« L’effet Lagarde sur les marchés », fustige La Repubblica. « Bouclier anti-spread. Et le marché boursier s’envole », rapporte Le Corriere della Serra. « Les banques centrales et l’inflation font à nouveau couler les bourses », s’inquiète encore Il Sole 24 Ore…
L’annonce a fait réagir la presse italienne : ce 9 juin, la Banque centrale européenne (BCE) indiquait une remontée des taux directeurs et l’arrêt de son programme d’achats d’actifs (APP). Ce mécanisme permet d’acheter des obligations d’État et de baisser les taux d’intérêt sur les dettes publiques des pays de la zone euro.
En d’autres termes ? « La politique de compression des taux menée ces dernières années pour lutter contre le risque déflationniste et qui aidait en même temps les pays à se financer, s’arrête. C’était une aubaine pour les plus endettés. C'est comme ça que des pays comme la France se sont retrouvés avec un taux négatif », résume Eric Dor, directeur des études économiques et professeur à l’IESEG School of Management de Paris et Lille.
Obligations d’État
Titre de créance qu’émet un État pour couvrir des dépenses. Sorte de reconnaissance de dette.
Risque de déflation
La déflation désigne une baisse généralisée et durable des prix. Cela peut encourager les ménages à reporter leurs décisions d'achat et donc à faire baisser la consommation. S'en suivraientt un glonflement des stocks des entreprises, une réduction de leurs investissements et de leur production. La spirale entraînerait une baisse des salaires et une hausse du chômage.
En haut de la liste des débiteurs, se trouve l’Italie. Avec une dette publique qui dépasse les 150 % de son PIB (soit 2 678 milliards d’euros en avril 2022), elle est le deuxième pays le plus endetté de la zone euro, derrière la Grèce. L’Italie est donc bien un des pays les plus vulnérables face à une hausse des taux.
Cette vulnérabilité a rapidement provoqué des réactions : pour la première fois depuis 2014, le taux d’emprunt italien à 10 ans a dépassé les 4 % le 13 juin, signe d'une défiance des marchés. Le taux est redescendu après une réunion d’urgence de la BCE portant sur l’écart de taux d’emprunt (appelé dans le jargon, spread).
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Spread
En finance, l’écart entre des taux d’emprunts. Dans la zone euro, le taux de référence pour les investisseurs est celui de l’Allemagne, qui est le plus bas. Pour garantir la stabilité de la monnaie, la Banque centrale européenne veille à ce que les spreads ne soient pas trop importants.
Mauvais souvenirs
La situation fait peur à Rome. Ce n’est pas la première fois que l’Italie provoque la méfiance et voit donc le taux d’intérêt exigé sur sa dette augmenter par rapport à d’autres pays « plus vertueux » de la zone euro .
Après la crise financière de 2008-2009, les États les plus endettés avaient déjà suscité la méfiance des investisseurs. La Grèce avait perdu l’accès aux marchés, puis l’Irlande, le Portugal. Chypre et l’Espagne avaient dû être soutenus. « Après la restructuration de la dette grecque en 2012, les marchés s’étaient mis en tête que certains pays allaient être obligés de quitter la zone euro (le “redenomination risk”) ou qu’ils allaient faire faillite. L’Italie était l’un des États susceptibles de faire défaut », explique Éric Dor.
Redenomination risk
Le risque de dénomination de la dette. Expression utilisée par Mario Draghi en 2012. Situation lors de laquelle un pays serait obligé de quitter la zone euro, repasser à une monnaie nationale, convertir ses dettes publiques et faire passer une loi monétaire pour autoriser sa banque centrale à prêter les sommes nécessaires au gouvernement pour honorer ses créances.
Finalement, le « whatever it takes » (quoi qu’il en coûte) de Mario Draghi, alors président de la BCE et aujourd’hui Premier ministre italien, avait permis à Rome d’échapper au pire, même si le taux d’emprunt du pays était monté jusqu’à 7 % en 2011.
