire parmi les « douze transporteurs de voitures neufs de 7600, 7800 et 9000 places qui seront lancés successivement entre 2024 et 2026 », complète SAIC.
Lire aussi > Automobile : comment la voiture électrique fait sauter les barrières à l'entrée du marché européen
À bout de souffle
La tant redoutée déferlante des voitures chinoises en Europe devrait donc bientôt devenir réalité. Toutefois, pour vendre en masse et ne pas souffrir de lacunes logistiques et concurrentielles, les constructeurs chinois seront tôt ou tard obligés d’implanter des usines de fabrication en Europe.
La marque Byd aurait récemment évalué l’ancienne usine Ford de Saarlouis (Allemagne) avant de changer d’idée ; SAIC (MG) a présenté un plan d’implantation d’usine en Europe en juillet dernier, sans pour autant préciser dans quel pays. Le constructeur autrichien Magna-Steyr serait pour sa part en discussions avancées pour produire des voitures chinoises dans son usine… Quid de tous les efforts européens ou français pour repousser les constructeurs chinois si ceux-ci viennent directement s’implanter sur leur territoire ?
« Le problème est toujours le même avec l’Union européenne, qui est dans une forme de naïveté. Nous, nous sommes les bons élèves du libre-échange… Si l’on tire les leçons de l’histoire, pas un seul pays ne s’est développé industriellement sans avoir recours à des mesures protectionnistes » considère Léo Charles, économiste et maître de conférences à l’université de Rennes 2.