Géopolitique
Afrique, putschs et interdépendance commerciale. Danger pour les entreprises françaises ?
Le putsch militaire survenu au Gabon mercredi 30 août est le dernier d’une série qui a débuté en 2020 dans des pays qui sont tous d’anciennes colonies françaises. Dans ces pays, des entreprises françaises ont des intérêts qui pourraient être remis en cause.
Adrien Palluet© REUTERS/Stringer
On commence à s’habituer à la scène. Mercredi 30 août au matin, un groupe de militaires gabonais a pris la parole à la télévision du pays pour annoncer le renversement du régime en place dans le pays.
Même scénario au Niger le 26 juillet dernier, au Burkina Faso en janvier 2022, en Guinée en septembre 2021 et au Mali en 2020 puis en 2021.
Lundi dernier, Emmanuel Macron parlait même devant ses ambassadeurs « d’épidémie de putschs ». En 3 ans, le continent en est à son 7e coup d’État et n’a plus été aussi instable depuis plus de 30 ans.
Même si les contextes et les ambitions des coups d’État sont différents, les plus récents sont tous intervenus dans des pays anciennement colonisés par la France qui y possèdent encore des intérêts économiques importants à travers la présence de grandes entreprises.
D’ailleurs, quelques heures après le coup d’État au Gabon, les entreprises françaises présentes dans le pays ont vu leur cote en bourse fortement chuter.
Ces entreprises sont elles vraiment en risque ?
La présence française dans ces pays d’Afrique illustre l’internationalisation de la production et du commerce international. Entre la France et les pays africains secoués par des coups d’État, les flux de biens et services échangés sont anciens et s’expliquent par les anciennes relations politiques de ces deux espaces mais aussi les avantages comparatifs détenus par les différentes régions du monde.
Début août, Le Monde rappelait que « la France compte à ce jour environ 200 entreprises ou filiales au Mali, 45 au Burkina Faso, 30 au Niger et une dizaine en République centrafricaine. »
La France n’exploite plus son sol depuis 2000. Ces entreprises permettent à la France de subvenir à des besoins qu’elle ne peut pas remplir elle-même. Par exemple, le Niger, à travers l’entreprise française Orano, fait partie des trois principaux fournisseurs d’uranium de l’Hexagone. L’uranium sert à faire fonctionner les centrales nucléaires du pays, mais aussi pour les armes destinées à la dissuasion nucléaire.
Avec des sous-sols très riches, le Niger, le Gabon ou encore le Mali possèdent donc des avantages comparatifs sur le marché international. Les relations commerciales entre la France et ces pays représentent des intérêts économiques importants pour les deux partenaires. Au Gabon, l’exploitation des minerais du sous-sol (notamment le manganèse exploité par l’entreprise Eramet) représente plus de 6 % du PIB du pays. Perdre cette manne financière mettrait à mal cet avantage.
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Cette interdépendance commerciale peut être mise à mal par les différents putschs survenus depuis 2020.
Ici, il est difficile de mettre toutes les situations sur un pied d’égalité. Au Gabon, au lendemain du putsch, l’activité des entreprises françaises semblait avoir repris et le nouveau pouvoir en place aurait tout intérêt à maintenir ses flux commerciaux, notamment de matière première, qui représentent sa principale richesse.
Les exportations de pétrole - le français TotalEnergies est présent dans le pays - représente près de 40 % de son PIB. De ce fait, pour l’instant, les entreprises françaises ne semblent pas menacées par le nouveau pouvoir gabonais du fait du contexte particulier du pays : pays plus prospère qui renverse un président contesté pour ses pratiques antidémocratiques.
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À l’inverse, la situation au Niger, au Burkina Faso et au Mali, pourrait créer un désavantage compétitif pour les entreprises françaises. En effet, le sentiment anti-français et l’influence russe en sous-marin réduisent la marge de manœuvre des entreprises françaises. Elles sont par exemple souvent accusées de piller les ressources de ses anciennes colonies.
Ainsi, au Niger, avec le départ de la mission Barkhane et le rapatriement d’expatriés français, la sécurité des entreprises est plus difficilement assurée et les flux commerciaux perturbés. De plus, le nouveau régime augmente la pression fiscale sur les entreprises pour maintenir ses propres revenus. Une pression qui pousse des entreprises comme Orange à quitter le territoire, comme l’explique Le Monde.
De plus, que ce soit au Niger, au Mali ou au Burkina, la France n’est plus en odeur de sainteté et ses entreprises avec. Ainsi, ces entreprises sont déjà exclues des marchés publics et des nouvelles commandes passées dans ces pays. De fait, elles subissent ce désavantage compétitif vis-à-vis d’autres entreprises et verront donc probablement leurs parts de marché s’effriter à l’avenir et leurs revenus diminuer dans ces régions.
« L’étau que la France maintenait sur ses anciennes colonies s’est largement desserré en ce début de siècle, parfois en dépit de sa volonté. Dans le tournant historique en cours, la France n’est plus qu’un acteur secondaire. […] Parce que, dans un mouvement inédit et périlleux d’autorecentrage, l’Afrique est entrée dans un autre cycle historique. »
Achille Mbembé, professeur d’histoire et de sciences politiques à l’Université du Witwatersrand à Johannesburg.
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