Géopolitique
Libéralisme, nationalisme : le double jeu des États-Unis
Sélection abonnésEn économie, les Américains manifestent une préférence historique pour le laisser-faire. Mais ils savent aussi faire jouer la puissance de l’État en temps de crise ou quand leur intérêt national est en jeu.
Yves Adaken
© Getty Images
S’il fallait désigner un pays comme étant la patrie de la libre entreprise, nul doute que les États-Unis récolteraient la majorité des suffrages. Le dynamisme de ses start-up et la puissance de ses multinationales suffiraient à le justifier. Mais en 2020, des ombres brouillent le cliché d’une économie guidée uniquement par la main invisible du marché.
Car c’est bien la main de l’État qui agit contre le Covid-19. Et de façon si vigoureuse qu’il est difficile de ne pas la voir. Faisant taire leurs divisions, républicains et démocrates du Congrès ont voté un premier plan de sauvetage de l’économie à 2 000 milliards de dollars, soit près de 10 % du PIB ! Ils sont appuyés par la Réserve fédérale, qui s’affranchit toujours plus des limites d’une stricte politique monétaire.
Non contente d’acheter à tour de bras des bons du Trésor pour financer un déficit qui atteindra 16 % du PIB cette année, elle innove avec l’achat d’obligations de grandes entreprises et un programme de prêts aux PME. Une véritable « socialisation du risque crédit », selon certains.
S’il fallait désigner un pays comme étant la patrie de la libre entreprise, nul doute que les États-Unis récolteraient la majorité des suffrages. Le dynamisme de ses start-up et la puissance de ses multinationales suffiraient à le justifier. Mais en 2020, des ombres brouillent le cliché d’une économie guidée uniquement par la main invisible du marché.
Car c’est bien la main de l’État qui agit contre le Covid-19. Et de façon si vigoureuse qu’il est difficile de ne pas la voir. Faisant taire leurs divisions, républicains et démocrates du Congrès ont voté un premier plan de sauvetage de l’économie à 2 000 milliards de dollars, soit près de 10 % du PIB ! Ils sont appuyés par la Réserve fédérale, qui s’affranchit toujours plus des limites d’une stricte politique monétaire.
Non contente d’acheter à tour de bras des bons du Trésor pour financer un déficit qui atteindra 16 % du PIB cette année, elle innove avec l’achat d’obligations de grandes entreprises et un programme de prêts aux PME. Une véritable « socialisation du risque crédit », selon certains.
La campagne présidentielle est également l’occasion de mettre en avant des positions qui n’ont rien de libéral. Donald Trump s’enorgueillit de sa guerre contre le libre-échange de l’Organisation mondiale du commerce, dont il a paralysé le fonctionnement. Joe Biden parle de doubler le salaire minimum fédéral à 15 dollars de l’heure. Y aurait-il quelque chose de pourri au royaume du libéralisme ?
Libéral-pragmatique
Dans le dernier classement des libertés économiques établi par la très conservatrice fondation américaine Heritage, les États-Unis n’apparaissent plus qu’au 17e rang, avec le statut un peu humiliant de pays « principalement libre ». Autre gardien du temple libéral, l’institut canadien Fraser crédite certes les USA d’une cinquième place mondiale derrière Hong Kong, Singapour, la Nouvelle-Zélande et la Suisse. Mais elle pointe le déclin d’un pays qui fut « le plus libre des pays de l’OCDE des années 70 au début des années 2000 ».
2 000 milliards de dollars
Le montant du plan de relance voté par le Congrès
Le libéralisme est intimement lié à l’histoire des États-Unis. Il s’appuie sur les valeurs des pères fondateurs de la République américaine. Deux siècles et demi plus tard, cela se traduit encore par une « préférence pour le libéralisme, mais un libéralisme pragmatique », explique Florence Pisani, cheffe économiste chez Candriam investors Group et coautrice, avec Anton Brender, de L’Économie américaine (La Découverte).
Si le « laisser-faire » est le maître mot de l’économie américaine, ses excès ont déclenché régulièrement des interventions correctrices de l’État. C’est ainsi qu’une loi anti-trust est entrée en vigueur dès 1890, qu’une législation sociale a commencé à être mise en œuvre après la Grande dépression des années 30 et qu’un encadrement du secteur financier a vu le jour après la crise de 2008…
Ce pragmatisme est allé jusqu’à la nationalisation de General Motors, entre 2009 et 2013, pour lui éviter la liquidation. Il n’empêche. « Rares sont les pays développés où l’intervention de l’État a été accueillie avec autant de réticences », souligne Florence Pisani. Cette méfiance s’observe en particulier « sur le marché du travail où la flexibilité est beaucoup plus forte qu’ailleurs, écrit-elle. Mais aussi à l’égard d’une sécurité sociale soupçonnée là-bas de réduire l’incitation à l’effort et donc la réussite individuelle ».
