Que retiendrez-vous de cette COP26 ?
Les larmes d’Alok Sharma, son président ? Le Premier ministre britannique Boris Johnson qui s'endort pendant les débats, et repart en jet privé rejoindre un club masculin de climatosceptiques ? Simon Kofe, ministre des Affaires étrangères de Tuvalu qui fait un discours les pieds dans l’eau pour dénoncer l’inaction ? Les jeunes manifestants, emmenés par Greta Thunberg et ses pairs, qui dénoncent le greenwashing et le « bla bla bla » à coups de discours et de pancartes ?
Plusieurs de ces images plus ou moins théâtrales et anecdotiques ont fait le tour du monde. Mais ce que retiendront les diplomates du climat de cette rencontre à Glasgow, c’est la place inédite qu’a prise dans les négociations la question des pertes et préjudices (ou pertes et dommages).
Pour L’Éco revient sur ce point clé des discussions de cette conference of parties, en cinq questions pour tout y comprendre.
Que sont les pertes et préjudices ?
Le terme de « pertes et préjudices » est utilisé dans les discussions diplomatiques mondiales pour désigner les dommages causés par le changement climatique d’origine humaine. Cela peut concerner des événements soudains comme les ouragans ou les violentes inondations, mais aussi des phénomènes de plus long terme comme l’élévation du niveau de la mer.
Pour les seuls pays en développement, les coûts économiques de tels dégâts, sont estimés entre 290 milliards et 580 milliards de dollars par an d’ici à 2030. Dans le pire des scénarios, le Soudan par exemple pourrait voir son PIB par habitant s’effondrer de plus de 80 % à la fin du siècle.

Qui défend ce mécanisme ?
L’établissement de la responsabilité et de l’indemnisation pour les pertes et dommages est un objectif de longue date pour les pays les moins développés et les plus vulnérables face au dérèglement climatique. Parmi eux de nombreux États africains et les îles des Caraïbes (Haïti, Jamaïque), de l’Océan indien (Seychelles, Maldives, Comores…) ou d’Océanie (Tuvalu, Fidji)…
Ces États insulaires sont déjà régulièrement frappés par les catastrophes climatiques comme l’Ouragan Irma en septembre 2017 dans les Caraïbes. Ces menaces à moyen et long terme par la montée des eaux les ont incités à se regrouper sous le nom d'Aosis (Alliance des petits États insulaires).
Au sein des négociations climatiques, l'Aosis réclame la prise en charge financière de ces dégâts climatiques par les pays riches, en raison de leur responsabilité historique dans les émissions de CO2 depuis le début de l’ère industrielle.
Comment ce mécanisme s’est-il imposé dans la diplomatie internationale ?
Grâce à ces pays insulaires, cette notion est apparue pour la première fois dans les négociations climatiques durant les années 1990, originellement sous la forme d’une assurance internationale pour indemniser les pays en développement menacés par la montée des eaux.
Il faut ensuite attendre 2007 et le plan d’action de Bal pour voir les pertes et préjudices mentionnés pour la première fois dans un texte formellement négocié de l’ONU. Le texte définissait ainsi la notion : « stratégies et moyens de réduction des catastrophes pour faire face aux pertes et dommages associés aux impacts du changement climatique dans les pays en développement qui sont particulièrement vulnérables aux effets du changement climatique ».
En 2013, une nouvelle étape est franchie avec le mécanisme international de Varsovie pour les pertes et dommages. Il a permis une meilleure définition du concept, une amélioration de sa compréhension et l’élaboration de données scientifiques associées.
En 2015, la question est, pour la première fois lors de négociations climatiques, explicitement à l’agenda de la conférence de Paris (COP21).
L’accord de Paris sur le climat comprend un article (art. 8) portant spécifiquement sur les pertes et préjudices. C’est une avancée importante pour les pays les plus vulnérables : les pertes et préjudices deviennent ainsi un pilier des négociations internationales sur les politiques climatiques.
À lire Une sortie du charbon en bonne voie grâce à l'accord de Paris ?
Mais les pays les plus vulnérables négocient toujours dans le but de faire évoluer le mécanisme de Varsovie d’une phase d’études techniques à des plans d’action concrets.
Qu’a changé la COP26 sur ce sujet ?
La COP26 a clairement déclaré que le changement climatique a déjà causé et causera de plus en plus de dommages. La conférence des parties a aussi approuvé la nécessité de fournir davantage d’argent, à terme, pour lutter contre ces dégâts.
Elle a surtout considéré les pertes et préjudice comme l’un des principaux sujets de discussion des rencontres diplomatiques sur le climat. En dépit de l’absence de consensus, le sujet a été au cœur des toutes dernières journées de négociations et a alimenté les tensions entre pays riches et pauvres, menaçant même la possibilité de parvenir à un accord.
Le groupe de négociation « G77 et Chine », qui représente 134 pays en développement et 70 % de l’humanité, a demandé la création d’une « facilité de financement » pour leur permettre de faire face à ces pertes et préjudices. Sans succès. Les États-Unis et l’Union européenne se sont opposés à cette idée.
Dans un « souci de compromis », pour aboutir à un accord, les pays vulnérables ont finalement cédé sur le sujet, indiquant que la décision finale était insuffisante, mais qu’ils l’acceptaient.
L’accord a finalement eu lieu, bien que décevant pour de nombreux participants et observateurs. Et les tensions sur le sujet des « pertes et préjudices » et le non-respect des promesses de financement des pays riches n’est sans doute pas étranger au revirement final de l’Inde sur la question du charbon, qui a terni le bilan de la conférence.
Lire aussi À la COP26, l’Inde, accro au charbon et coupable idéale
Pourquoi les pays riches n’en veulent pas ?
Parce que ça pourrait leur coûter très cher. Les pays développés refusent un quelconque accord qui pourrait leur faire porter juridiquement et financièrement la charge de leur responsabilité dans la crise climatique.
Pourtant, historiquement responsables du changement climatique, ils craignent en effet que la reconnaissance des pertes et préjudices ne débouche à terme sur des poursuites judiciaires et des demandes de compensation financière à leur égard. Les États-Unis ont ainsi particulièrement œuvré à la rédaction d’un article non contraignant, en raison de leurs craintes de s’exposer à des procès climatiques dans les années à venir.
Pendant le sommet, seules l’Écosse – pionnière sur le sujet –, la Wallonie et l’Allemagne se sont engagées à mobiliser plus de dix millions d’euros pour les pertes et dommages.
Lire aussi Tout au bout de l’Écosse, la « Nasa des énergies marines »
Mais les pays développés sont loin d’être débarrassés du sujet avec la fin des négociations à Glasgow. L’Égypte, qui accueillera la COP27 l’année prochaine, a déjà fait savoir que le sujet serait prioritaire. La lutte contre le réchauffement climatique ne se fera sans que les pays riches sortent le chéquier au profit des pays pauvres.