De la Chine à l’Union européenne, en passant par le Moyen-Orient, le constat est le même : le monde se réarme. Les statistiques le montrent clairement. « On n’a jamais autant dépensé pour le secteur de la défense qu’aujourd’hui, nous explique Julien Malizard, économiste et spécialiste du domaine. Même durant la Guerre froide, on n’atteignait pas les budgets actuels. »
D’après l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), qui dresse un état des lieux chaque année, les dépenses militaires mondiales atteignaient 1 981 milliards de dollars en 2020 (environ 1 637 milliards d’euros), soit une augmentation de 9,3 % par rapport à 2011. « Le fardeau militaire mondial a augmenté de 0,2 point en 2020, pour atteindre 2,4 %. C’est la plus forte augmentation depuis la crise financière et économique mondiale de 2009 », peut-on lire dans le dernier rapport.
« Cette tendance lourde à l’augmentation des budgets militaires est notable depuis 2014 », souligne Lucie Béraud-Sudreau, chercheuse au SIPRI. Même si, précise-t-elle, les dépenses militaires comportent à la fois des équipements, mais aussi la recherche et développement (R & D) dans le domaine, le personnel ou encore la maintenance.
Fardeau militaire
Dépenses militaires exprimées en pourcentage du PIB. L’OTAN recommande à ses pays membres de consacrer 2 % de leur PIB à la défense afin de « partager » le fardeau.
Pour 2020, le SIPRI recense une augmentation de 5,1 % des dépenses militaires en Afrique, de 4 % en Europe, de 3,9 % dans les Amériques et de 2,5 % en Asie/Océanie par rapport à l’année précédente. La hausse des dépenses de défense est donc générale.
Quelques exemples de pays sortent néanmoins du lot, souligne l’économiste Julien Malizard : « Si tous les grands pays d’Asie affichent une dynamique à la hausse (l’Inde, l’Indonésie, la Corée ou encore le Japon), la Chine a quasiment multiplié par 10 son budget de défense en 30 ans et arrive aujourd’hui à la deuxième place des pays les plus dépensiers. »
Chiffrées à 252 milliards de dollars en 2020, les dépenses de l’Empire du Milieu représentent la plus longue période d’augmentation ininterrompue (26 années consécutives) par un pays dans la base de données du SIPRI. Un budget consacré particulièrement à la recherche et développement, à la mise à niveau de l’arsenal nucléaire et à des acquisitions d’armes à grande échelle.

À la première place du podium, on trouve aussi les États-Unis. Le pays, en tête du classement de ceux qui dépensent le plus pour la défense avec 778 milliards de dollars en 2020, a augmenté son budget avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump. La rivalité avec la Chine, mais aussi la multiplication de guerres et d’opérations extérieures expliquent cela.
En 2019, les États-Unis et la Chine représentaient ainsi ensemble plus de la moitié des dépenses militaires mondiales, exerçant par la même occasion une forte influence sur le réarmement mondial, tient à préciser Lucie Béraud-Sudreau.
Comment expliquer cette hausse des dépenses militaires ?
Les dépenses militaires sont au carrefour de deux enjeux, répondent les experts. D’une part, économiques : « Est-ce qu’on a des marges de manœuvre budgétaires ? Est-ce que l’économie croît à un rythme élevé ? C’est un premier point d’explication », analyse Julien Malizard.
Si l’on prend l’exemple du budget consacré à la défense à l’échelle européenne, la tendance connaissait une forme de décroissance au début des années 2010, après la crise financière et économique. « L’Europe a perdu près de 10 % de son budget de défense en cinq ans. C’est l’effet des politiques d’austérité mises en œuvre après la crise de 2008. À partir du moment où la politique monétaire de la BCE est devenue expansionniste, cela a offert des marges de manœuvre budgétaire un peu partout en Europe », poursuit le maître de conférences.
Deuxième enjeu primordial dans l’augmentation du budget : les raisons stratégiques. « Un pays se demande : est-ce que je suis en période de conflit ? Ou dans une situation de tensions internationales ? Est-ce que je vais avoir des alliés en cas de conflit ? Ou encore, est-ce que mes rivaux mènent une course à l’armement ? », résume Julien Malizard.
