L’Essentiel :
- Le Parlement européen et le Conseil de l’UE se sont mis d’accord début décembre sur un texte sur les produits sans déforestation qui concernent l’importation de bois, de café, de cacao, de soja, de bœuf, d’huile de palme et de caoutchouc.
- Un texte contraignant et bénéfique pour l’environnement mais qui entraîne un surcoût de travail pour les importateurs et une éventuelle hausse des prix pour certains produits.
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« C’est vrai que les contraintes, c’est pour la bonne cause. Mais c’est quand même un peu lourd à porter. » Patrice Recorbet est dubitatif. Pour ce dirigeant de la société de négoce et d’importation de bois français et exotique JP Beurier, l’accord trouvé par le Parlement européen et le Conseil de l’UE le 6 décembre dernier sur les « produits sans déforestation » est une nouvelle astreinte.
Début décembre, les députés européens et les ministres des 27 Etats membres de l’UE se sont en effet entendus sur le contenu d’un nouveau règlement sur les « produits sans déforestation ».
Initialement proposée par le Commission en novembre 2021 dans le cadre du Pacte Vert, cette version remodelée du texte obligera les entreprises importatrices de produits comme le soja, l’huile de palme, le cacao, le bois, le café, le bœuf, le caoutchouc et leurs dérivés (cuir, chocolat ou meubles) à prouver que leurs produits vendus dans l’UE ne proviennent d’aucune forêt déboisée après le 31 décembre 2020 (le texte pourra être révisé et élargi au bout de deux ans).
Ainsi, les entreprises importatrices devront présenter les preuves, notamment grâce à des données GPS et des images satellitaires, de la provenance des matières premières qui ont servi à la conception du produit qu’elles importent. Si ces preuves manquent, le produit ne pourra pas entrer dans l’Union européenne. Pour les contrevenants, une amende pouvant s’élever à 4 % du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise dans l’Union est prévue.
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Réglementation (environnementale)
Ensemble des normes juridiques fixées par les pouvoirs publics, ici européens. Dans le cadre de la politique climatique, elles peuvent être de différentes sortes : normes d’émission ou de produits : instauration de quotas à ne pas dépasser (pêche, secteur automobile…), mise en place de normes techniques moins polluantes à respecter (dans le BTP par exemple), interdiction d’utiliser certains produits toxiques (dans l’agriculture par exemple). Solution en apparence facile à mettre en œuvre, la réglementation nécessite une surveillance, rendant son coût parfois élevé.
Surcharge de travail et surcoût
« Dans la filière bois, nous sommes déjà soumis à une réglementation similaire », souligne Patrice Recorbet. Il fait référence au Règlement sur le bois de l’Union européenne (RBUE), entré en vigueur en 2013 et qui interdit la première mise en marché de bois qui ne respecte pas la législation du pays producteur. « Nos fournisseurs nous transmettent un dossier avec les numéros de parcelles certifiées et nous sommes dans l’obligation d’avoir ce dossier chez nous en cas de contrôle ».
Tancrède Voituriez, économiste au CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) et à l’IDDRI (Institut du développement durable et des relations internationales), reconnaît que le cas du bois est un peu particulier. Cela dit, ce nouveau texte reste plus contraignant : « Les précédentes réglementations se focalisent sur la légalité. Maintenant, il y a une nécessité de preuve pour les entreprises et les contrôles seront différenciés selon un niveau de risques. »
En effet, après l’entrée en vigueur du texte, les contrôles se feront selon le degré de risque des zones de provenance : élevé, standard ou faible. Pour les produits provenant de zones à risque, 9 % des importations doivent être contrôlées, 3 % pour les zones standards et 1 % pour les zones faibles. Les grandes entreprises auront 12 mois après l’entrée en vigueur pour apporter ces preuves, les plus petites 24. « C’est vrai que cela engendrera probablement des surcoûts administratifs pour les importateurs qui doivent présenter ces preuves », prévoit Tancrède Voituriez.
Une surcharge déjà ressentie par Patrice Recorbet : « Nous respectons la réglementation car nous voulons faire un travail propre mais c’est vrai que cela représente une surcharge de travail, en plus sans rémunération supplémentaire car on ne vend pas plus cher un bois certifié qu’un bois non certifié. »
Importation/Exportation
Les importations et les exportations sont des flux réels de biens ou de services. Pour le premier, c’est un agent extérieur qui transmet ce bien ou ce service à un agent résident. À l’inverse, pour l’exportation, c’est l’agent résident qui transmet le bien ou le service à un agent extérieur.
Plus de poids des normes environnementales dans les règles commerciales
De son côté, le législateur européen a souhaité « renforcer le poids des normes environnementales dans les règles commerciales », note, convaincue, Karine Daniel, économiste, directrice de recherche à l’École supérieur d’agriculture d’Angers (ESA).
« Pour la première fois, la responsabilité de la déforestation est également placée sur les épaules de l’importateur. C’est un signal positif qui va dans le sens de l’Histoire. » D’autant plus que l’Union européenne serait responsable d’environ 16 % de la déforestation mondiale, notamment avec le soja qu’elle importe à près de 90 %.
Les entreprises européennes sont donc désormais concernées par « la charge de la preuve », poursuit Karine Daniel. « C’est une bonne chose pour le consommateur qui sera mieux informé sur les produits qu’il achète »
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Hausse des prix et relocalisation ?
Cependant, il reste encore quelques zones d’ombres, notamment techniques. « Il ne faut pas seulement avoir accès à de l’imagerie satellite [grâce au système européen COPERNICUS] mais consolider ces données pour faire le lien entre l’image et le produit qui arrive au fin fond de la campagne française. Et cela est d’autant plus compliqué que le produit est transformé. », détaille Karine Daniel. Une autre adaptation nécessaire pour les entreprises.
Surtout, effet pervers « sur lequel nous alertons à l’ESA », cette production massive de données peut elle-même avoir des effets négatifs sur le climat (consommation d’énergie, stockage…), « alors même que ce texte est une bonne nouvelle pour la lutte contre la déforestation et donc le changement climatique ».
De plus, au niveau des relations commerciales, Tancrède Voituriez voit dans ce texte un potentiel point de tension entre l’UE et ses partenaires. « C’est une forme de protectionnisme vert, même si le terme est rejeté à Bruxelles. Et puis, là on n’a que le bâton et pas la carotte, c’est-à-dire pas d’incitation aux bonnes pratiques et à mieux produire en mettant en place un système de rétribution des agents vertueux ! »
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Quant à savoir si cette loi peut engendrer des problèmes d’approvisionnement, Tancrède Voituriez envisage plutôt une « hausse des prix pour certains produits ». Si de grandes quantités de soja, de viande de bœuf ou de cacao n’obtiennent pas la certification, les volumes importés seront moins importants et les prix peuvent augmenter. Une rétention éventuelle qui ne sera pas compensée par de la relocalisation, s’accordent à dire l’économiste de l’IDDRI et Karine Daniel. Pour cette dernière, « il s’agira de trouver la meilleure formule entre l’importation des produits non-déforestés et leur relocalisation ».
Dans le programme de SES
Seconde. « Comment se forment les prix sur un marché ? »
Première. « Comment un marché concurrentiel fonctionne-t-il ? »
Terminale. « Quelles politiques économiques dans le cadre européen ? »
Terminale. « Quels sont les fondements du commerce international et de l’internationalisation de la production ? »