Premier temps. À l’été 2021, les prix s’envolent sous l’effet de pénuries transitoires. La vigueur de la reprise post-Covid n’a pas été anticipée. Et l’appétit en biens des entreprises et des ménages européens dépasse largement les capacités logistiques permettant de le satisfaire. À cette voracité de la demande s’ajoute l’atonie de la force de production chinoise, freinée par la stratégie « zéro Covid » de Xi Jinping. Semi-conducteurs, huiles alimentaires, paracétamol, etc. Des biens essentiels viennent à manquer et leurs prix à grimper. Certaines pénuries ponctuelles bloquent des chaînes de valeurs et engendrent de nouvelles carences elles-mêmes à l’origine de hausses drastiques de prix du côté des biens d’équipement.
Le deuxième temps de la valse des étiquettes survient au printemps 2022, avec l’invasion russe de l’Ukraine pour toile de fond. Déjà tirés vers le haut par la vigueur de la reprise post-pandémie, les prix du gaz et du pétrole s’envolent. Le cours du baril de Brent passe par exemple de 86,50 dollars en janvier 2022 à 122 dollars en juin. Depuis ce pic, le prix des énergies fossiles a amorcé une lente mais constante décrue, le Brent étant enregistré à 93,30 dollars le baril en moyenne en octobre 2022 contre moins de 80 dollars début avril 2023.
Taux de marge en hausse
Si elle n’est plus tirée ni par les pénuries ni par la flambée de l’énergie, comment expliquer alors que la hausse des prix atteigne 8,5 % en février 2023 en zone euro par rapport à février 20221 ? À l’image de Philip R. Lane, le chef économiste de la Banque centrale européenne2, la plupart des analystes s’accordent à y déceler l’effet de l’augmentation des marges. Le taux de marge désigne la part de l’excédent brut d’exploitation dans la valeur ajoutée créée par une entreprise et reflète sa rentabilité.
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Or, ce ratio augmente en zone euro. Patrick Artus estime que sa contribution à la hausse des prix serait de « 3,7 points d’inflation répartis sur deux ans avec une inflation moyenne annuelle de 5,7 % en 2021 et 2022 » 3. Et le conseiller économique de la banque Natixis d’insister : en zone euro, le taux de marge a aujourd’hui dépassé sa valeur d’avant la récession de 2020. Il ne s’agit pas seulement d’un effet de rattrapage. En moyenne, les augmentations de prix pratiquées par les entreprises ont été supérieures à la hausse des coûts de production. La valse des étiquettes a donc permis à certains acteurs de pratiquer des hausses de prix opportunistes.
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Ce soudain appétit pour le profit tient à deux motifs au moins. D’abord, certaines sociétés cotées y sont incitées pour calmer leurs actionnaires. Les indices boursiers sont en net repli depuis plusieurs mois. Pour contrer la baisse du cours des actions, ces entreprises augmentent leur excédent brut d’exploitation afin de verser des dividendes plus élevés. Ensuite, d’autres sociétés augmentent leurs marges pour mieux anticiper leur baisse future. L’intensité de l’inflation actuelle leur fait craindre que leurs salariés réclament bientôt des hausses de rémunération conséquentes, qui affecteront à coup sûr leur rentabilité.
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Pour aller plus loin
1. Bulletin économique n°2, BCE, février 2023.
2. “Underlying Inflation”, conférence au Trinity College de Dublin, Philip R. Lane, mars 2023.
3. « Quelle est la contribution de l’évolution des marges bénéficiaires des entreprises à l’inflation ? » Patrick Artus, Flash économie n°167, mars 2023.