La France peut-elle s'inspirer des politiques économiques réussies des autres pays du globe ? C'est le sujet qu'a choisi de traiter la rédaction de Pour l'Éco ce mois-ci. À retrouver en kiosque et en ligne.
Oui, nous observons un sursaut à la fois quantitatif et qualitatif
Marie-Sixte Imbert, Senior Fellow de l’Institut Open Diplomacy
Opinions, États membres, Union européenne : cette guerre est un tournant. L’UE était déjà, à bien des égards, une puissance.
Premier marché mondial avec près de 450 millions d’habitants, sa puissance économique, financière et commerciale lui permet d’imposer ses normes, sur l’environnement ou les données. Défenseuse de valeurs universelles, elle disposait aussi d’une force internationale d’attraction.
Ce qui a changé, c’est la prise de conscience de cette puissance et de ses limites, la prise de conscience de notre capacité, comme de l’urgence, à asseoir une stratégie géopolitique.
En 2019, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, évoquait une Union « géopolitique » : la guerre en Ukraine l’a mise sur les rails.
La France peut-elle s'inspirer des politiques économiques réussies des autres pays du globe ? C'est le sujet qu'a choisi de traiter la rédaction de Pour l'Éco ce mois-ci. À retrouver en kiosque et en ligne.
Oui, nous observons un sursaut à la fois quantitatif et qualitatif
Marie-Sixte Imbert, Senior Fellow de l’Institut Open Diplomacy
Opinions, États membres, Union européenne : cette guerre est un tournant. L’UE était déjà, à bien des égards, une puissance.
Premier marché mondial avec près de 450 millions d’habitants, sa puissance économique, financière et commerciale lui permet d’imposer ses normes, sur l’environnement ou les données. Défenseuse de valeurs universelles, elle disposait aussi d’une force internationale d’attraction.
Ce qui a changé, c’est la prise de conscience de cette puissance et de ses limites, la prise de conscience de notre capacité, comme de l’urgence, à asseoir une stratégie géopolitique.
En 2019, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, évoquait une Union « géopolitique » : la guerre en Ukraine l’a mise sur les rails.
Cette accélération s’incarne tout particulièrement dans le tournant stratégique de l’Allemagne, après des années de débat sur le rôle de ce pays : adoption d’une lecture politique des questions économiques avec l’arrêt du gazoduc Nord Stream 2, révision de la politique de défense avec une hausse massive du budget des armées et livraison d’armes à un pays en guerre…
Ce tournant, officialisé par la coalition au pouvoir à Berlin, est soutenu par la population. Au regard de son histoire, de sa géographie, de ses relations avec l’est européen et de son poids au sein de l’UE, cette révolution est majeure pour l’Allemagne et pour l’Europe.
Le fruit avait mûri lors des années Trump. En quelques heures, le 24 février 2022, les Européens ont défini une politique et parlé d’une même voix : soutien économique et militaire à l’Ukraine, accueil des réfugiés, coordination avec l’OTAN, sanctions massives et inédites contre la Russie, autonomisation énergétique.
Le Danemark, jusque-là plutôt eurosceptique, pourrait rejoindre la politique de défense de l’UE, la Hongrie revient de ses inclinations pro-russes, la Finlande et la Suède envoient des armes à l’Ukraine, qui frappe à la porte de l’Union, comme la Moldavie et la Géorgie.
Face à un choc systémique, nous observons un saut à la fois quantitatif et qualitatif. Car cette guerre dans notre voisinage immédiat vise un pays proche à bien des égards et menace ce qui nous définit – des valeurs, des droits, et la crédibilité du projet européen.
Cette prise de conscience doit se poursuivre dans tous les domaines, de la politique étrangère à la politique industrielle ou énergétique. Le monde qui nous entoure a changé, mais il reste interdépendant : notre stratégie bouge, il nous reste à ancrer cette évolution dans le temps long par des moyens ambitieux et une doctrine claire.
Éco-mots
Systémique
Se dit d’une approche scientifique des systèmes politiques, économiques, sociaux, etc., qui s’oppose à la démarche rationaliste en abordant tout problème comme un ensemble d’éléments en relations mutuelles, en s’appuyant sur les découvertes en cybernétique, théorie de l’information, biologie, linguistique, anthropologie.
Non, elle révèle surtout les fragilités du processus de décision
Docteur Raphaël Gourrada, PhD in Political Science (CNRS-EHESS-Collège de France), Fellow de l’Institut Open Diplomacy
La capacité de l’UE à se poser comme véritable puissance internationale est cruellement questionnée par le conflit ukrainien, car elle implique deux critères qui semblent aujourd’hui faire défaut à Bruxelles : l’indépendance stratégique et la capacité de prise de décision.
Les domaines de la sécurité et de la production sont ceux sur lesquels la puissance européenne est la plus immédiatement défiée par son voisin russe.
L’Europe de la défense demeure soumise à la volonté et la coordination des États membres, l’engagement militaire conserve un coût moral fort, mal supporté par les sociétés européennes, et la notion de défense commune nie la mission pacifique première de la communauté.
Il est évident que cette réticence est entrée dans les calculs stratégiques du Kremlin. Paradoxalement, l’appel à un engagement civil de volontaires européens au sein de brigades internationales sur le théâtre ukrainien, témoigne certes d’une solidarité certaine entre peuples européens, mais souligne l’impotence sécuritaire de l’UE.
C’est dans le domaine de l’approvisionnement énergétique que l’Union pâtit le plus de son « impuissance » : 40 % des besoins en gaz naturel de l’UE provenant de la Russie, 25 % pour le pétrole, la question d’un embargo sanctionnant Moscou fait débat à Bruxelles, car les 27 ne sont pas tous aussi dépendants.
Ce qui freine la mise en place de sanctions, conditionnées au déploiement d’un plan stratégique de long terme visant à mettre fin à cette dépendance énergétique d’ici la fin de la décennie. Ce débat est à replacer dans le cadre plus vaste d’une autonomie stratégique accrue souhaitée par Bruxelles.
En définitive, c’est l’essence même de la décision qui est ici entravée à travers ce redoutable test pour la diplomatie européenne.
À bien des égards, la guerre en Ukraine est un révélateur des fragilités européennes en temps de crise et dans le contexte d’agressions, vis-à-vis d’une menace qu’elle croyait éradiquée par son modèle promouvant le « doux commerce » : la guerre à ses frontières.
L’UE semble, pour l’heure, déjà arrivée aux limites de sa puissance avec un jeu de sanctions qui ne peut pas aller plus loin contre le Kremlin et une mobilisation militaire qui semble improbable hors de l’OTAN.
Éco-mots
Embargo
Suspension des exportations d’un ou de plusieurs produits vers un État, à titre de sanction ou de moyen de pression.