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En 2018, il avait atteint 3,74 % en raison, cette fois, d’une crise politique interne. L’arrivée au pouvoir du Mouvement 5 étoiles de Luigi Di Maio et de la Ligue du Nord de Matteo Salvini affolait les investisseurs. Le programme populiste de ces partis laissait craindre une explosion des dépenses publiques. « On voyait venir une crise de la dette pour l’Italie, mais finalement, le gouvernement a revu ses prétentions à la baisse », se souvient Éric Dor.
Effet domino
Aujourd’hui, avec l’arrêt des rachats de dette, le spectre d’un séisme plane sur l’Italie. Les conséquences pourraient être très lourdes. Les banques italiennes ont largement acheté de la dette publique italienne. « En cas de restructuration “à la grecque”, toute une série de banques italiennes seraient automatiquement en faillite car leur capital serait avalé par la perte et il faudrait leur venir en aide », avertit l’enseignant. « Si elles tombaient, cela ferait aussi tomber d’autres banques car elles se prêtent entre elles. Un effet domino, qui pourrait mener à une crise financière similaire à celle de 2008-2009 », poursuit-il.
Mais même avant d’en arriver là, les banques, fragilisées, devraient prendre moins de risques : « Elles prêteraient moins aux entreprises et aux ménages et cela créerait de la récession. »
En parallèle, une hausse des taux d’intérêt sur les obligations publiques aurait un impact sur les taux d’intérêt que paient les ménages et les entreprises italiennes : « Un entrepreneur paierait davantage d'intérêts à Milan ou à Naples, qu’à Paris, Munich ou Helsinki. Si l’on était encore en francs, c’est comme si un couple qui empruntait pour une maison à Caen payait davantage d’intérêts qu’un ménage qui faisait le même investissement à Marseille. Ça ne semble pas acceptable dans une zone monétaire commune. »
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Récession
Ralentissement de l’activité économique d’un pays. D’après l’Insee, on parle de récession dès lors que l’on observe un recul du Produit intérieur brut (PIB) sur deux trimestres consécutifs au moins.
Pour lutter contre ce risque de fragmentation de la zone euro, la Banque centrale a annoncé le 15 juin, réfléchir à un nouvel instrument. De quoi réduire les spreads, même si Francfort reconnaît que les taux d’emprunt ne peuvent pas être totalement unifiés partout dans l’UE.
Pour ce qui est de l’Italie, certains économistes se veulent rassurants : 76,7 % de la dette publique italienne est à taux fixe, sur les niveaux très bas des dernières années. Le taux d’une obligation émise en 2021 le sera donc jusqu’en 2031. Et le système financier italien est plus solide aujourd’hui qu’au début des années 2010.
C’est à long terme que la situation pourrait se compliquer. Si Rome doit emprunter aujourd'hui à des taux plus élevés, cela pèsera sur le coût de sa dette et pourrait remettre en cause la soutenabilité budgétaire du pays.
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L’euro, responsable du marasme italien ?
Avec une dette qui dépasse les 150 % du PIB et une croissance en berne, l’Italie se questionne : qui blâmer ? Pour certains économistes transalpins, c’est la faute à l’euro. Ils ne comprennent pas comment des pays comme l’Italie et l’Allemagne peuvent partager la même devise. « En Italie, les salaires et les prix avaient tendance à augmenter plus rapidement qu’en Allemagne. Mais cela était corrigé par la dépréciation de la lire. Ce n’est plus possible avec des taux de change figés », indique Éric Dor.
À cela s’ajoutent des critiques du pacte de stabilité, qui exclut tout financement monétaire direct des banques centrales, et l’idée que le taux de conversion initial entre la lire italienne et l’euro aurait été surévalué dès le début, alors que le DeutscheMark aurait été sous-évalué pour doper la compétitivité de l’Allemagne.
D’autres économistes jugent au contraire que les maux italiens préexistaient à l’euro. Ils pointent davantage les problèmes structurels : un système éducatif sous-performant, une administration publique et un système juridique si inefficaces qu’ils n’attirent pas les investisseurs ou encore un manque de coopération entre les acteurs économiques. Deux points de vue pour expliquer le marasme italien donc. Deux façons de lire l’Histoire.
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