Si le poids des dépenses de l’État a fortement augmenté en un siècle (37,8 % du PIB en 2018), il reste bien inférieur au niveau atteint dans les grands pays de l’OCDE. Et les valeurs des pionniers jouent toujours leur rôle de force de rappel pour ramener la société américaine vers le libéralisme originel.
Par exemple, la séparation, au sein d’un même établissement, des activités de banque d’investissement et de banque de dépôt, décrétée par la loi Glass Steagall de 1933, a fini par être abrogée en 1999. Et l’encadrement du secteur financier, instauré en 2010 par la loi Dodd-Frank, a été assoupli en 2018. Idem pour l’Obamacare, la loi visant à rendre l’assurance santé obligatoire et accessible au plus grand nombre
Dérégulation agressive
La politique de dérégulation de Donald Trump illustre ce fréquent retour de balancier. Elle est particulièrement intense dans le domaine environnemental où quelque 70 règles de protection ont été supprimées et où une trentaine est sur le point de l’être, selon un décompte de Florence Pisani. « Trump est revenu sur beaucoup de choses. S’il est réélu, le libéralisme va s’accélérer », estime-t-elle. C’est une vraie différence avec les démocrates qui promettent, en cas d’élection de Joe Biden, un nombre conséquent de mesures pour préserver l’environnement et réduire les inégalités.
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Les deux camps se retrouvent en revanche sur la remise en cause du libre-échange. Les États-Unis en sont pourtant les promoteurs depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Ils ont soutenu la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) afin de fournir un cadre multilatéral à la négociation et à l’arbitrage des différends. Mais aussi extrême qu’il soit, Donald Trump n’est pas le premier président à avoir lézardé cet édifice.
Ses prédécesseurs ont eux aussi misé sur des accords commerciaux bilatéraux afin de faire valoir un meilleur rapport de forces. Et ils ont pris des mesures protectionnistes, à l’instar de Barack Obama. Le Global Trade Alert Report a comptabilisé 2 071 interventions discriminatoires en matière commerciale pour les États-Unis depuis 2009, ce qui en fait les champions du monde, devant l’Allemagne et l’Inde.
Donald Trump a toutefois parfaitement exploité le rôle joué par la mondialisation, et donc la libéralisation commerciale, dans la disparition de millions d’emplois industriels aux États-Unis. Se faisant le porte-parole des perdants du système, il a aussi désigné un ennemi : la Chine, entrée à l’OMC en 2001.
Mais il n’est pas le seul. « L’idée que la Chine a volé des emplois dans le secteur manufacturier, qu’elle a des pratiques déloyales et, de façon générale, que toute une frange de la population américaine a perdu au change, tout ça est partagé par les démocrates », relève Florence Pisani.
Mercantilisme national
L’approche de Donald Trump diffère toutefois de celle des démocrates. « Trump est un mercantiliste », explique Grégory Vanel, professeur à Grenoble École de management, spécialiste du commerce international. « Son objectif est avant tout de servir les intérêts des exportateurs américains et de protéger les industries en déclin aux États-Unis. »
Il mène pour cela une politique commerciale agressive vis-à-vis de tous les pays en excédent commercial par rapport aux États-Unis. Y compris à l’égard de ses plus proches partenaires comme le Mexique, le Canada ou l’Union européenne. En résultent la guerre des droits de douane avec la Chine et la renégociation des traités internationaux jugés défavorables.
« Trump est un mercantiliste. Son objectif est avant tout de servir les intérêts des exportateurs américains et de protéger les industries en déclin aux États-Unis.Grégory Vanel
Professeur à Grenoble École de management
Les démocrates ont, davantage que Trump, conscience de la difficulté de sortir du libre-échange, en raison des chaînes de valeur mondialisées des entreprises américaines. Mais « ils pourraient s’orienter vers une forme de protectionnisme, estime Grégory Vanel. L’objectif n’étant pas l’accès aux marchés extérieurs, mais plutôt le développement de la production intérieure. À la différence du mercantilisme, ajoute-t-il, le protectionnisme nécessite la coopération des autres États ».
Donald Trump met en scène son nationalisme économique. Mais les arguments de la sécurité nationale justifient depuis longtemps des interventions fédérales qui défient le libéralisme. Washington possède ainsi un droit de veto sur tous les investissements étrangers aux États-Unis et peut même imposer des sanctions à une entreprise étrangère à partir du moment où elle utilise le dollar. L’Amérique, pays de la libre entreprise, peut-être… mais à condition qu’elle soit américaine.
La Fed contre les inégalités raciales ?
Officiellement, la Réserve fédérale américaine n’a que deux objectifs : la stabilité des prix et le plein-emploi. Mais des élues du Congrès, menées par la sénatrice démocrate Elizabeth Warren, ont déposé début août une proposition de loi visant une troisième mission : « Inverser les graves discriminations raciales dans notre économie. » Le texte ne précise toutefois pas comment la Fed devrait s’y prendre concrètement. L’idée a été validée par Raphael Bostic, président de la Réserve fédérale d’Atlanta… et premier Noir à diriger l’une des 12 branches régionales de la Fed.
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