Place à la bi-mondialisation, ou comment la mondialisation a changé de nature
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Place à la bi-mondialisation, ou comment la mondialisation a changé de nature

Frédéric Munier, professeur de chaire supérieure, enseigne la géopolitique en classes préparatoires au Lycée Saint-Louis (Paris) et à SKEMA Business School
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La bonne vieille mondialisation a vécu. Le mouvement d’ouverture générale des économies se referme autour des lignes de fracture géopolitiques et d’abord celles qui séparent la Chine et les États-Unis. Chronique.

Depuis quelques années, il est courant de lire ou d’entendre que nous vivons « la fin de la mondialisation ». Le succès de cette expression, particulièrement en France, témoigne davantage du rapport de défiance de nos concitoyens à l’égard de la globalisation que d’une réalité.

En effet, depuis la crise des subprimes, la mondialisation n’a pas reflué, elle s’est simplement stabilisée, sur un plateau élevé. En revanche, elle a changé de nature. Moins guidée par les seuls avantages comparatifs, elle épouse désormais les contours des camps qui émergent des divisions géopolitiques, à commencer par l’antagonisme sino-américain.

Dans un livre récent intitulé Dernier vol pour Pékin, la spécialiste de l’Asie Alice Ekman estime que nous entrons dans une « bi-mondialisation », c’est-à-dire une période marquée par un découplage croissant entre les économies américaine et chinoise.

La Chine n’est plus l’usine du monde. Elle a opéré une mue en refermant partiellement son économie pour contrer la pandémie de Covid-19, mais aussi pour réduire sa dépendance aux marchés extérieurs.

Dans le même temps, elle a cherché à orienter la mondialisation à son profit en promouvant le yuan comme devise internationale, en lançant les nouvelles routes de la soie et en développant, avec la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (BAII), un concurrent de la Banque mondiale.

Et nous ?

De leur côté, les États-Unis ont poursuivi la guerre commerciale contre leur rival asiatique. Fait emblématique, la secrétaire au Trésor Janet Yellen a récemment recommandé aux entreprises américaines de recourir au « friendshoring », c’est-à-dire à l’établissement de chaînes d’approvisionnement entre pays alliés des États-Unis.

S’il est encore trop tôt pour mesurer la réalité du découplage, déjà bien réel dans le domaine des semi-conducteurs, il est clair en tout cas que la mondialisation que nous avons connue est derrière nous.

Quelle sera la place de l’Europe dans cette nouvelle configuration géo-politico-économique ? C’est toute la question. En la matière, les Européens viennent de redécouvrir le protectionnisme américain. L’Inflation Reduction Act récemment promulgué par Washington pour combattre l’inflation conditionne notamment le versement d’aides à une fabrication « made in America ».

Lire aussi > Pourquoi les Européens ont peur de l’Inflation Reduction Act américain

Pris en tenaille entre la guerre en Ukraine, une Chine qui cherche à arrimer l’Europe à ses routes de la soie et des États-Unis défendant leurs intérêts, l’Union européenne doit vite définir une stratégie claire. Mais contrairement aux États-Unis et à la Chine, l’Union est divisée. Notre continent semble pris à revers par la fragmentation mondiale en cours. Il ne faudrait pas qu’il en soit la victime…