Géopolitique

Séisme au Maroc. La géopolitique de l’aide humanitaire

Après le tremblement de terre qui a frappé le Maroc le samedi 9 septembre, de nombreux pays ont proposé leur aide mais Rabat met du temps à accepter. Car même dans un contexte de catastrophe naturelle, la diplomatie a ses raisons bien à elle.

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Illustration de l'article Séisme au Maroc. La géopolitique de l’aide humanitaire

© Saouri Aissa/XINHUA-REA

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Près de 2 500 morts et 2 500 blessés. Le séisme de magnitude 6,8 qui a frappé la région de Marrakech dans la nuit du vendredi 8 au samedi 9 septembre a plongé le Maroc dans la tristesse. Il s’agit du séisme le plus meurtrier dans le pays depuis celui de 1960 à Agadir qui avait fait près de 15 000 morts.

Des milliers de personnes n’ont plus ni logement, ni nourriture, ni eau. C’est particulièrement le cas dans les régions montagneuses. L’accès y est difficile en raison des dommages causés sur les routes par le tremblement de terre.

Dans le pays, les secours s’organisent. L’armée est mise à contribution pour dégager les débris et secourir les personnes coincées sous les décombres. Les ONG présentes sur place collectent les dons et les autorités réalisent dès les premières heures un travail d’évaluation des besoins afin d’organiser les secours.

De nombreux pays ont rapidement proposé leur aide pour envoyer des secouristes, des chiens renifleurs, du matériel ou de la nourriture. Pourtant, Rabat n’accepte cette aide internationale qu’au compte-goutte. Le lundi 11 septembre, seuls l’Espagne, le Royaume-Uni, le Qatar et les Émirats arabes unis avaient été autorisés à envoyer des équipes de recherche et de sauvetage sur place.

Pour une question de souveraineté, ce sont bien les autorités marocaines qui doivent accepter les offres d’aide sur leur sol afin de garder la main sur l’organisation des secours. Mais la lenteur des réponses interpelle car les 48 premières heures sont cruciales pour sauver des vies. Des pays comme les États-Unis, l’Algérie où la France n’ont toujours pas reçu d’autorisation pour venir en aide aux populations locales. Seuls des bénévoles ont la possibilité de se rendre sur place. Les ONG et les États, eux, peuvent uniquement fournir des dons aux organismes présents sur place. Pour sa part, le royaume chérifien justifie ce filtrage comme une nécessité pour éviter une mauvaise coordination des secours sur place et donc une perte d’efficacité.

À l’évidence, la diplomatie et la géopolitique ne s’effacent pas devant la catastrophe. Les relations entre le Maroc et la France sont au plus bas. Sans parler des relations Maroc Algérie, puisque les frontières entre les deux pays sont fermées depuis 1994 et les relations diplomatiques rompues depuis 2021.

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L’aide internationale est une assistance volontaire fournie à des pays étrangers ou à des populations étrangères.

L’aide peut être ponctuelle, sous la forme de l’aide humanitaire, dans des situations d’urgence, comme dans le cas du Maroc. Elle peut se matérialiser par l’envoi d’argent, de matériel, de moyens humains spécifiques, de chiens renifleurs pour trouver des rescapés sous les décombres, de nourriture ou d’abris. C’est l’urgence après le séisme.

L’aide peut prendre une forme plus durable avec l’aide au développement, à travers des dons, des prêts ou encore des annulations de dette proposés par des États, des organes supranationaux ou des organisations internationales.

L’aide repose sur quatre principes : humanité (lutter contre toutes les souffrances), neutralité (ne pas prendre parti), impartialité (apporter de l’aide sans discrimination) et indépendance (aider sans objectif économique ou militaire).

Pourtant, l’action humanitaire souffre de certaines critiques. Elle est parfois vue comme une posture occidentale de bienveillance avec des arrière-pensées d’ingérence voire de néocolonialisme. Dans le cas du Maroc, des ONG françaises insistent d’ailleurs sur les erreurs à ne pas faire pour favoriser le travail des structures marocaines et flécher les dons vers ces structures.

Pour aller plus loin > Le tourisme humanitaire est-il juste une machine à fric sans éthique ?

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« Quand un État subit une catastrophe, c’est à lui de demander de l’aide. C’est une question de souveraineté. Il n’est pas question pour les secours internationaux de se précipiter dans un pays, sauf si celui-ci a failli, comme en Haïti en 2010. Le roi Mohamed VI veut donc garder la main sur son pays. C’est aussi une forme de fierté nationale. En tant que pays émergent, qui se veut interlocuteur de l’Europe et qui aspire à un statut de puissance régionale en Afrique, Rabat veut montrer qu’il est souverain, capable de piloter les secours, et ne pas se comporter comme un pauvre pays meurtri que tout le monde vient charitablement secourir… »

Sylvie Brunel

Géographe et ancienne présidente d’Action contre la Faim dans Le Figaro

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La diplomatie, dans son acception générale, concerne la pratique des relations entre États dont l’un des attributs est de régler les différends au sein d’un système international fragmenté. La diplomatie humanitaire est, elle, définie comme les moyens de « convaincre les décideurs et les guides de l’opinion d’agir, en toutes circonstances, dans l’intérêt des personnes vulnérables, en respectant pleinement les principes humanitaires fondamentaux. »

Les besoins humanitaires font l’objet de négociations entre États, pour autoriser la présence d’organisations humanitaires sur leur sol et autoriser l’accès aux populations civiles qui ont besoin de protection. Un article sur le sujet du Michelsen Institute rappelle à quel point les efforts humanitaires, la politique étrangère et les intérêts stratégiques des pays sont liés tout en relevant d’approches très différentes.

Cette interpénétration mène à une situation qui peut choquer les observateurs extérieurs : alors que « la diplomatie se caractérise par des compromis et des relations pragmatiques, […] l’image publique de l’action humanitaire est le contraire. Il est question de travailler pour des idéaux et des principes universels indépendamment des intérêts d’acteurs politiques spécifiques. »

Ce qui se passe au Maroc est un exemple de ce décalage. Les besoins humanitaires sont avérés mais la posture diplomatique du Maroc pousse ce pays à privilégier la souveraineté plus que l’efficacité des secours. En restant souverain sur la question humanitaire, le Maroc envoie un message diplomatique aux autres acteurs internationaux.

À l’inverse, la diplomatie humanitaire sert les pays qui offrent leurs services. Avoir un rôle humanitaire est un levier diplomatique qui peut permettre à certains États de prendre pied dans une région et d’entretenir des liens avec d’autres acteurs. L’aide humanitaire devient alors un levier diplomatique.

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