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Dans le cas de l’Europe, les menaces se sont multipliées dans les années 2010 : la Russie à l’Est (qui a largement modernisé ses équipements militaires entre 2010 et 2015) et le terrorisme. « Si l’on compare la crise de 2008 et celle du Covid-19, la perception des menaces n’est clairement pas la même. Il y a 14 ans, on avait rogné sur les dépenses de défense. Aujourd’hui, on considère que les menaces sont si importantes, qu’en dépit de la situation économique, on préfère ne pas diminuer les budgets militaires », analyse Lucie Béraud-Sudreau du SIPRI. « Les pays comparent donc leur situation économique et leur situation stratégique pour décider de leur budget. »
Dans le cas précis de la France, les attentats de 2015 et les importantes opérations extérieures (Sahel, etc.) ont fait pencher la balance. Et ce, « alors qu’il était courant, jusqu’à 2015, de sabrer dans les budgets de la défense pour accompagner l’effort de désendettement de l’État et de restructuration des finances publiques », précise Julien Malizard.
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Dilemme de la sécurité
Concept dans la théorie des relations internationales selon lequel un pays augmente sa puissance militaire pour garantir sa sécurité. Cela peut créer un sentiment d’insécurité et une menace pour un autre État, qui renforce à son tour sa défense. La course à l’armement nucléaire, pendant la Guerre froide, est un exemple de cette escalade.
Comment les pays dépensent-ils ?
Bien sûr, les capacités à investir dans la défense dépendent de la taille de chaque pays. Malte, le Luxembourg, les Pays-Bas ou Chypre ne vont pas dépenser beaucoup car leur potentiel économique est limité et qu’ils n’ont que très peu d’ambition stratégique. A contrario, cinq grands pays représentaient 65 % des dépenses militaires mondiales (États-Unis, Chine, Inde, Russie et Royaume-Uni). Les dépenses militaires sont donc très concentrées.
De manière à « partager le fardeau militaire », l’OTAN recommande à ses pays membres de consacrer 2 % de leur PIB à la défense et 30 % de leurs dépenses à l’équipement. Et en termes de pourcentage de PIB, certains petits pays dépensent beaucoup : la Pologne, la Lituanie, la Lettonie. « C’est là que l’on voit les limites de cet indicateur quantitatif. Car dépenser beaucoup ne fait pas tout », estime Julien Malizard.
Par le passé, beaucoup d’États du Moyen-Orient investissaient largement pour des avions, des véhicules qu’ils stockaient, sans vraiment savoir comment s’en servir. Simplement pour la dimension symbolique. « Autre exemple, la Bulgarie qui, en termes de pourcentage de PIB consacré à la défense se classe très bien dans le classement de l’OTAN. Demain s’il y a un conflit international, je ne suis pas sûr que ce soit le pays le plus protecteur », s’amuse le chercheur.

Pourquoi la composition des budgets est cruciale ?
Au-delà des montants, la répartition des budgets de défense est fondamentale. Cela est en effet révélateur de la stratégie de défense qu’adopte l’État.
« À l’échelle internationale, c’est compliqué de connaître la composition des budgets parce qu’il n’y a pas de statistiques uniformes pour tous les pays. Néanmoins, on sait qu’un pays qui choisit de dépenser majoritairement pour son personnel militaire et faiblement pour ses équipements aura surtout une ambition de protection du territoire national », détaille Julien Malizard.
A contrario, un État qui investit beaucoup dans les équipements (sous-marins, frégates, avions, véhicules terrestres, nucléaire, missiles, etc.) est « un pays qui a des ambitions stratégiques élevées, en particulier de projection de force à l’extérieur ». C’est le cas de la France qui consacre 56 % de son budget de défense aux équipements en 2021 (soit 22,3 milliards d’euros).
Deux pays peuvent ainsi afficher le même niveau de dépenses de défense, mais des stratégies complètement différentes.
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« Résultat : l’Allemagne n’a pas de dissuasion et sa position permanente consiste, essentiellement, à sécuriser son espace aérien. La France est capable d’avoir une posture permanente de dissuasion, de conduire des opérations extérieures dans la durée et d’opérer dans la sécurité aérienne et maritime. »
Mais là où des pays comme l’Allemagne peuvent y trouver leur compte, c’est que la tendance est de plus en plus orientée vers une coopération européenne. « Dans le cycle budgétaire de 2021-2027 de l'UE, une enveloppe est allouée aux projets de défense, indique Lucie Béraud-Sudreau du SIPRI. Là où, pendant longtemps on disait que 'l'Union perdait pied', les Européens se réarment. » Le signe d’une meilleure collaboration européenne ou d’une montée inquiétante des tensions géopolitiques ? Et la chercheuse de conclure : « Un peu des deux sans doute. »