Orientation
Avocat(e), par-delà l’utopie
Ce métier-passion cristallise les fantasmes (sauver la veuve et l’orphelin, rendre la société plus juste…) et recouvre en réalité une pluralité de façons de l’exercer.
Lucile Chevalier
© Getty Images/iStockphoto
« J’étais en cinquième quand j’ai su que je voulais devenir avocate. J’aimais cette idée de porter la parole des autres, de faire entendre leurs arguments », se rappelle Carole Painblanc, avocate au bureau de Paris (elle dirige son propre cabinet), spécialisée en droit de la famille et en droit patrimonial.
Pour Louise Peugny, avocate au barreau de Lille et spécialisée en droit du travail, la vocation est venue plus tard et pour d’autres raisons. « Je n’étais pas matheuse et personne dans ma famille n’avait fait du droit. Pourtant, cette discipline m’attirait pour sa logique, sa rigueur, sa rationalité, sa technicité », explique l’associée au cabinet Voltaire Avocats.
Toutes deux avaient, avant de se lancer, l’image, le fantasme même de l’avocat, nécessairement pénaliste, qui sauve la veuve et l’orphelin et combat les injustices par la force de plaidoiries vibrantes dans le grand théâtre des cours d’assises. Mais au fil du temps, Louise Peugny (alors étudiante parisienne, elle travailla comme assistante juridique) et Carole Painblanc (elle fut juriste en cabinet avant de repasser l’examen du barreau) ont découvert autre chose : la pluralité du métier.
Et c’est ça qui leur plaît ! Ce n’est pas le cas de tous leurs confrères : quatre avocats sur 10 quittent en effet la profession avant d’atteindre les 10 ans d’exercice, selon l’Observatoire national du Conseil national des barreaux.
Quelle formation ?
Cinq à six années d’études sont nécessaires avant de pouvoir prêter serment et s’inscrire à l’un des 164 barreaux français. Le chemin commence par des études de droit. Il faut au minimum un master 1 pour se présenter au concours du barreau. Environ 30 % des candidats le réussissent chaque année, accédant ainsi à une formation de 18 mois au sein d’une école d’avocats. À l’issue de cette formation, les étudiants passent un examen d’aptitude pour obtenir le Certificat d’aptitude à la profession d’avocat (Capa).
Spécialités au lycée : Histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques (HGGSP) ; Sciences économiques et sociales (SES).
Cession d’entreprise et querelles de voisins
« Ce que j’aime dans ce métier très exigeant, c’est qu’on peut l’exercer de plein de manières différentes », avance Maître Peugny. Sur les 70 073 avocats que compte la France, 7 990 sont spécialisés et parmi eux, seuls un peu plus de 400 font du droit pénal. Une part inversement proportionnelle à la place qu’ils occupent dans les romans, les séries et les films. Les avocats spécialisés en droit du travail sont trois fois plus nombreux.
Il y a aussi le droit de la famille, le droit fiscal et douanier, le droit des sociétés, le droit de la sécurité sociale, etc. Les champs d’activité sont larges, comme les clients (particuliers, entreprises, institutions) et les affaires. Il y a les litiges entre les voisins qui s’écharpent sur un mur mitoyen, les couples qui divorcent, un patron qui veut vendre sa boîte, un autre qui veut la transmettre à ses enfants, bref, les avocats agissent surtout sur la justice quotidienne.
Mais pour les clients, elle n’a rien de banal cette justice, même s’ils ne risquent pas la prison. « C’est le dossier de leur vie. On les voit souvent au pire moment pour eux. Et nous les accompagnons, les aidons en faisant du droit », explique Maître Painblanc.
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Incollable sur les dossiers
Pour ce faire, il faut connaître toutes les pièces du dossier, retracer le déroulé des faits, trouver des incohérences, des failles, se mettre à jour sur les réglementations et cas de jurisprudence.
