En 2018, Elzbieta Bienkowska, commissaire européenne à l’Industrie, n’avait pas mâché ses mots : « Le diesel est fini (…) Je pense que dans quelques années, les voitures diesels auront complètement disparu. C’est une technologie du passé » avait-elle confié à Bloomberg.
Alors que Mme Bienkowska était à la manœuvre pour tirer les leçons du « dieselgate », le scandale des moteurs truqués par Volkswagen, elle n’avait pas hésité à livrer un avis scientifique tranché. Depuis lors, les moteurs diesels sont honnis et leurs ventes se sont effondrées partout, notamment en France.
Mme Bienkowska était-elle dans son rôle en discréditant une technologie ? Les pouvoirs publics européens sont-ils aujourd’hui légitimes à imposer de facto le véhicule électrique à tout le monde ou presque à compter de 2035 ? « L’Europe veut faire face à l’urgence climatique et cherche à diminuer les émissions de gaz à effet de serre, fait remarquer Valéry Michaux, enseignante-chercheuse à la Neoma Business School, ce qui ne veut pas dire qu’elle ne conserve pas sa neutralité technologique. Elle n'encourage pas dans sa règlementation, une technologie plutôt qu'une autre ».
Le règlement européen qui s’imposera à tous les États membres en 2035 ne parle en effet pas explicitement d’électricité ou d’une autre source d’énergie. Il y est simplement indiqué que d’ici 12 ans, les véhicules neufs devront avoir réduit leurs émissions de CO2 de 100% par rapport à 2021 lors de leur phase d’utilisation.
Seulement, dans les faits, une seule solution permet cela à l’heure actuelle : le recours à un véhicule électrique, qu’il soit alimenté par une batterie contenant des matières minérales ou par une pile à combustible (hydrogène).
L'UE a « toute sa place en tant que directrice du marché… »
Pour Samuel Klebaner, économiste et enseignant-chercheur à la Sorbonne Paris-Nord, « l’Union européenne a toute sa place en tant que directrice du marché unique », surtout lorsqu’elle fait en sorte « que les produits qui arrivent sur le marché respectent un certain nombre de normes et soient conformes à des objectifs ». D’autant plus que selon M. Klebaner, « la Commission européenne ne prend aucune décision sans consulter les constructeurs auparavant. »
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Il serait en effet erroné de croire que tous les constructeurs automobiles renâclent à l’idée de se lancer dans le véhicule électrique, qu’il soit imposé par les politiques ou par l’urgence climatique mondiale. Une lettre du « Climate group » envoyée à Ursula Von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, le 20 mars dernier, enjoint même les politiques à poursuivre dans cette voie et à faire fi des soubresauts allemands : « Nous demandons aux États membres d'honorer l'accord politique conclu entre les législateurs au cours des négociations du trilogue et de tracer une voie claire pour les entreprises européennes qui décarbonent déjà leur flotte en investissant dans des véhicules électriques » indiquent les signataires, parmi lesquels Pfizer, Ikea mais aussi Ford et Volvo.
Même le président du directoire de Stellantis exhorte les politiques à édicter des règles qui s’appliquent aux industriels : « Si l’Europe ne veut pas que son industrie automobile disparaisse d’ici 2035, il faut la protéger. Il faudrait fixer des droits d’importation sur les véhicules chinois jusqu’en 2035, car ils ont 10 ans d’avance sur nous » avait expliqué Carlos Tavares à 20 minutes lors du dernier Mondial de l’auto à Paris.
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Ainsi, bien qu’étant le premier pourfendeur du véhicule électrique et des décisions politiques qui s’appliquent aux capitaines d’industries, le charismatique patron n’oublie pas non plus à quel point les règles fiscales ou commerciales peuvent constituer des armes redoutables dans un marché mondialisé.
Karima Delli, députée européenne et présidente de la commission transports et tourisme, abonde : « Si nous n’avons pas le bouclier européen qui permettra aux constructeurs de se remettre à l’avant-garde, nous n’aurons plus que les yeux pour pleurer » considère-t-elle, « l’histoire, c’est de parvenir à redonner du sens à l’Europe et à son industrie automobile ! Et les constructeurs sont prêts… »
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Errements règlementaires passés
Si l’Europe parait donc dans son rôle en imposant la mobilité zéro émission, il ne faut toutefois pas oublier qu’elle en est arrivée à prendre une décision aussi drastique à cause de ses propres errements règlementaires : « La Commission a poussé le secteur automobile européen vers des véhicules plus lourds, plus rapides et plus chers » fait observer Tommaso Pardi, chargé de recherche au CNRS et directeur du Gerpisa, le groupement d’universitaires qui travaillent spécifiquement sur l’automobile en France.
Selon son propos et ses études, l’empilement des règlementations dans le milieu de l’automobile aurait conduit les constructeurs à proposer des voitures toujours plus sûres et solides, ce qui en a augmenté la masse. De ce fait, les constructeurs ont eu massivement recours au moteur diesel (plus économique que le moteur à essence) pour que se meuvent ces autos lourdes, entrainant pollution et autres désagréments… Désormais consciente que l’avenir de l’automobile n’est pas constitué par des engins qui polluent, la Commission met donc un coup de barre en faveur de l’électricité.
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Une bonne idée d’un point de vue environnemental, mais qui exclura à terme les classes moyennes de l’accès à une voiture neuve, en raison des prix élevés des voitures à batteries. Les premières conséquences se font d’ailleurs déjà sentir : la vente de vieux véhicules d’occasion s’est rarement révélée aussi dynamique en France : « Un paradoxe dans un contexte de mise en place des zones à faibles émissions dans de nombreuses métropoles françaises » note l’association AAA Data, qui traite les statistiques automobiles en France.
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