L’essentiel
- Depuis le 1er janvier, les Croates utilisent l’Euro pour leurs paiements et peuvent se déplacer sans restriction dans l’espace Schengen.
- Une double récompense qui valide les efforts économiques consentis par le pays depuis son entrée dans l’UE en 2013.
- Stabilité, facilité de paiement, investissements… cette situation nouvelle est bénéfique pour Zagreb et pour le reste de l’Union européenne.
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« C’est la réalisation d’un rêve. » Dans un entretien au Monde, le 9 décembre dernier, le Premier ministre croate Andrej Plenkovic ne cachait pas son enthousiasme face au futur européen qui attend son pays.
Le 1er janvier, Zagreb a intégré simultanément la zone euro (20ème pays de l’UE à adopter l’euro) et l’espace Schengen (27ème pays membre et 23ème pays de l’UE) et ce, à peine dix ans après être entré dans l’Union européenne (2013).
« Il s’agit d’une très bonne nouvelle car cela montre que le pays respecte ses engagements européens et démontre même une appétence pour la stabilité européenne », souligne Jérôme Creel, directeur du département des études de l’OFCE et professeur d’économie à l’ESCP Europe.
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Dette, déficit, inflation… la concrétisation d’efforts économiques
« Si la Croatie entre dans la zone euro, c’est qu’elle est suffisamment stable et qu’elle respecte bien les critères de convergences [dits critères de Maastricht] des économies européennes : maîtrise du déficit public, de la dette, de l’inflation, des taux d’intérêt à long terme et des taux de change entre l’euro et la monnaie du pays », poursuit Jérôme Creel.
En effet, la dette publique croate est en constante baisse et doit passer en dessous des 80 % du PIB en 2022. Il en va de même pour le déficit public depuis 2013. Le taux d’inflation de 2021 s’élève à 4,7 %, en dessous des critères de Bruxelles (même si la guerre en Ukraine a fait décoller le taux ces derniers mois).
Des résultats conformes aux demandes européennes car, depuis 2020, Zagreb est entré dans le système MCE II (Mécanisme de taux de change européen), l’antichambre de la zone euro.
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« Euroisation » de l’économie
« L’économie croate utilise déjà beaucoup l’euro comme monnaie d’import-export, de facturation, de prêts (environ 50 % pour les ménages et 70 % pour les entreprises, explique Sandrine Levasseur, économiste à l’OFCE Sciences Po. La Croatie suit une bonne trajectoire de croissance et est bien intégrée commercialement depuis plusieurs années avec les pays de la zone euro. »
Dans la même idée, l’entrée du pays dans l’espace Schengen, validée le 8 décembre dernier par les 27, entérine la capacité de la Croatie « à surveiller ses frontières extérieures ». Elle répond aux conditions de participation à l’espace de libre circulation mis en place en 1995, en appliquant depuis 2013 une partie de l’« acquis de Schengen » (l’ensemble des textes qui régissent le fonctionnement de l’espace), complète l’économiste.
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Pour l’UE, cette intégration est également une bonne nouvelle, appuie Jérôme Creel : « Cela signifie que les critères de stabilité fonctionnent et restent attractifs, alors que tous les pays de l’UE ont vocation à adopter l’euro. » Un argument soutenu par Sandrine Levasseur, qui souligne que « l’euroisation de l’économie croate » apportera forcément des bénéfices à son économie.
Stabilité et investissement
Selon les institutions de l’Union européenne, avec la monnaie unique « il est plus facile, moins coûteux et moins risqué de faire des affaires et d’investir dans la zone euro. En facilitant la comparaison des prix, l’euro encourage les échanges et les investissements de tous types entre les pays ».
Des avantages que la Croatie expérimente déjà depuis plusieurs années, nuance Jérôme Creel, car le pays est bien intégré dans l’UE. « Les investisseurs ont déjà anticipé ce passage, cela fait un an que l’on sait que la Croatie va intégrer la zone euro et cela fait 10 ans qu’elle ajuste son économie. »
Le passage à l’euro adresse aux partenaires commerciaux un message politique positif « d’arrimage à l’UE », un espace commercial dynamique de presque 450 millions de consommateurs, qui représente près de 20 % du PIB mondial.
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Capacité de décision
Une des conséquences les plus directes du passage à l’euro est à chercher au niveau de la gouvernance. Si la gestion de l’euro est confiée à la Banque centrale européenne (BCE), les gouverneurs des banques centrales des pays membres participent au pilotage. « Le gouverneur croate aura donc la capacité d’orienter les décisions au sein de la Banque centrale européenne grâce au système de rotation qui répartit les droits de vote au sein du Conseil des gouverneurs », commente Jérôme Creel.
La Croatie rejoint « le pool des pays de l’Est qui ont entre eux des problématiques similaires, comme une forte inflation (20 % dans les États Baltes par exemple et 13,5 % en Croatie sur les derniers mois) », détaille Sandrine Levasseur.
En outre, les ministres de l’Économie des pays membres de la zone euro se regroupent au sein de l’Eurogroupe, un organe informel de l’UE qui débat de la coordination politique entre les États.
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Liberté de circulation
Quant aux bénéfices liés à l’entrée dans l’espace Schengen, ils concernent particulièrement le déplacement humain. « À partir du 1er janvier 2023, les contrôles des personnes aux frontières terrestres et maritimes intérieures entre la Croatie et les autres pays de l’espace Schengen seront levés. Les contrôles aux frontières aériennes intérieures seront levés à partir du 26 mars 2023 », indique le Conseil de l’UE.
Finies les files d’attente aux frontières pour les touristes qui affluent chaque année sur les littoraux croates (ils étaient 14 millions en 2021, dont plus de 65 % venant d’un pays de la zone euro). Cette facilité administrative pourrait stimuler le secteur touristique qui représente déjà près de 20 % du PIB croate, tout comme la fin du change obligatoire entre l’euro et la Kuna (ancienne monnaie nationale).
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« L’espace Schengen fluidifie les échanges de personnes, de biens, d’étudiants, de retraités etc. Il est important de noter que 3,5 millions de personnes traversent actuellement une frontière Schengen chaque jour, dont 1,7 million de travailleurs, ce n’est pas négligeable », pointe Sandrine Levasseur.
Craintes sur les prix
Ce nouvel afflux et le passage à l’euro ne laissent pas les Croates indifférents. Le Figaro signale une étude montrant que 87 % des Croates redoutent une inflation après le passage à l’euro. Jérôme Creel commente : « Le passage à l’euro est très réglementé et si augmentation des prix il y a, les gouvernements ne manqueront pas de mettre en place des contrôles. »
Même constat pour Sandrine Levasseur : « Effectivement, lors de la conversion, les arrondis des prix en euro se font à la hausse. Alors, la tentation d’accuser l’euro d’aggraver l’inflation sera forte, surtout dans un contexte inflationniste comme aujourd’hui. Pourtant, les études ne notent pas d’influence notable de l’euro sur l’inflation. À l’inverse, sur le long terme, la stabilité de la monnaie unique est plutôt un rempart contre la hausse des prix. »
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