C’est un périple de près de 10 000 kilomètres dont l’axe principal traverse la Chine, le Kazakhstan, la Russie, la Biélorussie, la Pologne et l’Allemagne. Lancé en 2013 principalement par la Chine, le projet pharaonique des « nouvelles routes de la soie » est né pour améliorer les voies de communication et encourager les échanges entre l’Asie et l’Europe. Sont acheminés aussi bien des produits tels que du gaz, des smartphones, des automobiles ou des pièces électroniques. « Un programme polymorphe, insiste Frédéric Lasserre, professeur à l’Université Laval du Québec. Puisqu’il s’agit à la fois de transports routiers, maritimes et ferroviaires ». Début 2022, rien que pour ce dernier volet, le plus conséquent du projet, quelque 180 villes situées dans 23 pays européens étaient reliées, via la China-Europe Railway Express.
Compte tenu de l'étendue du projet, la guerre en Ukraine l'a inévitablement bouleversé et prioritairement les voies de chemin de fer. « Sur les voies terrestres, vous n’avez pratiquement plus de trafic entre d'un côté la Russie, de l’autre, la Finlande, les pays Baltes, la Pologne… Plus rien ne passe non plus par l’Ukraine. Une sorte de ‘nouveau rideau de fer’ s’est érigé depuis le nord de la frontière finlandaise jusqu’au sud de la frontière roumaine », résume Dominique Menu, économiste et banquier à la retraite, aujourd’hui administrateur d’une banque ukrainienne.
C’est un périple de près de 10 000 kilomètres dont l’axe principal traverse la Chine, le Kazakhstan, la Russie, la Biélorussie, la Pologne et l’Allemagne. Lancé en 2013 principalement par la Chine, le projet pharaonique des « nouvelles routes de la soie » est né pour améliorer les voies de communication et encourager les échanges entre l’Asie et l’Europe. Sont acheminés aussi bien des produits tels que du gaz, des smartphones, des automobiles ou des pièces électroniques. « Un programme polymorphe, insiste Frédéric Lasserre, professeur à l’Université Laval du Québec. Puisqu’il s’agit à la fois de transports routiers, maritimes et ferroviaires ». Début 2022, rien que pour ce dernier volet, le plus conséquent du projet, quelque 180 villes situées dans 23 pays européens étaient reliées, via la China-Europe Railway Express.
Compte tenu de l'étendue du projet, la guerre en Ukraine l'a inévitablement bouleversé et prioritairement les voies de chemin de fer. « Sur les voies terrestres, vous n’avez pratiquement plus de trafic entre d'un côté la Russie, de l’autre, la Finlande, les pays Baltes, la Pologne… Plus rien ne passe non plus par l’Ukraine. Une sorte de ‘nouveau rideau de fer’ s’est érigé depuis le nord de la frontière finlandaise jusqu’au sud de la frontière roumaine », résume Dominique Menu, économiste et banquier à la retraite, aujourd’hui administrateur d’une banque ukrainienne.

Des craintes pour la sécurité, l’image ou le paiement
Plusieurs facteurs expliquent la forte baisse, voire l’interruption des échanges. Les sanctions prises à l’égard des Russes et leurs représailles tout d’abord. Mais de nombreux exportateurs et transporteurs ont aussi stoppé leur activité dans la zone. C’est le cas par exemple d'Ikea, BMW, HP ou encore Audi.
D'aucuns craignent en effet pour la sécurité des convois, que certains assureurs refusent désormais de couvrir ou qu’ils facturent plus chers (via des surprimes d’assurance). D’autres fournisseurs redoutent de rencontrer des problèmes lors du paiement à la livraison. D’autres, enfin, ont peur pour leur image si l’on apprend que les marchandises transitent par la Russie.
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Pour l’heure, il est difficile d’évaluer les pertes économiques totales qu’engendre le conflit pour les usagers des nouvelles routes de la soie, nous expliquent les spécialistes. Les États ne communiquent pas les chiffres. Néanmoins, pour 2021, l’opérateur ferroviaire public chinois estimait à plus de 15 000 le nombre de voyages en train effectués entre l’Europe et l’Asie. Cela représentait 1,46 million de conteneurs transportant des marchandises d’une valeur d’environ 75 milliards de dollars.
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Des alternatives pas optimales
Face à la situation, des itinéraires alternatifs se sont développés, mais ceux-ci posent plusieurs problèmes : l’état des infrastructures est loin d’être partout optimal. Les voies de chemin de fer n’ont, par exemple, pas la même largeur en Chine que dans les pays de l’ex-URSS. Certaines routes, qui passent notamment par l’Iran, la Géorgie ou l’Arménie, sont sujettes à des situations géopolitiques pour le moins incertaines. Et les ruptures de charge sont nombreuses lorsque l’on traverse différents pays.
