Pourquoi elle ?
Elvire Fabry est chercheuse à l’Institut Jacques Delors (institut de recherche européen destiné aux décideurs européens et aux citoyens), en charge de la politique commerciale, l’Europe dans la mondialisation et le Brexit. Experte des négociations commerciales, de la gouvernance mondiale ou encore du Brexit, cette docteure en sciences politiques et diplômée de masters de philosophie et de relations internationales est également membre du CEPII, principal centre français d'étude et de recherche en économie internationale.
Pour l’Éco. Le Brexit est-il plutôt un échec ou une réussite économique en 2022 ?
Elvire Fabry. Toutes les estimations d’impact économique faites avant le référendum de 2016 sur le Brexit convergeaient vers un impact négatif. Ce que nous voyons aujourd’hui, c’est une confirmation progressive de plus en plus claire de cette réalité. Dans un premier temps, il a été difficile de faire la part des choses entre l’impact du Covid-19 et l’impact du Brexit.
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Mais dans le contexte actuel de relance, il est de plus en plus évident que nous assistons à un décrochage du commerce britannique par rapport aux autres pays du G7.
G7
Le groupe des sept (G7) est un groupe informel de sept pays dont les chefs d’État et de gouvernement se réunissent lors d’un sommet annuel. Il n’a ni existence juridique, ni secrétariat permanent, ni membre de droit. Les sujets économiques sont au cœur de sa fondation, poussée par la France à la sortie du premier choc pétrolier.
On observe une baisse de 15 % des importations et des exportations britanniques en 2021, alors que le commerce mondial a fortement augmenté de 8 %. On note en particulier une baisse très importante des exportations britanniques vers l’Union européenne.
Dès 2020, l’Union européenne avait rétabli les contrôles pour toutes les exportations britanniques vers l’UE. Mais pour ce qui est des contrôles sur les importations en provenance de l'UE , le gouvernement britannique envisage un quatrième report, au-delà du 1er juillet 2022, de l’échéance à laquelle ces contrôles seront complètement mis en place, pour ne pas impacter davantage les approvisionnements, ne pas créer davantage de pénuries, notamment en denrées alimentaires.
On observe également un gros déficit d’investissement des entreprises, qui s’était amorcé dès 2016, et qui est un signal inquiétant supplémentaire sur l’évolution de l’attractivité britannique.
Ainsi, fin 2021, on notait une baisse de 11 % des investissements dans les entreprises par rapport au quatrième trimestre de 2019 (situation pré-Brexit).
Pourtant le Royaume-Uni est au plein-emploi, c’est quand même une bonne nouvelle économique, non ?
Avec la charte de libre circulation entre l’UE et le Royaume-Uni, il y a eu un important départ de la main-d'œuvre européenne et on voit aujourd’hui beaucoup de tensions sur le marché de l’emploi dans un certain nombre de secteurs. On a par exemple beaucoup parlé du déficit de chauffeurs routiers, qui n’avaient plus le droit de cabotage, qui leur permettait de passer d’un État membre à l’autre.
Droit de cabotage
Une opération de cabotage routier de marchandises désigne tout transport de marchandises (chargement, déchargement) entre deux points du territoire national, réalisé par une entreprise non résidente. Le cabotage routier de marchandises peut être pratiqué, sous conditions, sur le territoire français par une entreprise établie dans un État de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen.
Cela devient beaucoup moins intéressant pour les entreprises de chauffeurs routiers d’assurer le commerce entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, alors qu’une pénurie de chauffeurs routiers, certes moins importante, existe déjà en Europe, malgré les octroi de visas supplémentaires qui ont eu lieu à la rentrée de septembre 2014.
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Et puis le taux de chômage au Royaume-Uni n’a jamais été très élevé. Ce qui est problématique aujourd’hui, c’est la carence de main-d'œuvre dans certains secteurs. C’est notamment le cas dans l'agriculture, pour les travailleurs temporaires, ou dans les centres publics de santé.
