Géopolitique
Les entreprises polluent, les citoyens paient, dénonce la Cour des comptes
Dans un rapport remis à la Commission européenne au début de l’été, la Cour des comptes dénonce l’inaction des États européens trop lents à mettre en œuvre les législations européennes environnementales et trop laxistes envers les entreprises polluantes.
Manon Touchard
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Pour la Cour des comptes, le principe du pollueur-payeur reste encore trop souvent supporté par les ménages, même lorsque ce sont les entreprises qui sont à l’origine de la pollution, selon son rapport du 5 juillet remis à la Commission européenne.
La publication de ce rapport est nécessaire dans une société ou la pollution coûte cher aux citoyens, justifie la Cour des comptes pour qui le principe du pollueur-payeur a un rôle déterminant à jouer dans la lutte contre le changement climatique.
Le rapport est sévère envers les États européens qui ne mettent pas en œuvre avec la même vigueur les législations européennes environnementales.
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Institution étatique indépendante, elle a pour mission de s’assurer du bon emploi de l’argent public, de la bonne tenue des comptes des organismes publics et d’en informer les citoyens.
Le principe du pollueur-payeur (PPP) est adopté par l’Union européenne en 1986, en même temps que l’Acte unique européen. Selon la définition adoptée par l’OCDE en 1972, l’acteur qui est à l’origine de la pollution en assume les coûts engendrés par les dommages et leur réparation. Cela oblige le pollueur à internaliser les coûts de l’externalité négative qu’il crée.
En polluant, les entreprises causent des dommages annexes à leur activité. Le principe du pollueur-payeur les oblige à considérer ces dommages comme des coûts pour l’entreprise.
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C’est le fait d’intégrer les coûts ou les avantages des externalités dans les paramètres du marché pour inciter les agents économiques à les réduire (dans le cas des externalités négatives) ou à les stimuler (dans le cas des externalités positives).
Pourtant, la Cour des comptes fait état d’un déficit de financement obligeant les autorités publiques à d’importants investissements pour atteindre les objectifs fixés par l’UE. “Nous avons trouvé des projets financés par des fonds de l’UE, qui auraient dû l’être par le pollueur” mentionne le rapport.
4 chiffres pour comprendre pourquoi les ménages européens supportent le coût de la pollution.
1. 55 milliards d’euros
C’est le coût total annuel estimé induit par le non-respect des exigences environnementales de l’UE, selon une étude réalisée pour la Commission européenne. Ce montant est désigné par la Cour comme un coût pour la société puisqu’il ne prend pas en compte les 20 % du budget européen dédié aux enjeux climatiques.
Et encore, ce chiffre n’est que la partie émergée de l’iceberg. Les chiffres explosent quand on calcule le coût de l’ensemble de la pollution émise sur le territoire européen. Par exemple, la pollution atmosphérique résiduelle causée par les grandes installations industrielles a été estimée entre 329 et 1 053 milliards d’euros par l’Agence européenne pour l’environnement.
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Pollution résiduelle
Quantité ou concentration de pollution qui persiste sur un territoire même après son traitement.
Ce coût n’est souvent pas pris en charge par le principe du pollueur-payeur puisque dans la plupart des États membres, les industriels ne sont pas considérés comme responsables des dommages environnementaux qu’ils causent tant qu’ils ne dépassent pas les limites d’émissions autorisées.
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2. Moins d’1 million d’euros
96 % des mesures de réparation induites par la pollution émise par les industriels ont coûté moins d’un million d’euros, selon une étude menée auprès de 12 États membres entre 2007 et 2013.
Les projets de réparations de dommages qui ont dû être financés par l’UE réunissaient deux caractéristiques : les coûts du projet étaient considérables par rapport à la capacité financière de l’opérateur et l’entreprise n’avait fourni aucune garantie financière. L’UE a alors dû avoir recours aux deniers publics face à des entreprises polluantes insolvables.
