Avant même que la zone euro soit mise en place, les pays européens se mettent d’accord pour des critères ex-post (qui seront valables une fois que l’union monétaire sera établie) avec la signature du Pacte de stabilité et de croissance (Traité d’Amsterdam, 1997) : si les règles d’inflation et de taux d’intérêt sont abandonnées (puisque cela devient la mission de la BCE) et que celle du change n’a plus lieu d’être (puisque les fluctuations monétaires intra-zones ne sont plus possibles), les critères de maîtrise des finances publiques ne changent pas.
Limiter le risque d'aléa moral et de passager clandestin
L’objectif de ces règles budgétaires est d’éviter que les actions des États membres de la zone euro se traduisent par un aléa moral. Explication : quand un État ne se trouve pas dans une union monétaire, s'il mène une politique laxiste en matière de finances publiques (déficits publics élevés et accroissement de la dette publique), il sera sanctionné par les marchés financiers. Les taux d’intérêt d’emprunt augmenteront pour cet État, alourdissant la charge de sa dette, ce qui agit comme une force de rappel en l’obligeant à réduire son déficit public.
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Mais quand un État se trouve dans une union monétaire, ce mécanisme de rappel n’agit plus (ou beaucoup moins). Le partage de la monnaie unique conduit à une réduction des écarts de taux d’intérêt entre les économies vertueuses en matière de finances publiques – comme l’Allemagne – et les économies qui le sont moins – comme les pays du Sud.
Par conséquent, si un État augmente trop ses dépenses publiques, cette action est « noyée » dans toutes celles des États de l’union monétaire et les taux d’intérêt d’emprunt de l’État moins rigoureux n’augmentent pas ; il bénéficie du sérieux des efforts de tous les autres États de l’union monétaire et de la garantie apportée par l’appartenance à l’union monétaire.
Les créanciers considèrent en effet que la solidarité entre pays qui partagent la même monnaie est indéfectible : si l’État d’un pays membre se trouve en difficulté, il pourra profiter du concours des autres. Les règles budgétaires européennes visaient donc à prévenir des comportements de passager clandestin.
De fait, au cours des années 2000, les États membres de la zone euro empruntent quasiment tous au même taux d’intérêt. Mais les comptes maquillés de l’État grec deviennent le point de départ de la crise des dettes souveraines qui éclate en 2010. Les règles budgétaires européennes n’ont donc pas atteint leur objectif. Cette crise démontre qu’elles n’auront pas su empêcher ce pour quoi elles ont été mises en place.
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Si bien qu’elles seront progressivement renforcées, en particulier par l’adoption du TSCG (Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union européenne et monétaire (UEM) signé en 2012, afin de limiter le risque d’aléa moral (par exemple, dans le cadre du Semestre européen, les budgets nationaux sont examinés par la Commission européenne avant qu’ils soient adoptés par les assemblées législatives nationales).
En revanche, plus récemment, la crise du COVID-19 a entraîné la suspension des règles budgétaires européennes, de façon à donner aux États des marges de manœuvre pour lutter contre la dépression économique (c’est la fonction de stabilisation macroéconomique qui est activée). En France, cela s’est traduit pas le « quoi qu’il en coûte » qui a fait passer la dette publique de 100 % à 115 % du PIB.
Les règles budgétaires européennes seront cependant remises en place au tout début de l’année 2024. Le débat est très vif au sein de l’union monétaire : faut-il reprendre les mêmes critères qu'avant le COVID-19 ?
Oui, répondent les "frugaux" (Allemagne, Pays Bas, Autriche). Ils souhaitent que les règles restent très strictes de façon à éviter de devoir payer pour les États plus dépensiers, comme ils ont dû le faire pour sortir de la crise des dettes souveraines et au cours de la crise du covid. D
Les pays du Sud de la zone euro veulent réformer les critères pour ne pas (re)tomber dans l’obligation de mener des politiques d’austérité budgétaire qui pèsent sur la croissance. Ces pays expliquent également qu’il est nécessaire de donner davantage de marges de manœuvre budgétaires aux États au moment où ils doivent lutter contre les inégalités, mettre en place des politiques d’éducation et de formation ambitieuses et financer leur coûteuse transition écologique.
Les négociations continuent
Dernièrement, la Commission européenne a proposé une solution intermédiaire : garantir la soutenabilité des dettes publiques nationales tout en préservant la possibilité de stabilisation macroéconomique pour les États membres.
Si les critères de finance publique seraient maintenus comme objectifs (3 % de déficit public et 60 % de dette publique au plus relativement au PIB), la Commission européenne introduit une forme de souplesse en proposant d’établir une stratégie de moyen terme (sur quatre ans) qui soit adaptée à chaque économie considérée. L’effort budgétaire ne serait plus le même pour tous les pays. Il serait individualisé, pour éviter les coupes budgétaires trop drastiques.
Mais, craignant que le rythme de réduction des dettes publiques soit finalement « laissé à l’appréciation de chacun », l’Allemagne a imposé que le texte de la Commission européenne soit une nouvelle fois revu. Le dossier reste donc ouvert, soulignant une nouvelle fois les différences de préférences nationales macroéconomiques des États membres… d’une même union monétaire !