L’essentiel
- L’Assemblée nationale a adopté en première lecture le projet de loi amorçant une nouvelle réforme de l’assurance chômage.
- Le gouvernement souhaite moduler l’assurance chômage en fonction de la situation sur le marché du travail : « plus stricte quand trop d’emplois sont non pourvus. Plus généreuse quand le chômage est élevé », selon les mots d’Emmanuel Macron.
C’est une des briques que veut poser le gouvernement pour remettre d’ici 2027, la France sur le chemin du plein-emploi : moduler la durée d’indemnisation en fonction de la conjoncture, comme au Canada. L’objectif est de revoir les règles de l’assurance chômage pour qu’elles incitent à retrouver rapidement un travail quand les entreprises embauchent et pour qu’elles protègent mieux quand le marché de l’emploi est en crise.
Les économistes, assez unanimement, voient plutôt d’un bon œil, d’intégrer un mécanisme « contracyclique » dans le système d’assurance chômage. Mais cette mesure aura-t-elle vraiment un impact sur la baisse du chômage ? Les réponses sont plus mitigées.
Contracyclique
Mesures politiques qui vont à l’encontre des effets du cycle économique. Par exemple, des actions de politique budgétaire contracycliques, lors d’un ralentissement de l’économie, signifient une augmentation des dépenses publiques ou la réduction des impôts afin de stimuler la reprise économique.
Pour Stéphane Carcillo, chef de la division Emploi et Revenus à l’OCDE, « s’il y a une pénurie de main-d’œuvre, c’est certes parce qu’il y a des problèmes au niveau de la formation, mais c’est aussi dû au fait que les chômeurs n’acceptent pas les offres proposées. La majorité des demandeurs d’emploi dans les pays membres de l’OCDE ont en effet tendance à rechercher très activement un emploi deux mois environ avant la fin de leurs droits à l’allocation ».
Une recherche d'emploi qui s'intensifie avec le temps
Aux États-Unis, selon les études réalisées sur l’emploi du temps des chômeurs indemnisés, ces derniers consacrent 30 minutes chaque jour à la recherche d’emploi au début de leur période de chômage. Mais quatre à six semaines avant la fin de leurs droits, ils dédient une heure quotidiennement à cette recherche, soit le double.
En France, selon une étude du Pôle emploi, « seule une personne sur treize recherche intensément un emploi au début de son chômage ». Mécaniquement, on peut donc penser que si on réduit la durée d’indemnisation, les demandeurs d’emploi vont rechercher plus tôt un emploi. Et dans une économie qui crée des emplois, ils devraient aussi en trouver un plus rapidement.
Néanmoins, appréhendant une fin des allocations arrivant plus tôt, ne vont-ils pas baisser leurs exigences et accepter un emploi de moins bonne qualité, ne correspondant pas à leur niveau de qualification ? « C’est en effet le risque, estime Eric Heyer, directeur du département analyse et prévision à l’OFCE, centre de recherche en économie de Science-Po. Certes, l’assurance chômage peut inciter les personnes à attendre plutôt qu’à prendre le premier emploi disponible. Mais cette attente a aussi des bons côtés. Elle permet de trouver un emploi correspondant à ses qualifications, un emploi où les compétences acquises seront mieux utilisées., »
Alors, quel temps raisonnable accorder aux demandeurs d’emploi pour retrouver un emploi de qualité dans une économie qui crée de l’emploi ? Thomas Lebarbanchon, professeur d’économie à l’université Bocconi, a étudié les effets de l’allongement de la durée de chômage, passant de 7 à 15 mois en France entre 2000 et 2002, une période d’embellie économique qui ressemble, avec ses créations d’emplois et baisse du taux de chômage, à ce que nous vivons aujourd’hui.
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Il a constaté que « lorsque la durée d’indemnisation est portée de 7 à 15 mois, le taux de retour à l’emploi diminue de 28 % (soit un allongement de la durée de chômage de l’ordre de deux mois et demi), tandis que la stabilité de l’emploi retrouvé et le salaire perçu ne sont pas significativement améliorés ».
En France, aujourd’hui, la durée maximale d’indemnisation est de 24 mois. « Une des durées les plus longues si on regarde ce qui se fait dans les autres pays de l’OCDE. En Allemagne, on est sur une durée maximale d’indemnisation de 12 mois, comme en Norvège, en Suède c’est 14 mois, en Finlande 13, en Autriche 7, au Royaume-Uni et aux États-Unis on est sur 6 mois », indique Stéphane Carcillo.