À ce jour, seuls sept États (Irlande, Espagne, Italie, Pologne, Portugal, Slovaquie et République tchèque) exigent une garantie financière pour couvrir tout ou partie des risques environnementaux. Le rapport demande que la législation européenne rende la garantie financière obligatoire dans tous les pays européens d’ici 2025.
3. 33 millions d’euros
C’est le montant total des quatre projets de dépollution identifiés par la Cour de Comptes pour lesquels l’entreprise n’a pas pu assumer le coût de l’élimination de la pollution pour cause de faillite. Les fonds publics prennent ainsi la relève en cas de pollution orpheline pour décontaminer les sols et l’eau.
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Pollution orpheline
Site (potentiellement) pollué dont le responsable n’est pas connu ou insolvable
Parmi les projets étudiés, le projet d’assainissement d’une entreprise italienne fabriquant des produits à base d’amiante. Dès l’ouverture de la procédure de faillite de l’entreprise en 1995, les autorités publiques régionales ont dû prendre le relais de l’assainissement jusqu’en 2019.
L’UE a octroyé une aide de 7,1 millions d’euros de l’UE pour démolir des bâtiments en surface et à sécuriser des matériaux contenant de l’amiante stockés au sous-sol. Les autorités locales ont engagé une procédure judiciaire pour recouvrer les fonds utilisés pour l’opération de dépollution. Mais l’entreprise en procédure de faillite risque de ne rien pouvoir rembourser.
En Pologne, les autorités locales ont engagé une procédure contre une entreprise chimique qui avait déversé des substances toxiques dans les eaux souterraines et dans le sol.
En 2014, la société a déposé le bilan et engagé une procédure de liquidation sans qu’aucun projet de réparation n’ait été mis en place. L’infrastructure continue de se détériorer et la pollution continue de se propager. Les autorités ont déjà dû utiliser des fonds publics, dont 17,3 millions d’euros provenant des Fonds européens, pour réparer les dommages causés à l’environnement sur une zone de 27 hectares. Les coûts totaux d’assainissement sont estimés à plus de 540 millions d’euros.
Cette situation est due à l’application inégale du principe du pollueur-payeur d’un État à l’autre. Pour la Cour des comptes, la définition floue de la directive européenne sur la responsabilité environnementale est à l’origine des interprétations et des applications divergentes au niveau des États membres.
4. 1 milliard d’euros
C’est l’amende à laquelle a été condamnée l’aciérie italienne Ilva à l’origine de rejets de polluants atmosphériques et du déversement de matières dangereuses.
Depuis les années 1990, la région de Tarente subit la pollution colossale de la plus grande aciérie européenne. Le taux de mortalité y est de 10 % à 15 % plus élevé que la moyenne nationale, les cas de cancer et notamment de leucémie chez les enfants sont plus nombreux que dans le reste du pays.
Une enquête pour catastrophe environnementale a été ouverte en 2012. La conclusion est sans appel : Ilva doit donc mettre aux normes ses hauts fourneaux. En 2017, le Tribunal de Milan saisit aussi 1,2 milliard à la famille Riva, à la tête de l’aciérie. Les fonds sont destinés aux activités de décontamination du site. Pourtant, les dommages environnementaux causés par l’aciérie sont évalués à 2 milliards d’euros.
Parmi les quatre domaines de la politique environnementale de l’UE évalués par le rapport - la pollution industrielle, les déchets, l’eau et les sols - le principe du pollueur-payeur n’est globalement pas respecté.
Pour y remédier, la Cour des comptes propose de redéfinir les critères utilisés pour définir les dommages environnementaux et de modifier la législation européenne pour rendre obligatoire les garanties financières pour couvrir les risques environnementaux.
Ces conclusions ont été transmises à la Commission qui devrait lancer une révision des mesures de lutte contre la pollution causées par les grandes installations début 2022 dans le cadre du Pacte climat.
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