Géopolitique

Thomas Pogge : « Les pays du Nord ont une dette climatique envers ceux du Sud »

Pour le philosophe allemand, les pays du Nord sont responsable d'une majeure partie de la crise climatique. Ils doivent donc en faire davantage que ceux du Sud.

Thomas Pogge, professeur de philosophie et d’affaires internationales à l’Université Yale
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Illustration de l'article Thomas Pogge : « Les pays du Nord ont une dette climatique envers ceux du Sud »

© © DONWILSONODHIAMBO/ZUMA/REA

Pourquoi lui ?

Thomas PoggeThomas Pogge est professeur de philosophie et d’affaires internationales à l’Université de Yale. Spécialisé en philosophie politique, il a travaillé en particulier sur l'œuvre Théorie de la justice de John Rawls et sur la pauvreté mondiale. Son oeuvre World Poverty and Human Rights est considéré comme l'une des plus importantes sur la question de la justice mondiale et des inégalités. Pogge soutient que les individus les plus riches ont un devoir de justice impérieux leur commandant d'agir pour éradiquer la pauvreté, en raison de leur responsabilité dans le malheur des plus pauvres.

La plupart des habitants du monde souffrent des effets des émissions de gaz à effet de serre : pollution atmosphérique, élévation du niveau de la mer, événements météorologiques extrêmes, expansion des zones de maladies tropicales, pénurie croissante de nourriture et d’eau.

La majorité d’entre eux soutient le projet d’une transformation profonde et rapide de nos pratiques qui réduirait considérablement les émissions anthropiques (liées à l’activité humaine). Mais une transition vraiment démocratique exige plus : il s’agit de s’entendre aussi sur le « comment ». Car selon la voie de transition choisie, les effets distributifs peuvent varier beaucoup.

Les pays riches soutiennent l’idée de l’économiste William Nordhaus de fonder un club climatique, avec deux règles pour les États membres. D’abord, chacun impose une redevance sur les émissions sur son territoire : 50 dollars par tonne métrique en 2025, puis 3 % de plus par an en termes réels ; ensuite, chacun impose une taxe forfaitaire (5 % à 10 % selon Nordhaus) sur toutes les importations en provenance des États qui refusent d’adhérer au club.

Ce système traite tous les pays de manière parfaitement symétrique. Il est donc supposé juste… Eh bien non !

Soyons honnêtes. Certains pays riches peuvent se permettre de ralentir leur croissance. Ces pays sont responsables d’émissions de forte intensité qui ont causé de grands dommages, en particulier aux États les plus pauvres.

Les ravages provoqués à l’étranger par les émissions américaines entre 1990 et 2014 sont estimés à près de 2 000 milliards de dollars ! Et puis, les redevances sur les émissions vont entraîner une hausse considérable de l’utilisation des technologies vertes, augmentant massivement les revenus issus de brevets qui appartiennent pour la plupart à des entreprises du Nord.

Nous n’avons pas le droit de demander aux pays du Sud de s’imposer à eux-mêmes une redevance sur les émissions qui leur ferait transférer des frais de licence énormes vers le Nord, ceci pour contribuer à éviter une catastrophe mondiale qu’après tout, le Nord a déclenchée par ses émissions disproportionnées.

Nous n’avons pas le droit de demander aux pays du sud de s’imposer à eux-mêmes une redevance sur les émissions qui leur ferait transférer des frais de licence énormes vers le Nord.
Thomas Pogge

Professeur de philosophie et d’affaires internationales à l’Université Yale

Pour une transition équitable, il faudrait par exemple créer un Fonds d’impact pour les technologies vertes (GIFT). Financé par les États riches, ce fonds ferait aux innovateurs verts la proposition suivante : si vous renoncez à perpétuité, dans les pays à bas revenus de la zone GIFT, à toutes les marges bénéficiaires monopolistiques sur votre technologie verte brevetable, vous toucherez chaque année les primes basées sur les réductions d’émissions que cette technologie réalise dans ses six premières années d’utilisation dans la zone GIFT.

Ce fonds stimulerait aussi le développement d’innovations vertes adaptées aux besoins, aux cultures, aux circonstances et aux préférences dominantes dans la zone GIFT, avec un impact encore augmenté. Ces deux effets en produiraient un troisième : il renforcerait les capacités de développement, de fabrication, de distribution, d’installation, d’exploitation et de maintien des technologies vertes dans la zone GIFT.

Le GIFT aiderait alors les pays riches à tenir leur promesse de 2009 de consacrer 100 milliards de dollars par an à soutenir l’effort climatique des pays en développement. Ce chemin de transition rapide, une grande majorité de l’humanité peut l’embrasser de tout cœur.

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