« C’est de la folie, il faut que ça s’arrête. » Le malaise transpire jusque dans les rangs de la majorité conservatrice. En témoigne la sortie de ce député, relayée par la télévision britannique fin septembre. La folie s'est arrêtée. L'ex-nouvelle Première ministre Liz Truss, au pouvoir depuis un mois à peine, a tellement raté son baptême du feu, qu'elle a été poussé à la démission le 20 octobre.
Le “mini-budget” présenté par son ex-ministre des Finances Kwasi Kwarteng avait suscité une levée de boucliers quasi-générale. Et provoqué la panique sur les marchés financiers.
Pour sortir le pays de la mauvaise passe économique, symbolisée par une croissance atone (anticipée à 0 % par l’OCDE en 2023) et une inflation galopante (10,1 % en juillet), la dirigeante conservatrice de 47 ans a ouvert le vieux grimoire de Margaret Thatcher.
Il faut dire que l'ancienne locataire du 10 Downing Street admire depuis son adolescence l’ancienne Première ministre du Royaume-Uni (1979-1990), adepte des baisses d’impôts et du marché libre.
Au cœur de son raisonnement : l’idée selon laquelle la diminution des taxes permet de stimuler l’activité économique et de relancer la croissance. Le mini budget de Kwasi Kwarteng épousait cette doctrine avec, entre autres, l’annonce de baisses d’impôts et de cotisations à destination des particuliers et des entreprises pour un montant total de 45 milliards de livres (soit 51 milliards d’euros).
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Politique de l’offre
D’inspiration libérale, soutient qu’un ensemble de mesures favorisant l’offre (abaissement des impôts ou des charges sociales sur les entreprises, etc.) permet de stimuler la croissance.
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Le retour du « ruissellement »
Surtout, le nouveau gouvernement a choisi de remettre au goût du jour la théorie du « ruissellement », en diminuant fortement la taxation des plus aisés. « Cette théorie du 'ruissellement' prévoit que les réductions d’impôts sur les ménages les plus riches profiteront à l’ensemble de l’économie grâce aux dépenses et aux investissements de ces derniers qui créent un effet de relance, explique Jean-Philippe Serbera, professeur associé de finances à l’université Sheffield Hallam et à l’ESC Pau. Cette approche était très populaire dans les années 1980 mais rien ne garantit qu’elle sera efficace. »
Théorie du ruissellement
Traduction de « trickle-down effect », cette théorie soutient qu’une politique économique favorable aux plus aisés, en particulier via une baisse de la fiscalité, permet un « ruissellement » positif vers le reste de l’activité économique. Problème, les études économiques empiriques ne montrent pas cet effet. Une étude de 2019 du Journal of Political Economy, analysant des données de différents pays, montre que les baisses d’impôts sur les plus riches n’ont aucun effet ou seulement une faible influence sur le niveau d’emploi. De fait, la théorie du ruissellement est surtout aujourd’hui un concept politique creux plutôt qu’une vérité économique.
De quoi expliquer, en partie, l’emballement des marchés : les investisseurs ont fortement douté de la pertinence des “Trussonomics” pour atteindre l’objectif de 2,5 % de croissance fixé par Kwasi Kwarteng.
D’autant qu’en parallèle, l'ex-ministre des Finances avait mis sur la table 60 milliards de livres pour atténuer la hausse vertigineuse des prix de l’énergie dans le pays, sur fond de hausse des cours du gaz et de guerre en Ukraine.
« Cela a apporté un peu de certitude à l’approche de l’hiver, reconnaît Heather Taylor, économiste spécialiste du marché du travail à l’Université de Lancaster. Mais à part cette mesure, le budget n’est pas destiné à ceux qui ont le plus besoin d’être protégés. Les plus riches voient leurs impôts baisser, mais rien n’est prévu pour les foyers qui dépendent des allocations pour vivre, par exemple. »
Les banques suspendent leurs prêts
D’un côté, l’État se prive donc de recettes et de l’autre, doit s’endetter pour financer les 60 milliards de dépenses. Avec un coût total d’une centaine de milliards de livres, ce mini-budget « alourdissait considérablement les finances publiques du Royaume-Uni », indique Jean-Philippe Serbera, un autre motif d’inquiétude dans les salles de marché.
Et qu’importe si le gouvernement assure qu’à terme, la croissance entraînerait une augmentation mécanique des recettes de l’État. Le parti conservateur britannique, considéré comme le chantre de la discipline en matière fiscale au Royaume-Uni, a subitement perdu sa crédibilité aux yeux des financiers.
Résultat, la livre sterling, déjà affaiblie par le Brexit, a dégringolé fin septembre pour s’établir à un plus bas historique face au dollar (1,035 dollar pour 1 livre sterling). Avant de rebondir sensiblement. En l’espace de quelques jours, l’économie britannique est ainsi devenue un pari plus risqué pour les investisseurs.
Dépréciation d’une monnaie
Baisse de la valeur d’une monnaie due à une évolution économique défavorable. Cette situation peut résulter d’un manque de confiance de la part des investisseurs, d’un excédent de monnaie mis en circulation sur le marché… La dépréciation peut aussi bien favoriser l’exportation comme elle peut générer une augmentation des prix de l’importation.
Un constat reflété aussi sur le marché obligataire - des émissions de dette d’État -, où les taux d’emprunt se sont envolés : Londres doit payer plus cher pour s’endetter. « Le taux à cinq ans est plus élevé que celui de l’Italie et de la Grèce », s’étranglait fin septembre le journaliste Andrew Marr, sur les ondes de la radio LBC. « Les risques pris par le gouvernement ont déjà des conséquences bien réelles pour les Britanniques puisque de nombreuses banques, en pleine incertitude, ont décidé de retirer leurs offres de prêts immobiliers », déplore Heather Taylor, de l’Université de Lancaster, dans le nord-ouest de l’Angleterre.
La baisse de valeur de la livre menace, en parallèle, d’alimenter l’inflation : pour le même prix en dollars, les importateurs britanniques vont devoir s’acquitter de factures plus élevées en livres, et probablement répercuter cette hausse de prix sur les consommateurs.
La Banque d’Angleterre contrainte de racheter des titres de dette
Dans ce contexte de fortes turbulences, le Fonds monétaire international (FMI), qui analyse les politiques économiques et financières des gouvernements, « avait sévèrement jugé dans un communiqué le plan budgétaire de Londres, citant des dépenses injustifiées et une augmentation des inégalités, un tel avertissement est assez rare pour un pays du G7 », souligne Jean-Philippe Serbera.
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Dans le même temps, la Banque d’Angleterre avait été contrainte d’intervenir pour racheter les titres de dette à long terme, dont les taux avaient bondi, afin de rassurer les marchés. « La banque centrale agit pour protéger le Royaume-Uni des actions de son propre gouvernement, non mais vous vous rendez compte ? », hallucinait au début de l'automne un député conservateur auprès de la chaîne de télévision Sky News.
Finalement… elle renonce
Sous la pression, Liz Truss et son ministre des Finances ont fini par renoncer, et partir du pouvoir l'un après l'autre. Liz Truss a agi au nom du marché libre. Mais le marché libre est décidément bien ingrat.
Dans le programme de SES
Terminale : « Comment expliquer les crises financières et réguler le système financier ? »
Terminale : « Quels sont les sources et les défis de la croissance économique ? »
Terminale : « Quelles inégalités sont compatibles avec les différentes conceptions de la justice sociale ? »