Elle a commencé par un drapeau européen déployé sous l’Arc de Triomphe, provoquant au passage des réactions politiques indignées, des Insoumis au Rassemblement national : la France a pris la présidence du Conseil de l’Union européenne ce 1er janvier.
Pour la treizième fois depuis la fondation de l’UE, la France va exercer ce mandat pour six mois. Un rôle « qui fait beaucoup de bruit, notamment avant l’élection présidentielle française », reconnaît Benjamin Couteau de l’institut de recherche européen Jacques Delors. Mais ce poste doit surtout être relativisé : « Emmanuel Macron ne va pas présider l’Europe. »
Cela paraît clair si on s’intéresse de plus près à l’architecture européenne. « Le Conseil de l’Union européenne est une institution centrale, mais seule, elle n’aurait pas beaucoup de pouvoir », poursuit le chercheur. Le Parlement européen et le Conseil de l’UE sont en effet co-législateurs, « l’équivalent d’une chambre basse avec les parlementaires élus par les citoyens et d’une chambre haute, qui réunit les ministres des États membres ».
Si ces deux institutions négocient, amendent et votent les législations, c’est la Commission européenne qui propose les textes. En d’autres termes, le Conseil de l’UE ne peut pas proposer une nouvelle loi du jour au lendemain.
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Pas de pouvoir renforcé
On s’interroge alors : à quoi sert le pays président du Conseil de l’UE ? Sa première mission est de parvenir à des compromis. La France en occurrence, va présider des réunions et groupes de travail thématiques tout au long du semestre. « Un travail de l’ombre, technique et diplomatique. Un rôle d’équilibriste en somme, puisque mettre d’accord les 27 États membres de l’UE n’est pas toujours facile », précise Benjamin Couteau.
Une fois un compromis trouvé, le pays président représente le Conseil lors des trilogues, c’est-à-dire les discussions interinstitutionnelles, qui ont lieu avec le Parlement européen et la Commission. « Donc, c’est un titre qui n’est pas qu’honorifique, mais qui n’est pas non plus le signe d’un pouvoir décisionnel renforcé », résume Yves Bertoncini, président du mouvement européen sur France Inter.
D’autant que la présidence du Conseil de l’UE est dite tournante : ce sont en réalité trois pays qui collaborent sur une période de 18 mois et qui élaborent un programme commun. Chacun occupe les fonctions à tour de rôle pendant 6 mois. La France travaillera ainsi avec la République tchèque (qui prendra les rênes au second semestre 2022) et avec la Suède (au premier plan, début 2023).
Un temps très court
Là où le pays président peut exercer son influence, c’est dans le choix des textes débattus. En gros, « on peut mettre à l’ordre du jour les sujets qui nous intéressent le plus et glisser sous le tapis les textes qui nous arrangent le moins, les ralentir. Par exemple, le pacte sur la migration et l’asile, très épineux, n’a pas du tout été une priorité pour les présidences précédentes (allemande, portugaise et slovène), qui l’ont laissé à leurs successeurs », explique Benjamin Couteau de l’institut Jacques Delors.
Le gouvernement français a d’ores et déjà listé ses priorités (voir encadré). Transition numérique, écologique, protection des droits sociaux : les observateurs s’entendent pour dire que les objectifs sont très ambitieux. Peut-être même trop. « En six mois, on ne peut pas faire aboutir tous les dossiers, sur le plan législatif », indique Yves Bertoncini du mouvement européen. « Même si certains textes sont plus avancés que d’autres, en connaissant le temps que prennent les procédures, tout ne sera clairement pas possible », complète Benjamin Couteau.
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La France devra faire face à un défi supplémentaire : un calendrier extrêmement serré dû à l’élection présidentielle (10 et 24 avril) et aux législatives (12 et 19 juin). Le mandat européen pourrait donc être raccourci. La période de réserve peut perturber l’implication et la communication des membres du gouvernement.
Et si, l’exécutif change après le scrutin ? « Difficile de prévoir ce qu’il se passera », prévient le chercheur. Même s’il appelle à relativiser, « le président de la République française est une figure parmi d’autres. Qu’il change ne serait pas fatal à l’Union européenne, qui fonctionne avec ses propres institutions. Cela ne devrait pas freiner le travail des fonctionnaires français dans les discussions du Conseil de l’UE ».
Une dépendance à l’actualité internationale
D’autant qu' Emmanuel Macron, son ou sa successeur(e), n’a plus de rôle officiel stricto sensu dans cette présidence du Conseil de l’UE. Il est au même rang que les autres chefs d’État et de gouvernements européens.
Depuis le traité de Lisbonne en 2009, le pays qui préside le Conseil de l’UE n’assure plus en même temps la présidence du Conseil européen. Cette institution possède aujourd’hui un président élu pour 2 ans et demi : Charles Michel, une sorte de « chef d’orchestre » des sommets des dirigeants des États membres depuis 2019.
Et si Emmanuel Macron a listé, début décembre, les sujets qu’il souhaitait que la France priorise pour son mandat européen, l’actualité internationale peut rebattre les cartes. C’est ce qu’il s’est passé lors de la présidence allemande, car le Conseil de l’UE, en collaboration avec le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (Josep Borrell), doit en tenir compte : « Berlin avait préparé tout un programme de travail et s’est retrouvé à devoir négocier un plan de relance (suite à la pandémie de Covid-19), qui a occupé une très grosse partie de son mandat », relate encore Benjamin Couteau.
De la même façon, lors de la précédente présidence française, la crise financière et économique de 2008 après la faillite de Lehman Brothers, et le conflit entre la Géorgie et la Russie étaient venus perturber l’agenda. Et le chercheur de l’institut Jacques-Delors de conclure : « On n’est donc jamais à l’abri que des événements extérieurs viennent chambouler une présidence. »