Un moyen de montrer les dents et de frapper sans faire la guerre : voilà comment pourraient se résumer ces volées de sanctions économiques et financières décidées ces dernières semaines contre Vladimir Poutine, certains oligarques et certaines banques russes.
En réaction à la reconnaissance de l'indépendance des régions du Donetsk et de Lougansk le 22 février, puis à l’occupation russe de l’Ukraine le 24 février, des « trains », des « paquets de sanctions » économiques ont visé « des individus, des sociétés, des secteurs de l’économie, le contrôle des exportations mais aussi le financement russe », liste Jan Dunin-Wasowicz, avocat spécialiste des sanctions économiques.
Des mesures préventives aux mesures ciblées
Pour appréhender cette liste de règles qui ne cesse de s’allonger, « il faut déterminer ce que visent les sanctions. Au tout début, on voulait dissuader », décrit Maître Dunin-Wasowicz. Avant l’invasion russe et en réaction à la présence de troupes russes le long de la frontière ukrainienne, Joe Biden avait prévenu qu’il y aurait des sanctions occidentales très sévères en cas d’attaque. Il avait même promis « une pression sur les principales institutions financières et les industries-clés ».
Le 24 février, jour de l’attaque, ont été prises « des mesures ciblées avec un but précis », précise le spécialiste des sanctions économiques. Il s'agit d'isoler la Russie, de « couper le lien entre ce pays et l'économie mondiale », constate Jean de Gliniasty, directeur de l’IRIS et ancien ambassadeur de France en Russie.
Pour ce faire, les Etats-Unis et l’Union européenne agissent sur le système financier international, en particulier sur un des outils de ces institutions financières : Swift (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication).
Pour communiquer de manière sécurisée et pour réaliser des opérations (paiements et virements), les banques utilisent cet outil géré par une coopérative belge. Il est en quelque sorte « le standard pour les communications interbancaires », estime Jan Dunin-Wasowicz. Il connecte pas moins de 11 000 organisations bancaires et de titres dans le monde dont environ trois cents banques et institutions russes.
Pour l’instant, seules sept d’entre elles seront débranchées du système à compter du 13 mars 2022, détaille le Journal officiel de l’Union européenne qui a publié le mercredi 2 mars les noms des banques russes concernées. La mesure avait été annoncée samedi 26 février dans le communiqué commun de la Maison Blanche et de l’UE, sans nommer les banques concernées. Nous savons désormais qu’il s’agit des banques Otkritie, Novikombank, Promsvyazbank, Rossiya Bank, Sovcombank, VNESHECONOMBANK (VEB), et la deuxième banque du pays VTB BANK. Les banques Gazprombank et Sberbank, responsables notamment de la réception des paiements liés au gaz, ne sont pas visées.
Pourquoi ne punir que sept banques russes ? « L'idée d’exclure l’ensemble des institutions russes du système Swift, avait suscité des hésitations au sein de l’Union européenne », se remémore Jan Dunin-Wasowicz. Pour certains pays européens très dépendants de l’approvisionnement en énergie russe, le gaz et le pétrole devaient être exclus des sanctions financières. 40 % du gaz naturel fourni à l'Europe vient de Russie.
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Cette énergie alimente bon nombre de centrales électriques, en plus d’être un intrant essentiel pour toute une série de processus industriels.
Or, si toutes les banques russes étaient déconnectées de Swift, il serait difficile voire impossible d’acheter du gaz naturel et du pétrole russes, d’où les réticences initiales de l’Allemagne ou encore de l’Italie. Les 27 se sont finalement mis d’accord sur ces sept premières institutions bancaires, la liste pouvant être discutée et étendue dans les prochaines semaines.
La banque centrale russe aussi directement visée
Autre « sanction ciblée » emblématique, celle qui vise la banque centrale russe. Il s'agit de geler ses actifs et priver la Banque de la possibilité d’utiliser ses avoirs au niveau international, détaillait Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, dans sa déclaration du 28 février.
Concrètement, l’idée était de réduire à peau de chagrin les réserves russes de devises étrangères, qui s'élèvent à 630 milliards de dollars selon la banque centrale. Or, ce sont ces fonds qui permettraient à Vladimir Poutine de financer la guerre en Ukraine.