Malgré ces difficultés, un itinéraire en particulier rencontre un succès : les 7 000 kilomètres qui partent de Chine et parcourent le Kazakhstan, la mer Caspienne, la Géorgie puis la Turquie. « Le trajet a vu ses usagers augmenter de 40 % depuis le début de la guerre, note Frédéric Lasserre. Même s’il faut être prudent avec ce chiffre : en partant d’un niveau vraiment très faible, le pourcentage grimpe facilement en flèche. »
Rupture de charge
Arrêt provoqué par le transfert de marchandises d’un moyen de transport à un autre. On parle de « temps de transbordement ».
Remplacer le ferroviaire par le transport maritime n’est toutefois pas toujours la solution idéale. Certains fabricants installés au centre de la Chine, là où la main-d’œuvre est moins chère, ne sont accessibles que par voie terrestre.
Qui plus est, si le transport maritime a un coût inférieur au fret ferroviaire (quatre à cinq fois moins environ), les capacités sont plus faibles et le temps de trajet plus long : entre 30 et 45 jours par la mer, contre 15 par le ferroviaire.
Des routes très coûteuses
La guerre en Ukraine peut-elle couper les nouvelles routes de la soie ? Elles les transforment assurément, mais elles ont nécessité tellement d’investissements qu’il n’est pas question de mettre une croix dessus, répond Dominique Menu. D’après le Center for Strategic and International Studies (CSIS), un think tank américain spécialisé en politique étrangère, la Chine aurait investi 1 000 milliards de dollars dans ce projet.
Quant aux pays concernés par les transits, ils sont nombreux à avoir engagé énormément d’argent et à s’être endettés pour financer les moyens de circulation. « Ils vont essayer par tous les moyens de poursuivre ce projet. Pour l’heure, on ne sait même pas s’ils sont rentrés dans leurs frais. Lorsque j’ai demandé aux responsables des chemins de fer kazakhs si les investissements faits pour leurs infrastructures ont été rentabilisés, ils se sont bien gardés de répondre », confie l’expert.
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Principal obstacle à la rentabilité : les trains qui apportent des marchandises asiatiques vers Europe font très souvent le trajet retour à vide. Les Chinois achètent peu de produits européens. D’après la Commission nationale du développement et de la réforme chinoise, le fret ferroviaire ne représentait que 8 % des échanges commerciaux entre les deux continents. « C’est une excellente illustration d’un méga-projet qui coûte énormément d’argent sans forcément de retour sur investissement. Cela permet quand même à la Chine d’étendre son emprise politique. »
L’avenir de la mondialisation
Mais Pékin n’a pas dit son dernier mot : « Les Chinois considèrent qu’à un moment ou à un autre, la guerre va s’arrêter, qu’il y aura une normalisation des relations entre Russes et Européens ; qu’ils pourront reprendre là où tout s’est arrêté », tranche Dominique Menu.
Dans ce scénario néanmoins, la Chine ne prend pas en compte la volonté politique récente des pays occidentaux de relocaliser progressivement leurs productions. Une intention accentuée par la crise du Covid-19, notent les experts. « Toutefois, si le discours des Européens va dans ce sens, les actes tardent à venir. Cela prendra du temps. On ne peut donc pas quantifier les conséquences futures pour les échanges internationaux. » La Chine, première puissance exportatrice du monde, semble encore avoir de beaux jours devant elle.
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Le piège de la dette ?
« On a tendance à penser que les nouvelles routes de la soie sont un projet complètement financé par les Chinois. C’est faux ! », s’exclame Frédéric Lasserre. La Chine a investi, mais elle a aussi beaucoup prêté aux pays pour qu’ils développent ou modernisent leurs infrastructures. Le tout, en faisant profiter ses entreprises : « Le gouvernement y a vu une façon d’aider ces firmes à construire à l’étranger parce qu’il n’y avait plus de marché intérieur », complète Dominique Menu. « À un moment où la Chine avait accumulé énormément de réserves de change, prêter abondamment a permis en même temps d’aider l’économie du pays. »
Le risque du défaut
Aujourd’hui, la Chine détient plus de 50 % des créances des pays en voie de développement. Un chiffre colossal derrière lequel certains économistes voient un possible piège de la dette : profitant des taux d’intérêt et exerçant une influence, la Chine aurait poussé les États partenaires à s’endetter massivement. « La Chine finance une ligne ferroviaire à grande vitesse au Laos qui coûtera l’équivalent de la moitié du PIB du pays », note pour appuyer cette hypothèse Dylan Gerstel, économiste américain.
Que faire si les endettés n’arrivent pas à rembourser ? Certains États sont contraints de céder leurs infrastructures à la Chine, comme l'a fait le Sri Lanka en 2017 pour son port. «On va assister à des situations de défaut, prévient Dominique Menu. Qui devraient durer plusieurs années… »