Bien décidé à défendre son pays contre le reste du monde, l'ancien président américain, milliardaire accompli, n’a cessé de prendre des positions fracassantes depuis son élection, en 2016. Dans son premier discours à la Maison-Blanche, Donald Trump annonçait la couleur : « Nous devons protéger nos frontières des ravages que les autres pays font, en volant nos entreprises et en détruisant nos emplois. La protection mènera à une grande prospérité et à la force ». Vu d’Europe, l'élu semble miser davantage sur l’effet de surprise et sur son ambition politique que sur une ligne de pensée économique claire.
L’ex-animateur télé, devenu le dirigeant le plus puissant du monde, a freiné le commerce international. L’objectif ? Défendre les emplois sur son sol. On ne compte plus les mesures protectionnistes de l’administration Trump. Dernièrement, notons les menaces d’augmentation des taxes douanières sur les vins et parfums français, de sanctions contre les grandes entreprises chinoises, TikTok et WeChat en tête, ou la volonté de subventionner la production locale de médicaments.
« Pour lui, le libre-échange est à sens unique : il est pour seulement quand cela favorise les entreprises américaines », résume Paul-Jacques Lehmann, professeur d’économie à l’université de Rouen et auteur de Le Libéralisme et le capitalisme aujourd’hui (ISTE, novembre 2020).
Même fédérale, l’UE serait moins libérale
En revenant sur des accords mondiaux qui semblaient inaliénables, Trump a obligé l’Union européenne à défendre les institutions internationales que les États-Unis avaient eux-mêmes contribué à créer. Le locataire de la Maison-Blanche a plusieurs fois menacé, par exemple, de se retirer de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), temple du libre-échange.
« Les gouvernements des pays riches sont davantage susceptibles de céder à l’appel de la sirène du protectionnisme, dans le but d’en retirer un avantage politique à court terme, en accordant des subventions, en imposant des formalités administratives complexes », note l’OMC pour défendre son travail en faveur d’un commerce mondial ouvert.
« Les États-Unis sont plus libres économiquement que l’Europe : ils sont au sixième rang mondial. La seule nation européenne devant eux, c’est la Suisse »
Fred McMahon
Les Européens ont donc l’impression d’être devenus plus royalistes que le roi, plus libéraux que le pays le plus libéral de l’histoire. Est-ce vrai pour autant ? Les faits d’abord. Historique et constitutif du Vieux Continent, le concept d’État-providence a encore été brandi ces derniers mois comme un bouclier pour limiter les effets de la crise du coronavirus. Outre-Atlantique, l'ancien président n’a pas hésité à détricoter les avancées sociales incarnées par l’Obamacare. La disparition de 22 millions d’emplois n’a pas déclenché l’indignation qu’elle aurait causée en France.
Les 27 de l’UE : plutôt libéraux
Après les faits, les classements. Ils sont plutôt parlants : le 10 septembre dernier, la publication de l’index de liberté économique 2020 du Fraser Institute est venue rappeler que les États-Unis restent, en la matière, largement devant la France (sixième rang, versus 57e). « En moyenne, les États-Unis sont plus libres économiquement que l’Europe : ils sont au sixième rang mondial. La seule nation européenne devant eux, c’est la Suisse, à la quatrième place. L’Irlande est 10e et le Danemark 11e », analyse Fred McMahon, l’un des auteurs de l’étude. La taille du gouvernement, la monnaie, le droit de propriété, la politique de libre-échange et le niveau des libertés individuelles sont autant de critères pris en compte par l’institut canadien pour construire son indicateur.
Les pays sont classés individuellement. Et si l’Europe était considérée comme une seule entité économique, au moins pour ses deux politiques fédérales que sont la concurrence et le libre-échange ? Serait-elle plus libérale que les USA ? « Il existe de nombreuses façons de pondérer les comparaisons : une moyenne des nations individuelles, elle-même pondérée par la population. Mais cette moyenne européenne se retrouverait tout de même derrière celle des États-Unis », affirme Fred McMahon. « La comparaison en miroir Europe-USA est difficile à réaliser, car Bruxelles n’a pas la main sur l’économie au sens large, appuie Paul Jacques Lehmann. La position des 27 vis-à-vis des multinationales est toutefois plutôt libérale, sauf quand elle sanctionne les Gafam. »
Tombés du podium
Certes, des décalages existent entre l’actualité économique et la publication du classement, basée sur des données 2018, mais on y observe déjà un glissement protectionniste outre-Atlantique. En 2007, les États-Unis pointaient encore au troisième rang de l’indicateur. « Cette dégringolade souligne leur radicalisation sur différents piliers de la démocratie. Or les pays qui défendent la liberté et la tolérance ont globalement des retombées économiques bien plus larges », avance Cécile Philippe, présidente de l’institut économique Molinari.
Cette théorie convainc de moins en moins. « L’augmentation du chômage, de la précarité et les mouvements de repli conduisent à une hausse de l’interventionnisme dans le monde », rappelle Paul-Jacques Lehmann. « Du point de vue occidental, la liberté au sens large favorise la capacité d’innovation et donc de développement d’un pays. Le processus expérimental est directement lié à la liberté d’expression. Sans liberté de débattre, sans droit à l’erreur, la recherche ne peut pas progresser. Et c’est la performance économique qui peut être remise en cause », plaide Cécile Philippe. Au vu des fake news diffusées par Trump, l’Europe peut apparaître, sur ce point au moins, un peu plus libérale.