« Je suis ici car je ne crois plus aux manifestations. J’ai envie d’agir plus frontalement », lance Serena au reste du groupe. Ce samedi matin, ils sont 14 participants venus se former à la désobéissance civile lors d’une journée organisée par l’association écologiste Dernière Rénovation.
Blocage de routes, interruption du Tour de France, lancer de peinture orange sur le ministère de l’Écologie… Toutes ces actions coup-de-poing ont été récemment organisées par ce collectif qui milite pour un plan de rénovation thermique du parc immobilier « à la hauteur » du danger pour la planète. Médiatisées, ces actions lui ont permis de se faire connaître. L’objectif ? Tirer la sonnette d’alarme et attirer l’attention sur l’urgence climatique.
Faire grève ne suffit plus
Pendant sept heures, à La Recyclerie, un tiers-lieu du 18e arrondissement de Paris, les futurs militants pour le climat apprendront les concepts de la non-violence et seront formés au cadre juridique de la désobéissance civile.
Tous les week-ends, le collectif organise deux à trois formations de ce type à travers la France. Depuis quelques mois, ces stages connaissent un engouement sans précédent.
Pour une partie des activistes, manifester ou faire grève ne suffit plus, ils veulent exercer plus de pression.

Source : Baromètre de la confiance publique / Vague 12, OpinionWay pour Science Po, Cevipof, février 2021.
Cette forme de militantisme écologiste en appelle au droit comme instrument d’action, mais elle prône également une forme de résistance, afin d’alerter l’opinion publique. David, qui a fait le déplacement depuis Strasbourg, ne cache plus son impatience. Il veut commencer. Le ciel francilien est gris, mais la motivation est là, à 100 %.
Après un petit déjeuner rapide composé de croissants vegan, de thé et de café, les futurs militants s’assoient par terre en cercle, au milieu des plantes d’intérieur. Lila, l’une des bénévoles du collectif, les invite à fermer les yeux pour une courte méditation. Le groupe commence à faire connaissance. La glace se brise peu à peu et la gêne s’envole.
Cheveux décolorés, Florian, l’un des trois formateurs de la journée, content de redonner une formation après plus de deux mois d’interruption, rappelle les règles : bienveillance et écoute. Dans une ambiance conviviale, mais sérieuse, chaque participant partage son état d’esprit. Clara se lance la première. Elle est « curieuse » de voir le fonctionnement du collectif. Julie, urbaniste de 38 ans et mère de deux enfants, enchaîne : « Je ne sais pas encore si je passerai à l’action, mais j’ai vraiment besoin de fréquenter des personnes avec les mêmes préoccupations que moi. Je me sens parfois isolée. Je suis lassée par l’inaction du gouvernement vis-à-vis de l’urgence climatique. »
De l’autre côté de la pièce, Esther, la voix un peu fatiguée, est à la recherche d’un nouvel élan. « Je ne sais pas si ma façon de militer est la bonne », avoue-t-elle. « Mais comment peut-on agir ? », s’interroge Xavier, qui se sent parfois impuissant. Son interrogation fait réagir Clémence. La vingtaine passée, la jeune fille s’apprête à entrer sur le marché du travail et veut y trouver du sens. En participant à ces formations, les apprentis militants cherchent d’abord à rejoindre une communauté pour apprendre à maîtriser la désobéissance civile. Objectif : changer le rapport de force au sein de la société.
Plutôt diplômés et citadins
Ce jour-là, sur le groupe de 20 à 64 ans, une bonne moitié est constituée de femmes. La moyenne d’âge est de 30 ans. D’une formation à une autre, les profils varient. « Ce sont souvent des étudiants, de jeunes actifs ou des retraités », observe Odessa, une Parisienne de 24 ans qui donne ici sa deuxième formation. « Les profils que nous formons sont en général assez diplômés et citadins. » « Nous savons que le mouvement est très engagé à gauche. Notre cible, ce ne sont pas les électeurs de François Fillon ou Marine Le Pen », commente Florian.
