L’essentiel
- Le 8 novembre, les Américains votent, à l’occasion des midterms, pour réélire une grande partie de leur Parlement.
- Les tensions se sont exacerbées entre Démocrates et Républicains depuis l’élection de Donald Trump en 2016. Familles, couples… Aucune structure sociale n’échappe à cette polarisation où chaque camp voit dans l’autre une menace existentielle.
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Quand on parle à Tim Russell du Parti démocrate, il se tend. « Ils veulent détruire le pays », lance tout-de-go ce républicain rencontré en banlieue de Phoenix (Arizona), fin octobre.
Ancien pompier, il pense que Joe Biden n’a pas été élu de manière légitime et que Donald Trump devrait se représenter en 2024 pour « sauver les États-Unis de la Chine, des grandes entreprises de la tech et de la corruption ». « Je ne comprends pas pourquoi quiconque voterait pour les démocrates », poursuit-il. Le problème est que plusieurs membres de sa famille le font : « Ma sœur, mon père… »
Leurs rencontres sont-elles agitées ? « Non, on ne se parle plus. Ils n’acceptent pas mes idées et je n’accepte pas les leurs », admet simplement Tim.
Lien social
Ensemble des relations qui unissent des individus faisant partie d’un même groupe social et/ou qui établissent des règles sociales entre individus ou groupes sociaux différents. Le lien social peut être plus ou moins fort selon le contexte et la situation étudiés. S’il devient de faible intensité, certains chercheurs et courants politiques abordent le problème sous l’angle de la « crise » du lien social.
Deux mondes parallèles
Dialoguer successivement avec des Républicains et des Démocrates en 2022 aux États-Unis, c’est voyager entre deux mondes parallèles aux codes, références, sources d’information très différents. Les deux camps s’accordent au moins sur une chose : ils sont convaincus que l’autre est un danger existentiel. Un récent sondage de la chaîne NBC a trouvé que 80 % des sympathisants des deux partis politiques pensent que le bord adverse incarne une « menace qui, si elle n’est pas stoppée, détruira l’Amérique telle qu’on la connaît ».
Ce ne sont pas les élections de mi-mandat (« midterms ») du 8 novembre - elles détermineront notamment le contrôle du Congrès - qui calmeront les esprits. Elles se déroulent dans un climat tendu, marqué par la profusion de fausses informations et la forte présence de candidats extrémistes qui nient ou questionnent la victoire de Joe Biden à la présidentielle en 2020, sans avoir de preuves tangibles.
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« À la différence de l’Europe, où l’appartenance à un parti est liée à l’idéologie et à la classe sociale, celle-ci dépend en grande partie de l’affect, outre-Atlantique : on s’identifie comme Démocrate ou Républicain plus parce qu’on déteste l’autre parti que pour des raisons de politiques publiques, explique Andrew Garner, professeur spécialisé dans les comportements politiques à l’Université du Wyoming. Cela a donné naissance à un esprit partisan, négatif, qui fragilise la démocratie : la base du parti déteste tellement l’autre camp qu’elle est prête à soutenir des actions ouvertement autoritaires pour arriver au pouvoir. »
Chacun dans sa bulle de filtre
Le sulfureux Donald Trump n’est pas le seul responsable de cette polarisation. Avec ses positions radicales, il n’a fait qu’accélérer une tendance à l’œuvre depuis des décennies. Parmi les facteurs en cause : d'une part le découpage des circonscriptions électorales visant à regrouper des électeurs du même bord politique, tuant ainsi l’échange d’idées, d'autre part l’émergence de « silos d’opinions », causés par les réseaux sociaux et les médias partisans comme Fox News à droite ou MSNBC à gauche.
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« Bien sûr, c’était pire pendant la Guerre de Sécession entre 1861 et 1865. Mais, de mon vivant, je n’ai jamais vu une polarisation aussi forte », estime Joan Blades, la cofondatrice de Living Room Conversations, un groupe qui organise des dialogues entre personnes de bords différents sur des sujets clivants (changement climatique, racisme, avortement…).
