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Pierre-Olivier Gourinchas, nouveau chef économiste du FMI, défenseur de la coopération internationale
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Pierre-Olivier Gourinchas, nouveau chef économiste du FMI, défenseur de la coopération internationale
Cet économiste français, nommé au Fonds monétaire international, plaide pour un moratoire sur la dette des pays émergents, particulièrement vulnérables après la crise du Covid-19. Les enjeux de sa nomination en quatre points.
Cathy Dogon
© HAMILTON/REA
Pierre-Olivier Gourinchas devient chef économiste du Fonds Monétaire International ce mercredi 12 janvier 2022. Né en France, il est aujourd’hui considéré comme le spécialiste des déséquilibres mondiaux, des flux de capitaux, de la stabilité du système monétaire et financier international. Avant lui, de 2008 à 2015, Olivier Blanchard était le dernier Français à occuper ce poste.
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Qui est Pierre-Olivier Gourinchas ?
Après des études d’ingénieur à l’école Polytechnique et DEA à l’EHESS, Pierre-Olivier Gourinchas intègre le MIT et obtient son doctorat de sciences économiques en 1994 pour sa thèse « Essays on exchange rates and consumption ».
Il restera ensuite aux États-Unis pour y mener sa carrière de professeur à l’université américaine de Californie-Berkeley. En 2008, il reçoit le Prix du meilleur économiste de moins de 40 ans.
Pourquoi ce poste lui a-t-il été attribué ?
Il a particulièrement brillé ces derniers mois pour son analyse des politiques publiques envers les entreprises en temps de Covid. Ses travaux sont considérés comme pionniers pour leur caractère international, portant à la fois sur les Etats-Unis, l’Europe et les pays en développement.
L’économiste français prend la suite de l’économiste indo-américaine Gita Gopinath au poste de chef économiste. À la tête d’une équipe de plusieurs dizaines d’économistes, il analysera la reprise mondiale, ralentie par le variant Omicron, ainsi que les écarts entre pays développés et émergents.
Éco-mots
Fonds monétaire international (FMI)
Organisation créée en 1944 pour aider les pays économiquement en difficulté en échange de réformes structurelles.
Leurs études reposeront sur les déséquilibres de balances des paiements, les dynamiques de régionalisation du monde, l’inflation et à la hausse des prix de l’énergie, le multilatéralisme et la coopération internationale.
Que dit son analyse économique de la crise mondiale engendrée par le Covid-19 ?
En septembre 2021, Pierre-Olivier Gourinchas a publié un article scientifique très remarqué pour le Bureau national de recherche économique (NBER) aux États-Unis. Il y liste les différents effets des confinements et des politiques publiques interventionnistes pendant la crise du Covid-19, à l’échelle globale. Voici ce qu’il faut en retenir en huit points :
« 1. La politique budgétaire a réussi à réduire le taux d’échec des PME, par rapport aux non-Covid, de 9 points de pourcentage à 4,3 points de pourcentage.
2. Bien que la politique fiscale ait sauvé de nombreuses entreprises, nous constatons qu’elle était mal ciblée. La plupart des fonds décaissés ont été dépensés pour des entreprises qui n’en avaient pas besoin.
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3. Malgré ce mauvais ciblage, nous ne trouvons aucune preuve d’une « zombification » de l’économie. Selon nos estimations, nous prévoyons l’augmentation du taux d’échec de 2,6 modestes points de pourcentage en 2021. Les entreprises restent viables une fois l’économie rouverte.
Éco-mots
Entreprise zombie
Entreprise dont les recettes ne permettent pas de rembourser les intérêts de la dette et doit continuellement emprunter afin de poursuivre son activité.
4. En calibrant notre modèle mondial, nous constatons qu’une part importante de l’activité mondiale se produit dans des secteurs à demande limitée. Cela indique qu’il y a un rôle potentiel pour la stimulation politique qui contribuerait à combler l’écart de production dans ces secteurs.
5. Nous estimons un très faible multiplicateur budgétaire « conventionnel », autour de 0,06.
Éco-mots
Multiplicateur keynésien
Selon Keynes, toute augmentation des dépenses de consommation et toutes les dépenses d’investissement, engendrent des revenus et provoquent une hausse, plus que proportionnelle, des revenus et de la richesse créée dans le pays.
Notre analyse met en évidence comment les multiplicateurs conventionnels peuvent être trompeurs dans un environnement comme le Covid, où une grande partie de l’activité est limitée par l’offre et où la politique budgétaire fonctionne par le biais de transferts.
Notre analyse met en évidence un effet important de la politique budgétaire : les transferts réaffectent la demande des secteurs à offre limitée vers ceux à demande limitée. Bien que cela laisse la production totale largement inchangée, il réussit à préserver l’emploi dans les secteurs soumis à des contraintes de demande.
6. Les investissements démesurés des économies avancées n’ont pas stimulé l’activité économique des marchés émergents ; au contraire, nous mesurons des externalités transfrontalières de production faibles – et souvent négatives.
Éco-mots
Répercussion, positive ou négative, d’une action menée par un pays sur d’autres pays.
Ainsi, le manque d’espace budgétaire dans les marchés émergents n’a pas été compensé par la taille des paquets fiscaux dans les économies avancées.
7. Selon nos estimations, une reprise à deux vitesses fera monter les taux d’intérêt mondiaux, ce qui nuirait aux perspectives de croissance des marchés émergents.
En l’absence d’un moratoire généralisé sur la dette des gouvernements, la pandémie du Covid-19 va provoquer une vague de défauts souverains, en particulier pour les pays émergents et en voie de développement. Si cela venait à se produire, les efforts de la communauté internationale pour contenir la crise sanitaire auront échoué, et l’effondrement économique actuel pourrait bien conduire à un déclin permanent.Pierre-Olivier Gourinchas
8. Les marchés émergents seront confrontés au durcissement des conditions de financement extérieur, par une hausse des primes de risque, en cas de hausse des taux d’intérêt mondiaux ou normalisation de la politique monétaire américaine. »
Quelle est sa priorité économique ?
Pierre-Olivier Gourinchas s’inquiétait en avril 2020 dans une tribune du Monde de l’état de la coopération internationale : « En l’absence d’un moratoire généralisé sur la dette des gouvernements, la pandémie du Covid-19 va provoquer une vague de défauts souverains, en particulier pour les pays émergents et en voie de développement. Si cela venait à se produire, les efforts de la communauté internationale pour contenir la crise sanitaire auront échoué, et l’effondrement économique actuel pourrait bien conduire à un déclin permanent. »
Pour combler l’écart entre les économies avancées et les marchés émergents, il formulait une proposition : « Le FMI estime que les besoins de financement des économies émergentes s’élèvent à 2 500 milliards de dollars, mais il s’agit probablement d’une estimation basse ». Il appelait les économies avancées à mettre la main à la poche. Les ressources du FMI s’élevant à 1 000 milliards dans le cas du FMI, elles devraient, selon lui, être « considérablement élargies » : « En attendant, le FMI doit coordonner un large moratoire sur la dette. »
Désormais chef économiste du FMI et à travers les travaux de ses équipes, parviendra-t-il à imposer sa vision et convaincre les pays membres ?