« On peut geler ces avoirs russes en monnaies étrangères (en dollars, en euros, en francs suisses, etc…) parce que les devises ne peuvent être placées que sur des comptes domiciliés dans le pays d’origine de la monnaie », précise Laurence Abadie, maître de conférence en économie à l’université de Lyon 3, « les avoirs russes en dollars américains sont placés aux Etats-Unis, ceux en euros en Europe, ceux en francs suisses dans des banques suisses » ajoute la spécialiste de finance internationale.
Conséquence : « la Russie ne peut plus avoir accès à ces sommes puisque les pays concernés (Etats-Unis, Europe, Suisse) ont d’un commun accord bloqué ses comptes ». Il s’agit là d’une sanction « sans précédent, à une échelle et d'une portée que nous n'avons pas vues depuis la guerre froide », déclarait au New York Times John E. Smith, l'ancien directeur de l'organisme de contrôle financier du département du Trésor américain. Moins de 48h après l’annonce de cette décision, le rouble dévissait.
Les oligarques au cœur des sanctions
Troisième mesure ciblée : le gel des avoirs et les restrictions relatives aux proches du Kremlin, par exemple les 351 députés russes de la Douma, les oligarques russes, le Premier ministre Mikhail Michoustine, le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov ou encore Vladimir Poutine lui-même.
L’Union européenne a constitué une liste noire de personnalités proches de Vladimir Poutine qui ont vu leurs avoirs gelés, et qui sont interdits de séjour dans l’UE, à l’image de Alexeï Mordachov, le principal actionnaire du groupe de sidérurgie russe Severstal qui livre de l’acier en Europe.
Au Royaume-Uni, c’est le propriétaire du Chelsea Football Club, Roman Abrahamovitch, qui est visé. La mesure l’a d’ailleurs poussé à mettre en vente le club qu’il possédait depuis plus de quinze ans et à annoncer que les bénéfices nets de la vente iraient vers une fondation de soutien aux victimes de la guerre.
Aux Etats-Unis, l’administration américaine a déclaré viser « leurs yachts, leurs appartements de luxe, leur argent et la possibilité, pour eux, d'envoyer leurs enfants dans des universités cotés en Occident ».
Les Etats-Unis, le Japon et l’Union européenne ont aussi décidé de limiter les exportations de leurs semi-conducteurs, de leurs composants technologiques et de leurs logiciels en Russie, des éléments essentiels aux industries militaires et automobiles. Même constat pour l’industrie aéronautique et spatiale russe, avec l’interdiction de l’UE et du Canada d’exporter en Russie des avions, des pièces et des équipements touchant ces domaines.
Enfin, « la sanction économique peut aussi avoir une fonction punitive », conclut le spécialiste. L’Union européenne vient de sanctionner, le mercredi 2 mars, 22 officiers supérieurs du Bélarus pour avoir aidé la Russie à envahir l'Ukraine.
« On ne peut pas dire qu’une seule et unique sanction va faire basculer la situation. C’est surtout l’accumulation des sanctions, avec une escalade graduée, qui rongera la Russie », tranche Ophélia Claude, avocate en droit pénal international. Il y aurait encore de nombreuses autres sanctions à citer : l’arrêt de Nord Stream 2, Visa et Mastercard qui bloquent leur système de paiement aux banques russes, Apple qui suspend la vente de ses produits en Russie, …
Pour Thierry Breton, le commissaire européen au commerce, le prochain train de sanctions se prépare déjà, puisque Vladimir Poutine continue ses bombardements sur l’Ukraine. On pourrait « instaurer des embargos, imposer des sanctions sur l’ensemble des sociétés publiques, fermer les ports à des navires battant pavillon russe », liste Jan Dunin-Wasowicz.
En attendant, signe de leur ampleur, l'effet des sanctions déjà décidées est déjà bien visible en Russie : impressionnantes queues devant les distributeurs, chute en bourse de la valeur de toutes les grandes entreprises russes, retrait de la principale banque publique russe du marché européen... Sans effet sur Vladimir Poutine. Pour le moment.