Cette forme de résistance pacifique et non violente consiste à refuser, de manière assumée et publique, d’obéir aux lois, à un règlement ou à un pouvoir jugé injuste. À ce jour, environ 500 personnes auraient été formées par le collectif, qui organise régulièrement des actions auxquelles les nouveaux militants peuvent se joindre en choisissant leur rôle.
Le concept de désobéissance civile a été théorisé aux États-Unis par Henry David Thoreau, dans un ouvrage du même nom publié en 1849. De Martin Luther King pour la reconnaissance des droits civiques des Afro-américains à la grève de Wave Hill en Australie (1966-1975), où 200 militants se révoltent contre leurs conditions de travail et refusent de partir tant que les terres qu’ils occupent n’auront pas été restituées aux peuples autochtones, la désobéissance civile fait partie de la culture des mouvements contestataires. Les exemples de succès de cette forme de résistance abondent : la lutte des femmes pour obtenir le droit de vote au Royaume-Uni en 1928, la marche du sel de Gandhi en Inde en 1930 contre l’impôt extrêmement élevé sur cette denrée de première nécessité.
Si désobéir s’apprend, la pratique reste illégale. Avec des conséquences : amendes, gardes à vue ou même peines de prison… À chaque action, les militants encourent des risques, mais être arrêté par la police fait aussi partie de la stratégie. Dernièrement, l’un des militants du collectif a passé 24 heures en garde à vue après avoir bloqué le périphérique. « Une bonne action, c’est d’abord une action qui est illégale et perturbatrice. Il faut aussi qu’elle soit médiatisée. À chaque fois, c’est environ une semaine de préparation », expose Florian.
Chaque rôle est distribué selon les envies des participants : communication avec les médias, relations avec les forces de l’ordre ou soutien logistique ou psychologique au reste du groupe. Toutefois, les règles sont les mêmes pour tous. La violence, qu’elle soit verbale, gestuelle ou physique, est proscrite.
« Je ne suis pas forcément préparée à être arrêtée »
« Alors que je m’engage dans la désobéissance civile, ce que j’espère pour le groupe, c’est… ». Odessa marque une pause et invite les participants à continuer la phrase. Pendant deux minutes, en binôme, chacun échange sur ses espoirs et ses craintes. Julie redoute un impact négatif de son engagement sur sa vie de famille, Serena craint que sa participation à ce type d’actions n’agrandisse le fossé qui la sépare déjà des autres à cause de son engagement pour le climat. Elle confesse : « Je ne suis pas non plus forcément préparée à me faire arrêter. ». David, de son côté, relève le mot « colère ». « Je ressens la colère de Julie vis-à-vis du système. La colère est aussi le moteur de l’action », tempère celui qui espère devenir formateur au sein du collectif. « La situation climatique sera bientôt irréversible. J’ai peur qu’il soit trop tard », déclare Serena, post-doctorante en génie des procédés qui a grandi « dans un milieu anticapitaliste ».
Certains politiques de droite ou d’extrême droite dénoncent une fuite vers l’écologie radicale, évoquant parfois l’« écoterrorisme », mais le collectif réfute ces accusations. « Pour obtenir un résultat, nous sommes obligés de créer un rapport de force. Le but n’est pas de se faire aimer par toute la population. Dernière Rénovation y va fort afin de mettre certains sujets au premier plan dans les consciences collectives. Très clairement, nous voulons être dérangeants, sinon, cela ne fonctionnera jamais », argumentent les trois formateurs devant les futurs militants.
Alors que le mouvement a fait des blocages de route sa spécialité, chaque action médiatique est une petite victoire. « Lors de la dernière élection présidentielle, les médias n’ont consacré que 5 % du temps aux logements énergivores. On a multiplié les blocages de routes et ce n’est qu’à partir de ces blocages que les médias se sont intéressés à la question. Les recherches internet sur la rénovation thermique des bâtiments ont triplé après ces actions, c’est une victoire », soulignent les trois formateurs. La désobéissance civile, c’est l’arme de la dernière chance.
Photo : Julien Hennequin.