« I love this car » expliquait à la caméra en 2020 le candidat Joe Biden, après avoir consciencieusement fait fumer les pneus de sa Corvette Stingray de 1967. Mais l’amour peut aussi rendre aveugle, si l’on en croit les propositions du président des Etats-Unis.
Pour la Maison-Blanche, tout citoyen américain pourrait bientôt prétendre à un crédit d’impôt maximum de 12 500 $ s’il achète une voiture électrique neuve, fabriquée sur le territoire et assemblée par des ouvriers syndiqués !
À la gratification fédérale de 7500$ pour tout achat de véhicule électrique ou hybride, la Maison-Blanche a ajouté 500$ de bonification si la batterie est américaine et 4500$ si l’auto sort d’une chaine dont les ouvriers appartiennent au syndicat United auto workers (UAW)… lui-même actionnaire de General Motors.
Un train de mesures protectionniste qui risque fort de rester à l’état de projet. Le Sénat américain semble peu enclin à entériner de telles idées, la fronde venant du propre camp de Mr Biden en la personne du sénateur centriste Joe Manchin, qui a prévenu qu’il ne cèderait pas à la discipline habituellement observée par les sénateurs démocrates.
Pour l’économiste française Cécilia Bellora, le protectionnisme est aussi un jeu dangereux : « ce qui est gagné en termes de revenu sur le marché domestique doit être supérieur à ce qui va être perdu en termes d’exportations et de compétitivité » fait-elle observer.
La réaction mexicaine a été du même acabit, tout comme celle de l’Union européenne ou même celle d’Elon Musk, l’incontournable PDG de Tesla. La puissante industrie automobile allemande, réunie sous la houlette de l’organisme VDA, a pour sa part fait observer que « quand bien même la proposition serait adoptée en l’état, seulement deux modèles sur plus de 50 actuellement sur le marché américain pourraient bénéficier des crédits d’impôt dans leur intégralité. »
Joe Biden voudrait céder à la tentation protectionniste pour plusieurs raisons. La première, parce que les voitures chinoises ou du moins les composants chinois seraient en passe d’envahir l’Amérique.
Incapables de mettre au point des voitures thermiques au niveau de celles vues en Europe ou Outre-Atlantique, les Chinois ont en effet rattrapé leur retard en misant sur le véhicule électrique. Pari réussi pour l’instant puisque les véhicules électriques chinois sont appréciés, du moins en Europe. Or, ils sont bien moins chers que leurs concurrents à prestations égales…
Deuxième raison objective à la proposition de Joe Biden, un fait historique : General Motors (GM) n’est plus la première marque aux Etats-Unis ! Ce sont 2,21 millions de GM neuves qui ont été vendues en 2021. Un chiffre à comparer aux 2,33 millions de Toyota neuves distribuées l’an dernier.
La chaine d’information CNN indique que voir une marque étrangère dominer les ventes aux Etats-Unis est une « première depuis près d’un siècle », ce qui peut tout à fait susciter l’ire d’une partie du pays.
En janvier 2010, déjà, le syndicat UAW donnait le ton en manifestant devant l’ambassade du Japon : « Toyota est un danger pour l’Amérique ! » scandaient alors les ouvriers de Ford, GM, Chrysler etc.
Rivaliser avec les subventions chinoises
Mais surtout, le président américain voudrait jouer à armes égales avec ses concurrents, c’est-à-dire les constructeurs chinois. Le protectionnisme est une véritable institution du côté de Pékin.
Le gouvernement chinois a beau avoir annoncé que les subventions à l’achat des véhicules propres cesseraient au 31 décembre 2022, elles demeurent une réalité encore cette année.
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Selon un rapport de France Stratégie, les tactiques chinoises pour ne subventionner que les seuls véhicules chinois sur leur propre marché sont tout à fait remarquables. Les bonus et autres exemptions de taxes ont pour assiette l’autonomie des batteries, le prix global du véhicule ou encore sa capacité à se recharger rapidement.
Des règles qui sont les mêmes pour tous, sauf qu’un constructeur étranger ne peut prétendre vendre un véhicule électrique en Chine s’il n’a pas mis au point au préalable une coentreprise avec un constructeur chinois, qui distribuera l’auto sous une marque propre.
D’autre part, afin de favoriser les batteries chinoises au détriment des autres, le gouvernement serait extrêmement pointilleux sur les homologations délivrées. Toujours d’après France Stratégie, les producteurs de batteries sont contraints de livrer aux services techniques chinois une bonne partie de leurs secrets industriels, ce qui ne va pas dans le sens d’une saine concurrence.
Enfin, les Chinois n’hésitent pas à financer directement leurs propres marques. Le constructeur BYD aurait ainsi perçu plus de 387 millions d’euros d’aides d’Etat entre 2011 et 2015…
Il ne faut cependant pas croire que le protectionnisme est une affaire purement sino-américaine. À chaque nouvelle « vague » d’importation de véhicules, les pouvoirs publics ont du mal à trouver d’autre réponse que celle-ci.
L’Europe et la France ne sont donc pas en reste. À la fin des années 80, les véhicules japonais entendaient s’implanter sur le marché européen. La Communauté Economique Européenne (CEE) avait alors institué des quotas maximaux d’importation d’autos japonaises, marché par marché.
La France devait ainsi accueillir 3% de japonaises en 1989 et 4,5% en 1991. Les quotas avaient en réalité été bien vite dépassés car les Japonais de Nissan avaient trouvé la parade : implanter une usine en Grande-Bretagne afin d’échapper aux restrictions.
Tandis que tous redoutaient d’être supplantés par les marques japonaises, voici la réalité trente ans après : Suzuki, Mitsubishi, Nissan, Toyota et Lexus ont représenté ensemble 8,3% des voitures neuves vendues en France en 2021, sachant que la seule marque Renault a constitué 18,8% du marché dans l’Hexagone.
La vague japonaise n’a donc pas eu lieu, du moins pas dans les proportions craintes dans les années 80. Ironie du sort, au moment où le gouvernement français n’a que le mot « relocalisation » à la bouche lorsqu’il est question d’industrie automobile, l’usine Toyota de Valenciennes est à ce jour le dernier site d’assemblage automobile à avoir été construit en France.
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