En entreprise, dans les foyers, les églises, les écoles, le monde du sport : les liens sociaux sont mis à rude épreuve dans ce contexte. En 2017, 11 % des 1 000 personnes sondées par la société de conseil Wakefield ont déclaré que leur couple s’était séparé à cause de tensions créées par Donald Trump. Des amitiés de longue date et des relations de travail ont aussi volé en éclats.
Las de ses échanges tendus avec ses interlocuteurs républicains, Tom Genty, un Démocrate résidant en banlieue de Phoenix, a décidé de couper les ponts. Non sans une pointe de regret. « C’est triste. On ne peut plus avoir de conversations de manière apaisée. C’est de la faute de Trump, souffle-t-il. Quand on voit que le Parti républicain s’attaque aux élections et à la démocratie, on ne peut plus le défendre. »
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En Chiffres
11 %
En 2017, 11% des personnes sondées dans une étude ont déclaré que leur couple s’était séparé à cause de tensions créées par Donald Trump.
(Source : société de conseil Wakefield, 2017)
Mary Castro, qui habite elle aussi dans la banlieue de Phoenix, dit la même chose de ses anciens amis démocrates. Elle leur reproche de lui avoir tourné le dos en raison de ses positions critiques sur le changement climatique et l’immigration illégale. « Ils disent qu’ils sont ouverts à d’autres opinions, mais ce n’est pas vrai, dit-elle. Ils vivent dans l’obscurité. »
Le marché de l'uniformité
S’entourer de gens qui partagent les mêmes convictions est devenu plus simple. Et le secteur privé encourage le mouvement. En plus de réseaux sociaux dédiés aux conservateurs (Parler, Truth Social…), des libraires, éditeurs, moteurs de recherche, services de recrutement et autres sites de streaming, les créateurs d’applications de rencontres s’engouffrent dans la brèche.
En septembre, deux Républicains ont lancé « The Right Stuff » (qu’on peut traduire par « le truc de droite », mais également par « ce qu’il faut »), une app pour jeunes conservateurs célibataires et hétérosexuels, avec le soutien financier du milliardaire Peter Thiel, cofondateur de la plate-forme de paiement PayPal.
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Elle rejoint un marché de plus en plus encombré depuis 2017 qui mise sur la non-mixité politique. Selon l’Institute for Family Studies, un think tank proche de la droite, les mariages entre démocrates et républicains ne représentent que 4 % du nombre d’unions outre-Atlantique.
Autre chiffre intéressant : l’institut Gallup a trouvé, pour sa part, que la part des parents qui considèrent l’identité politique de leur future belle-fille ou beau-fils comme « sans importance » est passée de 78 % en 1958 à 45 % en 2016.
Plus de politique en famille
Dans la famille Canino, où se trouvent des électeurs de deux partis, on s’est fixé une règle : ne plus parler politique quand tout le monde se retrouve pour Noël ou la fête de Thanksgiving, en novembre.
En effet, les sœurs, Ana et Rosangela, qui votent à gauche, avaient des discussions trop tendues avec leur frère, un officier de police en Floride, et leur mère, une chrétienne conservatrice, à qui elles reprochaient de soutenir les « positions xénophobes, sexistes, racistes et antidémocratiques » de Donald Trump et du Parti républicain, explique Rosangela. « La relation avec mon frère est plus importante pour moi que ses choix politiques ».
Une sage décision. Comme le dit Joan Blades, « la violence survient quand nous déshumanisons les autres ».
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Dans le programme de SES
Première. « Comment se construisent et évoluent les liens sociaux ? »
Première. « Comment se forme et s’exprime l’opinion publique ? »
Première. « Comment la socialisation contribue-t-elle à expliquer les différences de comportement des individus ? »