Sociologie
Analyse de film : Quand la RDA cachait son taux de suicide
Dans le film La Vie des autres, un écrivain dénonce le nombre anormalement élevé de suicides en Allemagne de l’Est. Et en creux, les failles du communisme en vigueur. Pas de chiffres, pas de problème…
Clément Rouget
© DR
« L’office statistique de la rue Hans Beimler compte tout, sait tout. Combien de paires de chaussures j’achète par an : deux, trois. Combien de livres je lis : trois, deux. Mais il y a une chose qu’il ne compte pas, peut-être parce que cela peine trop, même les bureaucrates les plus endurcis. Les suicides. »
Tant de vies gâchées
Malgré les risques, Georg Dreyman, dramaturge est-allemand à succès, veut dénoncer le taux de suicides anormalement élevé en RDA. Jusque-là prudent vis-à-vis du régime, il décide, après la mort d’un de ses amis, de publier un pamphlet dans le magazine ouest-allemand Der Spiegel.
« Si vous appelez pour demander combien de personnes se sont donné la mort de désespoir, notre oracle des chiffres est muet. Ces hommes aux cheveux gris, qui sont censés assurer la sécurité et le bonheur de notre pays, ont arrêté en 1977 de les compter. À ce moment-là, un seul pays en Europe avait amené vers la mort plus de gens : la Hongrie. Nous étions seconds. Nous, la terre modèle du socialisme réel. »
Une suffocante absence de liberté
Le suicide par pendaison de ce metteur en scène – qui avait sombré dans l’alcool après avoir été blacklisté par les autorités de la RDA – est tristement ordinaire dans ce pays communiste.
La surveillance de la Stasi, le tentaculaire service de renseignement du régime, entretient une atmosphère de soupçon et de méfiance permanente. Le moindre trait d’humour, la moindre remarque, la moindre critique fait peser sur son auteur la menace de voir sa carrière réduite à néant.
La liberté, le mérite et le talent n’ont pas leur place parmi les valeurs d’une société où la vie de chacun est soumise à l’arbitraire. « Le parti a besoin des artistes, mais les artistes ont encore davantage besoin du parti », ironise le ministre est-allemand de la Culture devant le dramaturge et sa compagne, actrice.
Il profite d’ailleurs de sa position pour forcer cette dernière à coucher avec lui. Elle est dans une impasse : « N’ai-je pas besoin de ce système ? » se défend la comédienne devant son compagnon furieux, « toi aussi, tu vas au lit avec eux en te taisant. Parce qu’ils ont le pouvoir de te détruire, malgré ton talent et ta célébrité. Parce qu’ils décident qui peut jouer et ce qu’on peut jouer. »
Making-of
Pour son premier film (Oscar du meilleur film en langue étrangère en 2007), le réalisateur Florian Henckel von Donnersmarck souhaitait retranscrire la peur ressentie enfant, lorsqu’il passait la frontière entre Berlin-Est et Berlin-Ouest avec ses parents.
« Cela m’intriguait de ressentir la même peur que les adultes. Lorsqu’ils passaient la frontière pour aller voir leurs amis d’Allemagne de l’Est, mes parents voyaient bien qu’on nous regardait parce qu’on venait de l’Ouest. »
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