Mais réduire la durée d’indemnisation, et la faire passer par exemple à un an, comme la plupart des pays de l’OCDE, facilite-t-il le retour à l’emploi et la baisse du chômage ?
« Au Danemark, on est sur une même durée maximale d’indemnisation qu’en France, soit 24 mois. Là-bas, le taux de chômage est de 5 % alors qu’en France on est à 7,4 %. En Lettonie, on est sur un même taux de chômage qu’en France, alors que la durée maximale d’indemnisation est de 9 mois. Le lien entre régime d’assurance chômage plus ou moins généreux et le taux de chômage n’est donc pas probant. Ce qui fait reculer le chômage ce sont les créations d’emplois. Les ‘incitations’ (moindre accès au droit, moindres indemnisations et moins longtemps) peuvent avoir un effet, mais seulement à la marge », explique Mathieu Plane, directeur adjoint du département Analyse et prévision à l’OFCE.
Ce qui fait reculer le chômage ce sont les créations d’emploi. Les incitations peuvent avoir un effet, mais seulement à la marge.
Mathieu Plane,Directeur adjoint du département Analyse et prévision à l’OFCE
L’effet incitatif de la réforme que prépare le gouvernement en France, serait d’autant plus marginal, que seulement « 40 % des demandeurs d’emploi sont indemnisés » comme le soulignent l’Unédic et la CFDT. « Et sur ces 40 %, seule une part infime ne joue pas le jeu de la recherche d’emploi » ajoute Eric Heyer de l’OFCE en faisant référence à une étude de l’Unédic, démontant les préjugés sur les chômeurs.
Selon cette dernière, « en 2019, près de la moitié des demandeurs d’emploi indemnisés travaillent » (par le biais de dispositifs permettant de cumuler emploi et indemnités chômage).
La clé, une recherche ciblée
Et tous, ceux avec ou sans emploi, recherchent majoritairement à retrouver un emploi, et pas simplement à la fin de leurs droits. Pour preuve, la durée moyenne d’indemnisation avant de retrouver un emploi est de 10 mois. « L’effet de la réforme sera donc limité, car elle aurait un effet incitatif sur une minorité des 40 % de demandeurs d’emploi », conclut Eric Heyer de l’OFCE.
Enfin, l’intensité de la recherche ne fait pas tout dans la capacité à retrouver un emploi. Selon Pôle Emploi, « le taux de non-sortie du chômage est de 27 % pour ceux qui ont toujours cherché́, activement un emploi et de 21 % pour ceux dont la recherche d’emploi s’est limitée à la fin de la période du chômage ».
Ce qui joue c’est la qualité de la recherche, et l’information dont dispose le chômeur pour bien chercher. « Une recherche d’emploi ciblée facilite la sortie rapide du chômage. Ainsi, la moitié́ des demandeurs d’emploi sortis bien avant la fin de leurs droits étaient à la recherche d’emplois précis ; à l’opposé, parmi les demandeurs d’emploi qui n’ont pas réussi à trouver un emploi pendant qu’ils étaient indemnisés, un sur quatre se déclarait prêt à prendre n’importe quel emploi », poursuit l’organisme public.
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À suivre :
- Emplois non pourvus face à 2,3 millions de chômeurs : comment expliquer le paradoxe ?
- Quels indicateurs pour mesurer la santé du marché de l’emploi ?
Pour aller plus loin
« Reprise d’emploi des demandeurs d’emploi : disparités selon la situation au regard de l’indemnisation », Étude Pôle Emploi publiée en sept 2015
« Les demandeurs d’emploi ne cherchent pas vraiment à travailler ? », Unédic publiée en décembre 2021
« L’impact de la générosité de l’assurance chômage sur la durée du chômage et sur la qualité de l’emploi retrouvé » de Thomas Lebarbanchon, Les notes de l’IPP, 2013.
Encadré « Au programme »
Terminal : « Comment lutter contre le chômage ? » ; « Quelles mutations du travail et de l’emploi ? »
Première : « Comment l’assurance et la protection sociale contribuent-elles à la gestion des risques dans les sociétés développées ? »