Puis, il faut rédiger les arguments juridiques, des accords, des contrats. « Quand on est avocat, on lit et on écrit beaucoup. Contrairement à l’image d’Épinal, on passe beaucoup plus de temps derrière nos PC qu’au tribunal à plaider. D’ailleurs on ne plaide pas toujours, et c’est loin d’être le gros du travail », rectifie l’avocate spécialisée en droit de la famille qui, dans les cas de divorce, privilégie les accords à l’amiable aux longues et usantes batailles à la Kramer contre Kramer.
Les avocats d’affaires négocient des accords et rédigent des contrats. Maître Peugny défend parfois un client, une entreprise, aux prud’hommes, mais elle fait aussi beaucoup de conseil. « Une entreprise m’appelle, par exemple, pour réviser son accord sur le temps de travail afin qu’il soit plus en accord avec les fluctuations de son activité. Je dois trouver l’outil juridique et rédiger l’accord que la direction présentera aux représentants syndicaux », décrit-elle.
Justice à deux vitesses
Mieux vaut être alerte, réactif et avoir l’esprit de synthèse. Les délais de la justice sont longs, mais pas ceux des avocats. « Le juge nous donne trois mois pour conclure alors même que la date de l’audience est fixée deux ans plus tard », explique Maître Peugny. Et il y a les clients qui attendent une forte réactivité, la clientèle du cabinet à développer et la sienne en même temps. Les journées sont longues. Il n’est pas rare, surtout dans les cabinets d’affaires, de faire du 9h-22h. Ce qui explique, sans doute en partie, les abandons de cette profession.
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La plaidoirie, aussi vieille que la démocratie
L’exercice de la plaidoirie existe « depuis que les hommes ont accepté de déposer les armes pour faire trancher leurs différends par de “vénérables juges” », souligne François Martineau, avocat au barreau de Paris. C’est un exposé oral, dans un tribunal, lors d’une audience et devant les juges, au cours duquel le plaideur revient sur les faits, argumente afin que les juges tranchent en sa faveur. Aujourd’hui, elle est associée à la profession d’avocat. C’est ce dernier qui plaide devant les juges et défend les droits de ses clients.
Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Dans la démocratie athénienne du Ve siècle avant J.-C., il n’y avait ni procureur, ni avocat. L’idée qu’il puisse y avoir des professionnels de la justice dérange. On consent néanmoins à ce que les justiciables ayant des difficultés à s’exprimer et maîtrisant peu l’art du discours soient accompagnés. Les logographes écrivent ainsi le discours de défense ou d’accusation, que le justiciable répète et récite lui-même devant les juges.
Aujourd’hui, même s’ils le peuvent, tous les avocats ne plaident pas. En France, une minorité le fait (10 % à 15 % selon certaines sources). Toutes les affaires n’ont pas besoin d’être plaidées. Et quand plaidoirie il y a, un avocat peu à l’aise à l’oral peut confier cette tâche à un confrère.
Quelles rémunérations ?
• Seuls 4 % des avocats sont salariés. Pour les avocats qui exercent en libéral le cabinet reverse les honoraires à ses avocats collaborateurs ou associés. On parle de rétrocession d’honoraires. Il faut y retrancher charges sociales et impôt sur le revenu, soit environ 45 % à 50 %.
Rémunérations MOYENNES avant paiement des charges et impôts :
- 81 310 € bruts par an, soit 6 776 € brut par mois.
- Moins de deux ans d’expérience : 25 325 € brut par an.
- De deux à 10 ans d’expérience : 47 929 € brut par an.
Pour gagner plus : travailler dans cabinet anglais ou américain, choisir le droit des affaires et… être un homme (les écarts se creusent entre les hommes et les femmes, surtout au fil de la carrière).
Source : CNBF (Caisse nationale des barreaux français).
Pour aller plus loin
Les documentaires Droit dans les yeux, de Marie-Francine Le Jalu ; Maîtres, de Swen de Pauw, tous deux en salles depuis février 2023.
Les livres La Face cachée de la robe, d’Anaïs de la Pallière, Michalon, 2019 ; Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, de Harper Lee, Le Livre de Poche, 2006.
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