L’essentiel
- Le Parlement devrait voter un budget actant un déficit public de 5 %. La série se prolonge pour la 49e année consécutive : la France n’a pas voté un budget en équilibre depuis 1974.
- L’État français garde la confiance de ses créanciers, pour le moment. Mais le retour de l’inflation pourrait créer une menace sur les finances publiques à moyen terme.
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Chaque année, le gouvernement propose au Parlement un projet de loi de finances qui prévoit, pour l’année suivante, le niveau des recettes de l’État (principalement à partir de la somme des prélèvements obligatoires) et le montant des dépenses publiques. Si les dépenses publiques sont supérieures aux recettes, l’État se trouve en déficit. Le déficit public est donc un flux annuel.
En s’appuyant sur des hypothèses de croissance économique et d’inflation pour 2023, le gouvernement prévoit donc un déficit public de 5 % du PIB. Ce nouveau déficit public va alimenter la dette publique, soit un stock que l’on peut définir comme la somme des déficits publics, des années antérieures.
Pour financer son déficit public, l’État se présente sur les marchés financiers et cède des bons du trésor en contrepartie de prêts rémunérés par le paiement d’un taux d’intérêt. On peut donc supposer que plus les déficits publics sont importants, plus la dette publique s’accroît.
Actuellement, la dette publique de la France s’élève à 112,5 %, soit bien plus que celle de l’Allemagne qui s’établit à 69,3 % en 2021.
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Alors l’État français risque-t-il la banqueroute ? Ne faudrait-il pas que le gouvernement cherche absolument à atteindre l’équilibre des finances publiques ? Les choses ne sont pas si simples.
Un État ne peut pas faire faillite
L’État n’est pas du tout un agent économique comme les autres. Sa dette ne peut pas être comparée à celle d’un agent privé (comme une entreprise ou un ménage). Pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la durée de l’existence de l’État est supposée infinie. D’ailleurs, en la matière, le vocabulaire a une grande importance : un État ne fait pas « faillite » même dans le cas où il n’est plus en capacité de payer ses créanciers.
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Dans cette situation, l’État fait « défaut » (on parle de crise de la dette publique) mais il ne disparaît pas comme cela pourrait arriver avec une entreprise en cessation de paiements. Et contrairement aux agents privés, l’État décide, dans une certaine mesure, du niveau de ses revenus (par le niveau de la pression fiscale).
Ces caractéristiques rendent la dette publique beaucoup moins préoccupante qu’une dette privée. Par exemple, la dette publique du Japon dépasse actuellement les 250 % du PIB.
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Ne pas confondre : Dette publique et dette privée
La dette publique concerne les engagements financiers pris sous forme d’emprunts par les administrations publiques (l’État, les collectivités territoriales…). La dette privée est celle de l’ensemble des agents économiques privés : emprunts des entreprises en activité qui réalisent des emprunts et des ménages, par exemple pour acheter un logement.
Au-delà du niveau de la dette publique, un État possède la capacité unique à étaler son remboursement sur le très long terme. Sa seule véritable contrainte est de toujours pouvoir régler les intérêts des dettes contractées.
L’État peut alors faire « rouler sa dette » de façon infinie, c’est-à-dire qu’il peut emprunter à nouveau (sur les marchés financiers) pour rembourser les dettes précédentes. Il n’a donc factuellement pas besoin de se désendetter ; il doit simplement honorer ses engagements au fur et à mesure qu’ils se présentent.
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Roulement de la dette
Faire rouler la dette signifie que le capital n’est en réalité jamais remboursé, car ce sont les intérêts de la dette (le service de la dette) que l’État doit vraiment pouvoir payer chaque année. En juillet 2022, cette charge budgétaire s’élevait à plus de 39 milliards d’euros. Ce sont près de 293 milliards d’euros qui doivent être empruntés sur les marchés financiers, en raison du déficit budgétaire (plus de 143 milliards) et de l’échéance de dettes anciennes (150 milliards).
Maintenir la confiance des créanciers
Seulement, cette situation n’existe que dans la mesure où les créanciers continuent de faire confiance à l’État. Ces derniers regardent notamment les perspectives de croissance économique de l’économie nationale associées à l’État emprunteur.
Et là aussi, l’État n’est pas un agent comme les autres. Si lorsqu’un agent privé réduit ses dépenses pour équilibrer son budget, cela n’a pas d’effet macroéconomique négatif. Alors que lorsque l’État réduit drastiquement ses dépenses de façon à rapprocher les comptes publics de l’équilibre, la croissance économique en est nécessairement impactée.
Ainsi, par un faux paradoxe, un gouvernement qui choisirait de réduire de façon trop brutale ses dépenses publiques pourrait aggraver la situation de ses finances publiques (avec moins de croissance économique, les recettes fiscales diminuent et les dépenses sociales augmentent).
La commission de Bruxelles a par exemple fait une erreur en 2010 en exigeant des États de la zone euro de réduire beaucoup trop rapidement leur déficit public (les dettes publiques avaient considérablement augmenté pour répondre à la dépression économique née de la crise financière de 2007-2008). Au même moment, les États-Unis préféré laisser la dette publique continuer de s’accroître de façon à solidifier la croissance économique.
Pour autant, cela signifie-t-il que l’État peut se comporter de manière laxiste lorsqu’il prévoit son budget ? Certainement pas. Tout d’abord, cela peut alarmer les créanciers qui demanderaient le règlement d’un taux d’intérêt plus élevé. Ainsi, pour ne pas payer trop cher ses futurs emprunts, l’État a intérêt à surveiller son déficit public.
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Ensuite, les économistes montrent que le déficit public est à l’origine d’un effet d’éviction (sauf dans les périodes de crise) : comme l’État se sert de l’épargne présente sur les marchés financiers, les entreprises (privées) peuvent moins le faire ; en fait, comme les capitaux disponibles deviennent plus rares, donc plus chers, les entreprises ont moins intérêt à investir (on dit que la rentabilité du capital baisse). La croissance économique peut alors être fragilisée par moins d’investissements privés.
La clé, c’est la soutenabilité
La dynamique de l’endettement public reste soutenable tant que la croissance économique reste supérieure au taux d’intérêt auquel l’État emprunte sur les marchés financiers.
En ce moment, avec la reprise de l’inflation, les créanciers exigent des taux d’intérêt plus élevés pour prêter aux États. Reste que leur niveau reste « acceptable » puisque, compte tenu de l’hypothèse de croissance économique retenue par le gouvernement pour 2023 (une hausse du PIB de 1 %), le déficit public de 5 % du PIB devrait faire baisser le ratio de la dette publique de 111,5 % du PIB en 2022 à 111,2 % du PIB en 2023.
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Dans le programme de SES
Première. « Comment les agents économiques se financent-ils ? »