Le problème du taux de chômage n’est pas regardé de la même façon côté britannique et côté UE. Au Royaume Uni, cela déclenche plutôt une augmentation des salaires, tant mieux pour les salariés britanniques, mais celà amplifie l’inflation : 7 % côté britannique, contre 4,5 % en France.
Sortir des normes européennes a-t-il simplifié la vie des entreprises britanniques ?
Non, bien au contraire. Les Brexiters aspiraient à retrouver leur souveraineté réglementaire. Mais les chiffres du commerce montrent à nouveau qu’il est difficile de rendre tangibles ces dividendes réglementaires.
En effet, toute réglementation britanniques éloignée des réglementations européennes a un coût immédiat pour les entreprises britanniques. Ces dernières doivent assurer à la fois leur conformité avec les réglementations européennes (pour être à même d’exporter vers le marché unique) et leur conformité avec les réglementations britanniques. Une lourdeur peu attractive pour les partenaires commerciaux du monde entier, qui ont plutôt intérêt à s’aligner sur la réglementation européenne, comme le montre ce graphique.

L’UE, 2e acteur mondial du commerce international entre la Chine et les États-Unis.
À présent, les Britanniques doivent déployer des moyens importants pour assurer une veille de la réglementation européenne, sans être en mesure de l'influencer. Les entreprises exercent une forte pression sur le gouvernement Johnson pour que le pays reste aligné sur la réglementation européenne.
Ayant renoncé par le Brexit à la libre-circulation au sein du marché unique, le Royaume-Uni expose maintenant les entreprises de services britanniques à la diversité des réglementations des 27 États membres. C’est un « bol de spaghetti » réglementaire très compliqué à gérer.
Pour compenser la sortie de l’UE, le Royaume-Uni avait promis de nouveaux accords commerciaux avec d’autres pays. Où en est-il ?
Le Royaume-Uni a beaucoup avancé dans la négociation d’accords commerciaux à travers le monde. Mais il s’agit le plus souvent d’une duplication des accords signés par l’Union européenne sans qu’il y ait de bénéfice supplémentaire évident.
Les nouveaux accords sont ceux signés avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande, que l’UE n’a de son côté pas encore conclus. L’économie britannique est aussi essentiellement fondée sur les services (80 %), un domaine avec encore de nombreuses barrières réglementaires où il est difficile d’intensifier les échanges, notamment avec des pays aussi éloignés.
La candidature présentée par le Royaume-Uni à l’accord transpacifique CPTPP, qui réunit 11 pays, pourrait être une initiative intéressante : cette plateforme de promotion de normes pourrait être très attractive dans les années à venir.
Mais le Royaume-Uni n’a pas encore conclu d’accord, et encore une fois, l’enjeu principal pour les Britanniques est d’exporter davantage leurs services, plutôt que des biens.
Difficile d’anticiper les opportunités dont pourrait tirer parti le Royaume-Uni dans les années à venir. Boris Johnson avait promis davantage d’intervention étatique, davantage de subventions.
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Mais dans l’accord de retrait, il y a des clauses de vigilance pour éviter les distorsions de concurrence. Du côté européen, on pouvait craindre que le gouvernement britannique se mette à soutenir certains secteurs, ce qui aurait créé ces distorsions de concurrence. Un mécanisme d’arbitrage a donc été introduit pour l'éviter.
Mécanisme d'arbitrage
Censé régler les différents litiges internationaux, ce mécanisme d'arbitrage a été négocié difficilement entre le Royaume-Uni et l'Union européenne dans le cadre du Brexit. Après négociation, ces litiges seront finalement tranchés par un panel d'arbitrage, et non par la Cour européenne de justice.
L’UE a déjà déposé une plainte à l’OMC (Organisation mondiale du commerce) concernant les subventions allouées aux éoliennes par le gouvernement britannique. Elles pourraient créer des distorsions de concurrence en permettant aux entreprises de bénéficier d’un coût de l’énergie moins élevé. L’UE est particulièrement vigilante sur le sujet et cela continuera de compliquer les projets britanniques.